La République des Doublons : Enquête sur des Centaines d’Organismes Publics qui Étouffent le Budget

"Les administrations inutiles" en france

Depuis des décennies, la France construit son État non pas comme une machine efficace, mais comme un palais des glaces bureaucratique : des couloirs qui se répètent, des reflets trompeurs, des portes qui ne mènent nulle part. Derrière la façade de la « rationalisation », se cache une réalité embarrassante : plus de 430 opérateurs de l’État, des centaines de Groupements d’intérêt public (GIP) et une myriade de commissions, conseils et agences dont les missions se chevauchent ou s’annulent. Le tout pour un coût estimé à 77 milliards d’euros par an.

Cette enquête, fondée sur les rapports de la Cour des comptes, les travaux de Contribuables Associés, les annexes budgétaires officielles et les témoignages d’anciens hauts fonctionnaires, dresse une liste sans précédent de plus de cent organismes dont l’utilité est discutable, voire inexistante. Beaucoup servent de planques administratives pour des proches du pouvoir, des cadres en fin de carrière ou des personnalités politiques en sursis. Pour approfondir, voir nos dossiers État, finances publiques et bureaucratie.


Notre Méthodologie : Comment cette Liste a été Établie

Chaque organisme a été retenu selon au moins un des critères suivants :

  • Critiques explicites de la Cour des comptes pour inefficacité ou redondance.
  • Signalement comme inutile ou coûteux par IFRAP ou Contribuables Associés.
  • Mission floue, obsolète ou doublonnée par une autre structure.
  • Absence de transparence budgétaire (seuls 44 % publient leurs comptes).
  • Création politique opportuniste sans justification claire.

I. Les Grands Symboles de la Démesure : Conseils et Comités «Théodule »

Ces conseils consultatifs, surnommés « comités Théodule », produisent des rapports que personne ne lit. Leur utilité réelle est souvent de procurer un bureau et un traitement à leurs membres.

Parmi eux :

  • Conseil économique, social et environnemental (CESE) : 70 M€/an pour des avis non contraignants. Supprimé à plusieurs reprises dans les rapports de la Cour des comptes.
  • Conseil national de l’information statistique (CNIS) : doublonne avec l’INSEE.
  • Conseil national de l’insertion par l’activité économique (CNAIE) : mission déjà assurée par Pôle emploi.
  • Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) : remplacé par l’Arcom mais subsiste administrativement.
  • Conseil national de la mer et des littoraux : doublon des agences de l’eau et des DREAL.
  • Conseil national de la protection civile : créé en 2015, aucun avis public notable.
  • Conseil national de la résilience : coquille vide post-crise, sans moyens dédiés.
  • Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) : souvent perçu comme un lobby institutionnalisé.
  • Conseil national de la transition écologique (CNTE) : doublon du ministère de la Transition écologique.
"Les administrations inutiles" en france

II. Les Agences en Double, Triple ou Quadruple Exemplaire

Créer une nouvelle agence plutôt que réformer l’ancienne : une habitude française qui alourdit la dépense publique. Certains secteurs sont pilotés par 3 ou 4 entités simultanées.

  • Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) : 150 M€/an, doublon des préfectures et conseils départementaux.
  • France Relance : programme temporaire devenu structure quasi-permanente.
  • Agence de la biomédecine : missions recoupées avec la HAS et l’EMA.
  • Office français de la biodiversité (OFB) : fusion inaboutie, redondance avec les parcs nationaux (source : Cour des comptes 2022).
  • Agences de l’eau (6) : gouvernance opaque, redevances contestées (Cour des comptes 2018).
  • ADEME : appels à projets souvent similaires à Bpifrance ou aux régions (rapports 2023).
  • Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) : recouvre l’action de l’Agence européenne des médicaments.
  • Santé publique France : recoupe l’Assurance maladie et l’ex-InVS.
  • Agence nationale du sport : GIP devenu agence alors que le ministère existe.
  • Agence nationale de la recherche (ANR) : critiquée pour son opacité et ses coûts de fonctionnement.

