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Derrière le conflit sur les « mégabassines », deux visions de l’agriculture qui s’opposent en France

Derrière le conflit sur les "mégabassines", deux visions de l'agriculture qui s'opposent en France



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Des milliers de personnes ont manifesté ce week-end contre un chantier de mégabassine à Sainte-Soline, dans l’ouest de la France. Cette vaste réserve destinée à l’irrigation des cultures doit permettre de moins prélever d’eau l’été mais pour ses détracteurs, le projet entretient un modèle agricole qui favorise l’appauvrissement des sols et aggrave les épisodes de sécheresse.

C’est une guerre de l’eau qui pourrait s’inscrire dans la durée. Après une manifestation interdite qui a donné lieu, samedi 29 octobre, à des affrontements violents entre militants radicaux et forces de l’ordre, plusieurs centaines d’opposants au projet de mégabassine de Sainte-Soline dans les Deux-Sèvres comptent s’enraciner sur un terrain privé situé à proximité du chantier.

« Ce sera le point de départ de tout un tas d’actions de harcèlement qui vont être menées si les travaux venaient à continuer », a déclaré dimanche 30 octobre à l’AFP Julien Le Guet, le porte-parole du collectif anti-bassines qui réclame un moratoire sur ces retenues d’eau.

De son côté, la préfecture des Deux-Sèvres a prolongé jusqu’à mercredi l’interdiction de manifester dans le secteur où plus de 1 000 gendarmes sont mobilisés pour empêcher « qu’aucune ZAD [zone à défendre] ne s’installe », a expliqué le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin.

Creusées au beau milieu des champs à dix ou quinze mètres de profondeur, les « mégabassines » sont d’immenses ouvrages de stockage qui peuvent emmagasiner jusqu’à 650 000 mètres cubes d’eau, soit l’équivalent de 260 piscines olympiques. Celle de Sainte-Soline est la deuxième d’un projet de 16 mégabassines élaboré par un groupement d’agriculteurs, la Coop de l’eau, et financé à 70 % par l’État et l’Agence de l’eau de la région Loire-Bretagne.

Contestées de longue date par des associations écologistes, les méga-bassines font l’objet de nombreux recours devant la justice administrative. Au printemps, la Cour d’appel de Bordeaux a notamment confirmé après 14 ans de combats judiciaires, l’interdiction de cinq autres retenues en Charente-Maritime et dans les Deux-Sèvres, en raison d’études d’impact insuffisantes. 

L’efficacité des mégabassines en question

Nés il y a une quinzaine d’années, les projets de mégabassines reposent sur une idée frappée au coin du bon sens paysan : stocker l’eau quand elle est abondante pour moins en utiliser l’été quand la ressource se fait rare. 

« On parle de retenue de substitution, le terme méga-bassine étant plutôt un terme utilisé par les opposants », explique Benoît Grimonprez, professeur à l’université de Poitiers, spécialiste en droit rural et de l’environnement. « Il s’agit de prélever de la ressource en période hivernale pour la stocker et ainsi éviter de pomper l’eau en période d’étiage, c’est-à-dire quand les nappes phréatiques et les cours d’eau sont au plus bas et que des arrêtés de crise restreignent considérablement l’irrigation. »

>> À lire sur France24.com : Canicule, sécheresse, incendie… Météo France dresse le bilan d’un été de tous les records

Thierry Boudaud membre de la FNSEA, le principal syndicat agricole et président de la Coop de l’eau à l’origine du projet, voit dans ces réserves un « accélérateur de transition écologique » permettant d’assurer la survie de « générations d’agriculteurs », alors que le département des Deux-Sèvres continue de subir des restrictions après une sécheresse estivale historique.

Mais de nombreuses interrogations demeurent sur l’efficacité de ces ouvrages. Selon l’unique rapport scientifique disponible, le projet pourrait augmenter de « 5 % à 6 % » le débit des cours d’eau l’été, contre une baisse de 1 % l’hiver par rapport à la période 2000-2011. Une modélisation qui ne prend pas en compte l’évaporation potentielle des futures réserves.

« L’eau stockée dans ces méga-bassines l’est en réalité gratuitement et naturellement dans les nappes phréatiques où il n’y a pas d’évapotranspiration : l’eau reste identique en qualité et en quantité, contrairement à l’eau stockée à l’air libre », assure Nicolas Berrod, porte-parole de la Confédération paysanne qui dénonce « un accaparement » de la ressource par une poignée d’exploitations, environ 6 % des agriculteurs du département. 

>> À voir sur France 24, Elément Terre : Sécheresse, la course à l’eau

« Un moment charnière »

Au-delà des critiques d’ordre technique, se pose la question du modèle agricole privilégié par les pouvoir publics. Les agriculteurs qui bénéficieront de l’eau stockée sont pour l’essentiel des propriétaires « d’exploitations modernes en céréaliculture ou en polyculture élevage [système de production combinant une ou plusieurs cultures destinées à la vente et/ou à l’alimentation des animaux]. Même si les profils sont relativement diversifiés, il s’agit de fermes d’une certaine taille car investir dans ces ouvrages réclame d’investir beaucoup d’argent. Cet investissement leur sert d’assurance contre les risques climatiques et de valorisation de leur exploitation », détaille Benoît Grimonprez. 

Pour les opposants au projet, ces mégabassines entretiennent un modèle productiviste, en particulier la culture du maïs, au détriment de pratiques agroécologiques plus respectueuses des sols et du cycle de l’eau. « C’est une rustine pour un modèle qui continue à stériliser les sols en raison d’une agriculture qui s’est spécialisée, de fermes qui se sont agrandies, de l’arrachage des haies, etc… », déplore Nicolas Berrod.

>> À lire également : Eaux usées, de mer, pluie… à la recherche de nouvelles sources contre la sécheresse

« On est à un moment charnière de ces questionnements sur l’eau. Ce qui se passe dans les Deux-Sèvres est un test : si ces projets avancent, on sent que cela va se multiplier partout sur le territoire », ajoute le porte-parole de la Confédération paysanne.

« On pourrait imaginer des cahiers des charges plus précis pour conditionner les droits d’irrigation » à des pratiques plus vertueuses comme la réduction de l’usage des pesticides, plaide Benoît Grimonprez. Selon le spécialiste du droit de l’environnement, ces tensions sur l’eau vont s’accentuer dans les prochaines années. « Dès lors que la ressource va se raréfier en période estivale, la question de sa répartition entre les agriculteurs mais aussi entre les différents usages va se poser : quelle place de l’agriculture par rapport à l’eau potable, aux loisirs, à l’énergie ou même au stockage d’eau pour lutter contre les incendies ? »

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