Cet assemblage permet de contourner les obstacles réglementaires dans la mesure où Stéphane Courbit, producteur audiovisuel, pouvait difficilement convaincre seul les autorités de la concurrence, Vivendi étant actionnaire de sa société FL Entertainment. « Ce n’est pas FL Entertainment qui est candidat au rachat mais LOV Group, dans lequel Vivendi ou Bolloré n’ont aucune part » objecte un proche.
De son côté, le tchèque Daniel Kretinsky, entré en France via les médias (groupe CMI, qui détient Marianne ou Elle), cherche à se diversifier. Mais difficile de convaincre Vincent Bolloré car ce dernier, confiait à Challenges un conseiller, « n’aime pas vendre à ceux qu’il ne connaît pas ». Enfin Pierre-Édouard Stérin, cofondateur de Smartbox et détenteur du fonds Otium, a trouvé là des partenaires économiques solides. Il ne souhaite pas commenter le dossier qui est en cours mais il peut seulement dire qu’il a « avec Stéphane Courbit et Daniel Kretinsky, déposé une offre conjointe de rachat de 37% d’Editis. Cette offre est conditionnée à la finalisation dans ses détails d’un accord entre les trois membres du consortium sur leur pacte. Ce serait une alliance entre égaux où prévaudrait l’unanimité. Le consortium choisirait un directeur ou une directrice général(e), qui serait un ou une professionnel(le) reconnu(e) et disposerait d’une très large délégation de pouvoir. Les actionnaires garantiraient la stabilité, l’indépendance et le développement d’Editis. »
Inquiétudes en interne
Ces belles paroles soulèvent des questions en interne. la CGT Editis est assez partagée. Si elle reconnaît que le rachat par le trio permet d’éloigner la perspective d’un démantèlement du groupe, elle s’inquiète d’un danger culturel et politique. « En réalité, explique un communiqué CGT Editis, cette opération ressemble à la confirmation d’une mainmise tentaculaire de M. Bolloré sur l’édition, et, au-delà, sur la communication en général : si, en cas d’acquisition de Hachette-livre, M. Bolloré n’a pas le monopole économique de l’édition, l’emprise de ses idées ouvertement réactionnaires et ultra-libérales pourrait s’étendre sur un périmètre commun Hachette -Editis. Soit près de 70% du chiffre d’affaires de l’édition. »
Politiquement orienté
De fait, le trio est politiquement orienté. Pierre-Edouard Stérin, catholique pratiquant, 113ème fortune de France (1 milliard d’euros) a l’intention de céder sa fortune à un fonds de dotation dont la moitié des gains sera reversé à des causes qui lui tiennent à cœur. Proche d’Eric Zemmour, tout comme la famille Bolloré, il dément avoir fait partie des donateurs, mais ne cache pas son antipathie pour François Hollande à cause de qui il a fui la France et s’est installé en Belgique en 2012. Antivax décomplexé, il est aussi hostile à l’avortement. Il a soutenu financièrement la production du film « Vaincre ou mourir » qui fait l’apologie des Chouans royalistes lors de la guerre de Vendée au moment de la révolution française.
Plutôt discret sur ses affinités politiques, Stéphane Courbit est crédité d’un vote en faveur de Lionel Jospin en 2002 mais c’est aussi un proche de Nicolas Sarkozy avec lequel il est en passe de racheter des propriétés viticoles dans le sud-est. Il a été l’un des tout premiers investisseurs de Direct Energie, dont Xavier Caïtucoli, l’un des co-fondateurs, figurait sur les listes électorales de Bruno Mégret, candidat d’extrème droite en 2002 et donateur de la campagne d’Eric Zemmour.
Daniel Kretinsky revendique son allégeance à Emmanuel Macron et reconnaît être un lecteur du Figaro mais le milliaradaire tchèque n’a pas hésité à prêter 14 millions d’euros à Libération car il juge important que le journal existe.
La commission européenne devra trancher
Le trio est clairement « Bolloré compatible » et tient la corde devant Mondadori, Reworld Media et Quebecor, toujours en lice. Il n’est toutefois pas certain qu’il soit finalement retenu. Plusieurs obstacles pourraient surgir. La Commission européenne pourrait estimer que la reprise d’Editis par un montage capitalistique proche de Bolloré n’offre pas suffisamment de garantie pour le pluralisme des idées.
Le nom du repreneur choisi devrait être annoncé le 8 mars, selon une source proche du dossier. La Commission européenne donnera ensuite son avis.