III. Opérateurs de l’Éducation et de la Culture : Une Machine à Subventions

De nombreux opérateurs du ministère de la Culture ou de l’Éducation nationale fonctionnent sans évaluation sérieuse.

  • ONISEP : 80 M€/an pour une mission (orientation) déjà couverte localement (Cour des comptes 2019).
  • Centre national du cinéma (CNC) : subventionne un secteur déjà rentable ; contrôle d’efficacité discutable.
  • Institut national du patrimoine (INP) : très niche, doublonné par les DRAC.
  • Oppic : gestion immobilière relevant déjà de la DGFIP.
  • Cité de la musique – Philharmonie de Paris : EPIC très coûteux pour l’État.
  • Centre national des arts plastiques (CNAP) : circuits de subvention controversés.
  • Bibliothèque nationale de France (BnF) : mission essentielle mais coûts d’exploitation élevés.
  • Institut national de l’audiovisuel (INA) : modèle économique fragilisé à l’ère numérique.
  • Cité nationale de l’histoire de l’immigration : public limité au regard des moyens.

IV. Santé et Solidarité : Des Structures Multipliées à l’Infini

  • Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) : pilote l’APA mais redondance opérationnelle avec les départements ; pilotage complexe et coûteux pointé par la Cour des comptes.
  • Agence nationale de l’habitat (Anah) : aides recoupées par celles des collectivités.
  • Fonds national d’action sociale du travail à temps partiel : ciblage devenu marginal.
  • GIP « Enfance en danger » (GIPED) : utile mais en chevauchement avec les conseils départementaux.
  • Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) : programme historique achevé, agence maintenue.
  • Fondation pour la mémoire de la Shoah et Fondation pour la mémoire de l’esclavage : financements publics sans évaluation systématique (Contribuables Associés).
  • Institut de veille sanitaire (InVS) : absorbé par Santé publique France, mais reliquats structurels.
  • Haute Autorité de lutte contre les discriminations (HALDE) : remplacée par le Défenseur des droits, crédits résiduels.

V. Les GIP : Boîtes Noires de la République

Les Groupements d’intérêt public (GIP) illustrent l’opacité administrative : créés par arrêté, ils échappent au contrôle parlementaire.

  • GIP « Alerte enlèvement » : mission opérationnelle assurée par la police nationale.
  • GIP « Justice » : fourre-tout pour projets ponctuels.
  • GIP « Pix » : doublon du ministère de l’Éducation.
  • GIP « Réseau Canopé » : contenus pédagogiques peu utilisés.
  • GIP « Lutte contre le dopage » : chevauchement avec l’AFLD.
  • GIP « Mission France Services » : pilote des guichets… qui sont eux-mêmes des guichets.
  • GIP « Prévention de la délinquance » : mission couverte par la politique de la ville.
  • GIP « BULAC » : bibliothèque coûteuse pour public restreint.
  • GIP « Recherche et innovation en santé » : doublon avec l’INSERM et l’ANR.
  • GIP « Éducation à l’environnement » : déjà assuré par les académies.

VI. Autorités Indépendantes : Indépendantes, mais Inefficaces

  • Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) : essentielle mais limitée face aux GAFAM.
  • Autorité de régulation des communications électroniques (Arcep) : faible visibilité.
  • Commission de régulation de l’énergie (CRE) : rôle contesté depuis l’ouverture à la concurrence.
  • Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) : redondances avec la Banque de France.
  • Autorité des marchés financiers (AMF) : coûteuse, réactivité critiquée.
  • Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) : transparence à sanctions souvent symboliques.
  • Conseil supérieur de la propriété industrielle (CSPI) : lobbying institutionnel.
  • Commission nationale de l’aménagement du territoire : quasi dormante.
  • Commission nationale du débat public (CNDP) : coûteuse, conclusions fréquemment ignorées.

