Un meurtre en direct et un silence assourdissant
Le 10 septembre 2025, à Lyon, Ashur Sarnaya, chrétien irakien en fauteuil roulant, a été poignardé à mort en pleine rue, alors qu’il diffusait un direct sur TikTok. Son crime ? Témoigner de sa foi. L’homme avait fui Mossoul et l’État islamique pour se réfugier en France, avant d’être exécuté ici, sur le sol qu’il croyait protecteur. L’enquête a depuis été confiée au pôle antiterroriste, un suspect a été arrêté en Italie, mais le silence médiatique, lui, reste total. Aucun grand journal télévisé n’a ouvert sur son nom, aucune déclaration politique, aucun hommage national. Le contraste avec d’autres affaires très médiatisées interroge : pourquoi ce silence quand la victime est chrétienne ?
Du Kurdistan à Lyon : le parcours d’un survivant
Né à Ankawa, banlieue chrétienne d’Erbil, Ashur Sarnaya appartenait à la communauté assyro-chaldéenne, l’une des plus anciennes églises d’Orient. Lorsque l’État islamique a pris Mossoul en 2014, les croix ont été arrachées, les maisons marquées d’un « ن » (pour Nazaréen) avant d’être saisies. Sarnaya, déjà handicapé, a fui la plaine de Ninive avec sa sœur, trouvant asile en France grâce à un programme humanitaire. Il espérait y reconstruire une vie paisible, loin de la barbarie.
Mais son engagement numérique lui a valu de nouvelles menaces. Sur TikTok, il prêchait en arabe et en araméen la résilience chrétienne. Des messages d’insultes, parfois en français, souvent en dialecte maghrébin, l’accusaient de blasphème. Il avait signalé ces menaces à ses proches, sans jamais cesser ses lives : « Je ne crains que Dieu », écrivait-il. Ce 10 septembre, sa dernière vidéo s’est achevée dans un cri.
Une Europe frappée d’amnésie morale
L’assassinat d’un réfugié chrétien en France n’a pas déclenché la moindre réaction politique d’envergure. Ni le ministère de l’Intérieur, ni l’Élysée, ni le Parlement européen n’ont pris position. Pourtant, la France compte aujourd’hui plus de 150 000 réfugiés issus de pays où les chrétiens sont persécutés — d’Irak, de Syrie, d’Érythrée, du Nigeria. La promesse d’asile devient une promesse vide si le sol d’accueil reproduit la peur. Ce mutisme révèle une indifférence structurelle : celle d’un continent qui se pense laïc mais oublie que la liberté religieuse en est la condition.
Une hémorragie invisible : dix ans de persécutions au Proche-Orient
La tragédie d’Ashur Sarnaya s’inscrit dans une décennie de disparition lente du christianisme oriental. Entre 2013 et 2025, selon l’Index mondial de persécution d’Open Doors et le rapport de l’Aide à l’Église en Détresse (AED), la population chrétienne du Proche-Orient a chuté de près de 60 %.
Syrie : de 2 millions de chrétiens avant 2011 à moins de 400 000 aujourd’hui
La guerre syrienne, commencée en 2011, a dévasté la communauté chrétienne, notamment à Alep, Homs et Maaloula. Les enlèvements de prêtres, les attaques contre des églises et la destruction du patrimoine liturgique ont vidé des quartiers entiers. Les milices islamistes (Front al-Nosra, Daech) ont mené une politique d’intimidation systématique. Selon un rapport de Portes Ouvertes 2024, plus de 70 % des chrétiens syriens ont fui le pays, et le reste vit souvent dans une précarité extrême.
Liban : le bastion vacillant
Longtemps présenté comme un modèle de coexistence, le Liban a vu, depuis 2019, l’exode progressif de ses jeunes chrétiens, étranglés par la crise économique et la montée de la corruption. Les attentats contre des paroisses maronites et les tensions politiques autour du Hezbollah ont accentué un sentiment d’étouffement. En 1990, les chrétiens représentaient environ 43 % de la population ; en 2025, ils ne sont plus estimés qu’à 30 %. L’effondrement du système confessionnel menace l’équilibre historique du pays du Cèdre.
Irak : de 1,5 million à moins de 150 000 fidèles
En 2003, avant l’invasion américaine, on comptait environ 1,5 million de chrétiens en Irak. En 2025, il en reste moins de 150 000. La plaine de Ninive, berceau du christianisme mésopotamien, a été vidée de ses habitants par les campagnes successives de l’État islamique. Malgré la défaite militaire de Daech, les enlèvements, les extorsions et les discriminations administratives continuent. Le Vatican News estimait en 2024 que « la reconstruction spirituelle de l’Irak chrétien prendra des générations ».
Égypte : les Coptes sous tension permanente
L’Égypte, forte d’environ 10 millions de chrétiens coptes, connaît depuis 2016 une recrudescence d’attentats contre des églises et des processions. Le massacre de Minya en 2017, puis les attaques du Sinaï en 2019 et 2023, ont démontré la persistance de groupes djihadistes locaux. Si le président Sissi affiche un discours de tolérance, les rapports d’Human Rights Watch signalent toujours des discriminations dans l’accès à la fonction publique et des restrictions à la construction d’églises.
La nouvelle géographie de la persécution
Les experts de l’OSCE notent un déplacement géographique : l’Afrique subsaharienne est désormais le cœur de la violence anti-chrétienne, tandis que le Proche-Orient subit une érosion lente par épuisement démographique. En parallèle, l’Europe occidentale voit monter les actes antichrétiens : plus de 1 000 profanations d’églises recensées en 2024 en France, 600 en Allemagne, 400 en Espagne. Les crimes contre les symboles chrétiens sont rarement médiatisés, alors qu’ils témoignent d’une mutation culturelle profonde : la foi chrétienne, jadis norme, devient cible ou sujet d’ironie.
Un symbole universel
Le destin d’Ashur Sarnaya condense ces dynamiques : l’exil, la minorité, la foi vécue sous menace, la solitude du témoin. Il croyait avoir fui la terreur. Il a retrouvé la même haine, sous un autre climat. Sa mort ne doit pas être vue comme un fait divers, mais comme le symptôme d’une érosion mondiale de la tolérance religieuse. La France, comme l’Europe, devra choisir : défendre réellement la liberté de croire ou s’habituer à la voir mourir, lentement, sous ses yeux.
Ashur Sarnaya a fui Mossoul pour Lyon, la guerre pour la paix, la nuit pour la lumière. Son sang versé en silence est une accusation adressée à toute l’Europe. Il nous rappelle que la civilisation ne se mesure pas à la richesse des musées, mais à la manière dont elle protège les plus vulnérables de ceux qui croient encore.
Sources principales : Syriac Press, Persecution.org, Open Doors 2025, Vatican News 2024, Aide à l’Église en Détresse, OSCE Rapport 2024.


