Des hommes-grenouilles propulsés par des scooters sous-marins silencieux, des cargaisons étanches dissimulées dans les sea chests des cargos venus d’Amérique du Sud, des AirTags pour guider la récupération à des kilomètres des jetées : l’Europe fait face à une industrialisation sous-marine du trafic de cocaïne, au centre de laquelle les réseaux albanais montent en puissance. « Ils nagent dans le noir, à plus d’un kilomètre du port, propulsés par des scooters électriques, pour extraire des blocs de cocaïne fixés sous la coque des cargos venus du Brésil. » Table des matières
- Techniques du trafic sous-marin : une logistique millimétrée
- L’affaire Husnes (Norvège) : 150 kg sous la ligne de flottaison
- « Parasite smuggling » : trafic sans équipage complice
- Réseaux albanais : l’hégémonie logistique de la cocaïne
- Alliances italo-albanaises et ports d’entrée européens
- Narco-sous-marins, drones : la nouvelle ère invisible
- France & UE : menaces et ripostes opérationnelles
- FAQ – Questions clés pour la France et l’Europe
- Sources et liens de référence
Techniques du trafic sous-marin : une logistique millimétrée
Selon des révélations détaillées par la presse britannique (Daily Mail ; The Times), des commandos de plongeurs formés au travail en eaux froides et à faible visibilité positionnent — ou retirent — des colis de cocaïne à l’intérieur des prises d’eau des navires (les « sea chests »), compartiments techniques alimentant les systèmes de refroidissement. Les paquets sont étanches, lestés, sanglés sur grilles métalliques. Un premier équipage en Amérique du Sud fixe la charge ; un second, en Europe, la récupère sous l’eau à bonne distance des antennes portuaires.

Pour baliser la récupération, des Apple AirTags (ou balises équivalentes) sont parfois intégrés. Les plongeurs, munis de propulseurs électriques et de recycleurs (circuit fermé), opèrent de nuit depuis des rendez-vous nautiques à plus d’un kilomètre de l’accès portuaire, minimisant l’exposition aux patrouilles et au bruit sonar.
L’affaire Husnes (Norvège) : 150 kg sous la ligne de flottaison
En 2023, six ressortissants albanais — cinq hommes et une femme — sont interpellés à Husnes, petit port norvégien. Le groupe attend l’arrivée du cargo Nordloire, en provenance du Brésil. L’un des plongeurs descend alors récupérer plus de 150 kg de cocaïne dissimulés dans une prise d’eau sous la ligne de flottaison. Les autorités documentent un modus operandi exemplaire : aucune interaction avec l’équipage du cargo, opérations nocturnes, exfiltration terrestre dès la remontée.
« Le plus souvent, les équipages n’ont aucune idée que leur navire transporte de la drogue », confie le commissaire italien Leonardo Landi à la presse, décrivant des rémunérations allant jusqu’à 300 000 € par retrait, compte tenu des risques (hélices en mouvement, hypothermie, courants).
L’attrait de ce procédé est clair : la compartimentation complète des rôles. Les logisticiens sud-américains fixent la charge ; les plongeurs européens la libèrent ; les runners routiers la disséminent. À chaque maillon, un risque circonscrit et un gain défini.

« Parasite smuggling » : trafic sans équipage complice
Le « parasite smuggling » (trafic « parasite ») consiste à utiliser des navires de commerce comme hôtes inconscients de la contrebande. En Amérique du Sud, des techniciens desserrent la grille du sea chest, y placent la charge étanche, puis la referment à l’identique au couple métrique près. En Europe, des plongeurs en récupèrent le contenu sans franchir les barrières de contrôle documentaire ou douanier du port. Résultat : ni bakchich, ni collusion nécessaire avec les équipages, moins de témoins, moins de fuites.
D’après The Times, l’usage de scooters sous-marins permet d’approcher depuis la pleine eau et de quitter la zone sans laisser de trace thermique ou radar significative, hors incidents de cavitation.
Réseaux albanais : l’hégémonie logistique de la cocaïne
En court-circuitant les intermédiaires dès la fin des années 1990 et en nouant des canaux directs avec les cartels sud-américains, des groupes criminels albanais ont consolidé une domination logistique sur l’axe Brésil–Europe. La réputation de discipline et de fiabilité dans l’exécution — associée à une violence ciblée — leur a ouvert les entrepôts et les hub portuaires, des docks de la Manche aux estuaires atlantiques.
En 2024, un document du Home Office britannique les qualifiait d’« menace aiguë » pour la sécurité nationale, citant leur prévalence dans la criminalité organisée, jusqu’aux homicides liés aux règlements de comptes.

Alliances italo-albanaises et ports d’entrée européens
L’allié historique demeure la ’Ndrangheta (Calabre), qui domine l’importation et la distribution de cocaïne en Europe continentale. Les coopérations italo-albanaises articulent : points de contact portuaires, sociétés de transitaire et de logistique, blanchiment via immobilier, restauration et circuits de cash intensifs. Les ports d’Anvers, de Rotterdam et de Hambourg sont les principaux points d’entrée ; Gênes, Le Havre et Marseille-Fos sont considérés comme zones à risque en progression.
Des analyses publiques d’Europol ont déjà relevé la part significative de filières ayant un ancrage albanais ou italo-albanais dans des saisies majeures de 2024.
Narco-sous-marins, drones : la nouvelle ère invisible
Les narco-sous-marins — artisanaux, semi-immergés ou submersibles — existent depuis des décennies sur l’axe vers les États-Unis. En Europe, des cas emblématiques jalonnent la côte ibérique : découverte d’un submersible lié au trafic au large de l’Espagne dès 2006 ; en 2019, interception en Galice d’un engin de près de 20 mètres, après une traversée transatlantique. Pour l’auteur britannique Peter Walsh (Drug War: The Secret History), l’usage d’engins similaires en Manche et au large français est « plausible », même si les preuves publiques restent limitées.
Prochaine étape : des drones sous-marins autonomes (technologie duale, issue du militaire et de l’offshore), capables de naviguer bas et lent, avec des signatures sonores et magnétiques minimales — un défi pour les douanes maritimes européennes.
France & UE : menaces et ripostes opérationnelles
La gendarmerie maritime et la DNRED ont accru les patrouilles sonar de rade (zones d’attente avant accostage) au Havre et à Fos-sur-Mer. Objectif : détecter les propulseurs de plongeurs (DPV) et les signatures de cavitation proches des coques au mouillage. À l’échelle européenne, Interpol étend sa base de données des modus operandi sous-marins, tandis qu’Europol coordonne des équipes communes d’enquête entre Anvers, Rotterdam, Hambourg et les ports français.
Côté prévention, plusieurs autorités portuaires testent des grilles anti-effraction avec scellement inviolable sur sea chests, des capteurs inertiels de grille et des patrouilles ROV (drones filoguidés) sous quille. La clé reste la coopération transfrontalière et le partage temps réel de signaux faibles (départs suspectés au Brésil, patterning météo-marin, points d’attente hors VTS).