VII. Écoles et Établissements Publics : L’État Formateur de l’État

L’État forme des fonctionnaires pour gérer… d’autres structures de l’État.

  • Institut national du service public (INSP) : nouvelle ENA, env. 100 M€/an (Sénat 2023).
  • École nationale d’administration pénitentiaire (ENAP) : pourquoi une école séparée ?
  • École nationale de la sécurité et de l’administration de la police (ENSAP) : doublon avec l’ENSP.
  • Office national des anciens combattants (ONAC) : structure pléthorique pour un public vieillissant.
  • Centre national des œuvres universitaires et scolaires (CNOUS) : coûts de gestion élevés.
  • Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE) : coûteuse et réservée à une élite.
  • Office franco-allemand pour la jeunesse (OFAJ) : ~20 M€/an pour un public ciblé (Contribuables Associés).

VIII. ODAC et Structures Fantômes : Le Grand Bazar Administratif

Près de 700 organismes divers d’administration centrale (ODAC) se partagent des fonctions peu lisibles.

  • Centre national de la fonction publique hospitalière : doublon avec les CHU.
  • Centre national de gestion des ingénieurs des ENS : structure pour une poignée d’ayants droit.
  • Service interministériel des Archives de France : mission essentielle mais structure pléthorique.
  • INRETS → IFSTTAR (fusion) : persistances de structures résiduelles.
  • CEREMA : périmètre tentaculaire, coûts élevés.
  • ANTS : utile mais monopole contesté, délais pointés.
  • DINUM : recouvre la Caisse des dépôts sur des sujets numériques.
  • SGPI : pilotage de France Relance ; subsiste sans mission claire.
  • DGEFP : doublonne avec France Compétences.
  • CGET → ANCT : crédits résiduels malgré la fusion.

IX. Les Fondations et Structures Internationales Subventionnées

  • Maison de l’Europe (réseau) : subvention multi-niveaux pour des actions de communication (Contribuables Associés).
  • Institut européen d’administration publique (IEAP) : installé à l’étranger, financé par la France.
  • Fondation Robert Schuman : subventionnée par le MEAE.
  • IFRI : think tank subventionné.
  • Fondation Jean-Jaurès : fondation politique subventionnée.

X. Les Cas Emblématiques de « Planques »

  • Conseil d’analyse de la société : créé sur mesure pour un proche de Jacques Chirac.
  • Haut conseil pour le climat : doublon avec le ministère et l’ADEME.
  • Conseil stratégique des filières : comité supplémentaire pour industriels.
  • Conseil national de la refondation (CNR) : coquille vide post-Gilets jaunes.
  • Conseil présidentiel pour l’Afrique : structure informelle dotée de moyens.
  • Conseil national de la protection de l’enfance : doublon avec les départements.
  • Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS) : lobbying institutionnel.
  • Conseil supérieur de la mutualité : obsolète.
  • Conseil national de la montagne : inactif.
  • Conseil national du numérique : recoupe la DINUM.
  • Conseil national de la transition énergétique : redondant.
  • Conseil national de la santé mentale : créé en 2022, sans moyens réels.
  • Conseil national de la ruralité : doublon des chambres d’agriculture.
  • Conseil national de la jeunesse : vitrine sans pouvoir.
  • Conseil national de la vie associative : recoupe les DDCS.
  • Conseil national des missions locales : parapluie inutile.

Conclusion : Une Réforme en Marche, Mais Trop Lente

Le gouvernement a annoncé en 2025 un plan de rationalisation administrative. Une commission d’enquête parlementaire s’y penche, mais les résistances sont fortes. Comme le résume Agnès Verdier-Molinié, directrice de l’IFRAP : « Parmi les agences de l’État, les doublons et les instances inutiles ont la peau dure. »

Chaque organisme est un fief, un budget, un emploi. Et dans la République des planques, personne ne veut lâcher son fauteuil.

Ashur Sarnaya

Le martyre de Ashur Sarnaya : Chronique d’un silence français

FCFA

Franc CFA : le « club privé » des élites