Une nouvelle génération d’influenceurs français fait polémique sur TikTok. Leur message ? Inciter les jeunes à se faire licencier pour bénéficier des allocations chômage, parfois jusqu’à 75 % de leur ancien salaire. Dans un pays où le taux de chômage dépasse encore les 7 %, ces vidéos aux centaines de milliers de vues soulèvent des questions profondes : crise du sens au travail, limites du modèle social français, responsabilité des influenceurs et impuissance politique. Que se passe-t-il réellement ?
Une stratégie virale : “sois le pire collègue possible”
Plusieurs créateurs de contenu, suivis par des centaines de milliers d’abonnés, partagent des conseils explicites pour se faire licencier « proprement » : arriver systématiquement en retard, saboter son travail, refuser les convocations RH… tout en restant dans un cadre permettant l’accès au chômage.
Parmi eux, Laurène Lévy, ancienne salariée reconvertie en « militante du bien-être au travail », déclare à ses 357 000 abonnés que « le travail en France ne paie pas ». Pour elle, il est normal d’exercer son droit au chômage, même après une faute lourde, car « c’est prévu par la loi ».
Une autre influenceuse, Célia, énumère froidement dans une vidéo virale :
« 1. Sois toujours en retard. 2. Sois non-professionnelle. 3. Sois la pire collègue possible. 4. Quand tu es convoquée à un entretien préalable au licenciement, n’y va pas. »
Résultat ? Des dizaines de milliers de jeunes s’identifient à cette rhétorique.

Le chômage français, un système généreux mais sous pression
En France, le système d’assurance chômage – appelé chômage ou allocation d’aide au retour à l’emploi – peut offrir jusqu’à 75 % du dernier salaire pendant 18 mois. Pour en bénéficier, il faut avoir été salarié au moins 6 mois et… avoir été licencié (un départ volontaire n’ouvre pas droit aux aides, sauf exceptions).
Selon l’INSEE, 17,2 % des allocataires du chômage en 2023 avaient entre 15 et 24 ans, un chiffre en hausse. En parallèle, 6,26 millions de personnes étaient inscrites à Pôle emploi, en augmentation de 100 000 sur l’année.
Cette pression sur les finances publiques ravive les critiques contre un système jugé trop laxiste, alors que des secteurs comme la restauration ou le bâtiment peinent à recruter.
Un phénomène générationnel : rejet du salariat, quête de sens
Derrière ces vidéos, se cache un ras-le-bol plus profond. Beaucoup de jeunes rejettent les conditions du salariat classique : bas salaires, stress, hiérarchie oppressante. Ils préfèrent un mode de vie où le temps libre, la santé mentale et les revenus alternatifs (influence, freelancing, aides) priment.
Le discours de Lévy, par exemple, est teinté de revendications sociales :
« Allez bosser comme plongeur dans un resto avant de me critiquer. »
Ce mouvement s’inscrit dans une crise du sens du travail, observée depuis la pandémie. Le télétravail, l’ubérisation, l’essor des métiers en ligne ont accéléré cette transformation.
Une impuissance politique pointée du doigt
L’ancien ministre Pierre Lellouche (gouvernement Sarkozy) accuse directement Emmanuel Macron :
« On est un pays qui a complètement arrêté de travailler. »
Selon lui, la combinaison de la gestion Covid et des réformes inachevées a désengagé toute une partie de la jeunesse du monde professionnel. Il évoque même des restaurants fermés en plein été faute de personnel, un paradoxe en période de chômage massif.
TikTok, nouveau guide des aides sociales ?
Ce phénomène n’est pas propre à la France. Au Royaume-Uni, des influenceurs comme Whitney Ainscough, suivie par plus de 950 000 personnes, donnent des conseils détaillés pour maximiser les aides sociales, obtenir un logement, une voiture gratuite ou encore un smartphone via le DWP (équivalent britannique de Pôle Emploi).
YouTube n’est pas en reste, avec des vidéos comme “Unlock the secret steps to WIN your PIP claims” (PIP étant une allocation pour les personnes handicapées) qui promettent un « taux de succès de 100 % ».
Des réformes à venir ?
Le gouvernement britannique a déjà annoncé vouloir réformer son système. En France, le chantier est plus délicat. Entre justice sociale, dignité des demandeurs d’emploi et lutte contre les abus, l’équilibre est fragile.
Reste une question brûlante : dans quelle mesure les influenceurs doivent-ils être tenus responsables lorsqu’ils franchissent la ligne entre l’information et la manipulation d’un système conçu pour protéger les plus vulnérables ?