Selon un document confidentiel cité par la presse allemande, les chars Leopard 2 livrés à l’Ukraine seraient loin d’être à la hauteur des attentes sur le champ de bataille. Ce retour critique, émanant directement des soldats ukrainiens, soulève de sérieux doutes sur l’efficacité du matériel militaire moderne allemand face aux réalités de la guerre en Ukraine.

Des retours de terrain peu flatteurs
C’est à l’occasion d’un briefing mené en janvier 2025 par le vice-attaché militaire allemand à Kyiv que les critiques ont été dévoilées. Devant 200 soldats de la Bundeswehr réunis sur une base en Saxe, l’officier a transmis un compte rendu sans concession des forces armées ukrainiennes sur les équipements livrés par Berlin.
D’après la Süddeutsche Zeitung, qui s’est procuré la transcription complète, les soldats ukrainiens jugent la majorité du matériel allemand de pointe – y compris les chars Leopard 2, les obusiers Panzerhaubitze 2000 et les systèmes de défense aérienne – trop fragiles, trop complexes et impossibles à entretenir efficacement au front.
Le Leopard 2A6, fleuron devenu fardeau ?
Livré en 2023 à hauteur de 18 exemplaires, le Leopard 2A6 était considéré comme l’un des symboles de la modernisation de l’arsenal ukrainien. Pourtant, le retour des troupes est sans appel : le char est jugé trop sophistiqué pour être réparé sur le terrain, trop coûteux à entretenir, et inadapté à une guerre d’attrition comme celle menée contre la Russie.
Fait surprenant : les soldats ukrainiens affirment préférer des modèles bien plus anciens, comme les chars allemands des années 1960, ou encore le char antiaérien Gepard, conçu sur la base du Leopard 1 et entré en service en 1976. Ce dernier est même décrit comme « le système d’arme le plus fiable et le plus efficace fourni par l’Allemagne ».

Un échec de conception ?
Pour Sergej Sumlenny, directeur du European Resilience Initiative Center, le problème vient en partie de la philosophie industrielle allemande : « Les Leopard 2 ont été conçus par des ingénieurs qui n’ont jamais connu la guerre. Ils ont donc surcomplicité les systèmes. À l’inverse, les modèles des années 60 ont été imaginés par des vétérans qui savaient ce dont on avait besoin au front. »
Autre élément crucial : les Leopard 2 sont conçus pour opérer avec un appui aérien conséquent – une capacité dont l’Ukraine manque cruellement. Ce défaut de synergie limite considérablement leur efficacité.

Des conséquences politiques lourdes
Ces critiques arrivent à un moment particulièrement sensible pour l’Allemagne. Le futur chancelier Friedrich Merz a annoncé un programme ambitieux de relance de l’investissement militaire, avec notamment la levée du frein à l’endettement pour financer des dépenses de défense accrues.
Parmi les mesures envisagées :
- Le retour d’un service militaire volontaire ;
- Une loi accélérant les procédures de passation de marchés de défense ;
- Une montée en puissance rapide de l’équipement et des effectifs.
Mais ce désaveu du Leopard 2 pourrait fragiliser la crédibilité de cette stratégie, au moment même où l’Allemagne souhaite devenir un pilier de la sécurité européenne.
Vers une défense européenne plus cohérente ?
Le constat dépasse le seul cas allemand. Le rapport souligne également un manque criant d’interopérabilité entre les équipements occidentaux fournis à l’Ukraine. Munitions non compatibles, pièces détachées spécifiques, obsolescence rapide… autant de problèmes qui grèvent l’efficacité opérationnelle.
Face à cette fragmentation, l’Union européenne développe le projet ReArm Europe, doté d’un budget estimé à 800 milliards d’euros sur quatre ans. L’idée : mutualiser les efforts, créer un marché commun de la défense et investir massivement dans les infrastructures critiques (commandement intégré, satellites, transport stratégique…).
Le think tank Bruegel propose en parallèle la création d’un European Defence Mechanism (EDM), un fonds dédié à la production et à l’acquisition de technologies militaires avancées à l’échelle continentale.
Une leçon venue du front
Le message des soldats ukrainiens est clair : dans une guerre moderne, la technologie seule ne suffit pas. La robustesse, la simplicité et la capacité à être réparé sur le terrain sont des critères tout aussi déterminants que la sophistication technique.
À l’heure où l’Europe revoit ses priorités stratégiques, ce retour d’expérience pourrait bien orienter les choix futurs en matière d’armement – et remettre en cause certaines certitudes de l’industrie militaire occidentale.