Drones abattus à la vitesse de la lumière, capteurs éblouis, coûts par tir dérisoires : les armes laser quittent la science-fiction pour redessiner l’équilibre militaire. Entre le LY-1 chinois, le DragonFire britannique et le HELIOS américain, la France avance son propre système HELMA-P. Récit, preuves et questions stratégiques : la place de l’armée française dans cette bataille silencieuse.
Table des matières
- Chine : le LY-1, démonstration de puissance
- Royaume-Uni : DragonFire, précision et économies
- États-Unis : HELIOS, intégration et maturité opérationnelle
- France : HELMA-P, souveraineté et anti-drones
- Le droit international : lasers et cécité permanente
- Coûts, logistique et météo : ce que changent les lasers
- Comparatif synthétique des programmes
- Le rôle de la France : cap à tenir, paris à assumer
1) Chine : le LY-1, démonstration de puissance
Le 3 septembre 2025, Pékin met en scène une montée en gamme assumée : au milieu des vecteurs hypersoniques et de la triade nucléaire, un bloc blanc attire l’œil des analystes : le LY-1, système laser de haute puissance présenté comme apte à protéger des plateformes de surface et — potentiellement — des sites terrestres. D’après l’enquête de référence de The War Zone, le LY-1 viserait en priorité la neutralisation des drones et missiles, l’éblouissement de capteurs et, plus largement, le déni d’accès électronique à moindre coût (TWZ). La presse internationale a confirmé la présence d’armes laser anti-drones lors de ce défilé hors norme (The Guardian; The Times).

2) Royaume-Uni : DragonFire, précision et économies
Démonstrateur en 2017, le DragonFire franchit un cap historique en janvier 2024 : premier tir britannique haute puissance contre cibles aériennes au champ de tir des Hébrides (MoD; Royal Navy). Le message est double : précision extrême (viser une pièce de 1 £ à 1 km) et coût par tir < 10 £ — l’équivalent d’un chauffage d’une heure pour 10 secondes de faisceau, selon le MoD. En avril 2025, Londres accélère : objectif d’embarquer DragonFire sur quatre destroyers de la Royal Navy dès 2027 (DefenseNews). Des itérations terrestres suivent, dans une logique de défense multicouche, en synergie avec les efforts radiofréquences anti-essaims (The Times).
3) États-Unis : HELIOS, intégration et maturité opérationnelle
Côté américain, le HELIOS (High Energy Laser with Integrated Optical-dazzler and Surveillance) s’impose comme l’archétype du laser naval moderne : classe 60 kW, intégration directe au fire control Aegis, capteurs embarqués et fonction « dazzler » pour aveugler les systèmes adverses (Lockheed Martin). En 2024, l’US Navy confirme un tir réussi depuis le destroyer USS Preble contre un drone, validé par le rapport OT&E et détaillé par la presse défense (Navy Times; TWZ). Plusieurs unités Aegis sont désormais « HELIOS-ready », ce qui préfigure un déploiement extensible selon les besoins opérationnels (Naval News).

4) France : HELMA-P, souveraineté et anti-drones
La France a fait le choix de la sobriété efficace avec HELMA-P (CILAS/ArianeGroup, DGA) : une solution modulaire, à effets gradués (de la perturbation optique à la destruction), conçue pour la lutte anti-drones et la protection d’infrastructures sensibles (CILAS; Ministère des Armées). Des essais embarqués notables ont été menés à bord du destroyer Forbin en 2023, confirmant la faisabilité navale (Naval News). Dans un contexte où la défense doit composer avec des drones bon marché mais proliférants, HELMA-P répond à une exigence : des effets rapides, reproductibles, à coût marginal quasi nul et sous faible empreinte logistique.
L’option HELMA-P illustre un pari : maîtriser l’anti-drone à l’échelle tactique, industrialiser vite et capitaliser sur une base technologique nationale. Prochaine marche : l’extension de puissance, la navalisation complète et l’intégration C2 multi-capteurs, en lien avec la flotte et l’Armée de l’air et de l’espace.
5) Le droit international : lasers et cécité permanente
Depuis 1995, le Protocole IV additionnel à la Convention sur certaines armes classiques prohibe les systèmes « spécifiquement conçus » pour provoquer la cécité permanente (CICR; ONU). La Chine est État partie au protocole (liste CICR). Les systèmes actuels revendiquent donc une finalité anti-matérielle (drones, capteurs, missiles) et/ou de « dazzling » temporaire des capteurs, ce qui n’exonère pas les belligérants de leur obligation de précaution et de formation des personnels.
6) Coûts, logistique et météo : ce que changent les lasers
L’économie d’engagement est l’argument décisif : un faisceau coûte quelques euros/livres par tir, contre des missiles à plusieurs centaines de milliers d’euros. La logistique s’en trouve allégée (magasin « profond », pas d’explosifs), même si la gestion énergétique (pic de puissance, stockage) devient un art clé du design naval et terrestre. La météo reste un facteur limitant (pluie, brume, particules) qui exige des algorithmes d’asservissement, des optiques protégées et des architectures hybrides (laser + radiofréquence + cinétique). Les essais officiels (MoD; Navy Times) confirment cependant des fenêtres d’efficacité opérationnelle déjà pertinentes en anti-drone.
7) Comparatif synthétique
| Pays | Système | Statut / jalons | Mission principale | Forces | Défis |
|---|---|---|---|---|---|
| Chine | LY-1 | Dévoilé 09/2025 | Anti-drones / anti-missiles, dazzling capteurs | Démonstration stratégique, coût marginal par tir | Données techniques publiques limitées, validation terrain à documenter |
| Royaume-Uni | DragonFire (~50 kW) | Essais 2024 ; embarquement visé 2027 | Anti-drones / roquettes, défense de flotte | Précision, coût < 10 £/tir, accélération industrielle | Sensibilité météo, intégration large échelle à conduire |
| États-Unis | HELIOS (~60 kW) | Tirs réussis 2024 (USS Preble) | Anti-drones, dazzling, surveillance | Intégration Aegis, flotte prête à accueillir | Montée en puissance & cadence de déploiement |
| France | HELMA-P (effets gradués) | Essais 2023 (Forbin) ; déploiements anti-drones | Protection de sites, bulles anti-UAS | Souveraineté, modularité, coût marginal | Extension de puissance et navalisation complète |
8) Le rôle de la France : cap à tenir, paris à assumer
L’armée française a choisi le réalisme : neutraliser d’abord l’ennemi le plus fréquent — le drone —, capitaliser sur une base industrielle nationale, puis monter en puissance et intégrer le laser dans une défense multicouche (laser + RF + cinétique) couvrant la flotte, les bases et les convois. Trois impératifs s’imposent : 1) énergétique (architectures embarquées, stockage/tir), 2) C2 (fusion capteurs, règles d’engagement, interopérabilité OTAN), 3) industriel (cadence, coûts, souveraineté). Face au duo sino-américain et au pari britannique, la France doit accélérer l’industrialisation (séries courtes, itérations rapides), tester en opérations réelles sous météo dégradée et préparer la version navale durcie pour escortes et bâtiments de premier rang. Le gain stratégique est tangible : coûts contenus, profondeur de magasin, réponse instantanée, réduction des dommages collatéraux — autant d’atouts dans un monde saturé de menaces aéromobiles.


