De nombreux zadistes ont subi des fouilles intimes lors de l’évacuation de la colline du Mormont. Certains ont saisi la justice et les tribunaux ont reconnu que la police avait violé le principe de proportionnalité, révèle le Pôle enquête de la RTS.
Le 30 mars 2021, la police cantonale vaudoise procède à l’évacuation de la colline du Mormont, occupée depuis près de six mois par de nombreux zadistes. Plusieurs squatteurs rechignent à quitter les lieux d’eux-mêmes ou à décliner leur identité.
Selon le rapport sur l’opération ZAD21 signé par l’ancien commandant de la police cantonale vaudoise, 69 personnes sont ainsi embarquées et conduites au Centre de police de La Blécherette.
Le rapport évoque « un nombre important de prévenus » qui refusent de s’identifier ou de répondre aux questions, et qui font ainsi de l' »opposition passive ». Il ne mentionne aucun acte de violence ou d’agressivité des personnes arrêtées.
De nombreux zadistes concernés
Ce document indique que les prévenus sont acheminés vers une zone d’enregistrement et qu’avant « chaque audition par des binômes d’enquêtrices et d’enquêteurs, une fouille complète est effectuée par des personnes du même sexe ».
Est-ce à dire que les 69 personnes interpellées ont été fouillées à nu? Interrogée sur ce point, la police cantonale n’est pas en mesure de répondre à cette question.
Selon les informations de la RTS, de nombreux zadistes, en tout cas, ont subi une fouille intime. Parmi ces personnes, Sonja. Cette médecin se définit comme une « sympathisante zadiste ».
Le jour de l’évacuation de la colline du Mormont, elle se rend sur place pour apporter des soins aux blessés éventuels. Quand les policiers lui demandent de s’identifier, elle refuse de donner son nom de famille et elle est alors embarquée.
La police en action lors de l’évacuation de la ZAD du Mormont, le 30 mars 2021. [RTS]
« Si je ne le faisais pas, on allait me forcer »
A La Blécherette, deux policières lui disent d’enlever le haut de ses habits, le bas, de se pencher en avant et d’écarter les fesses. « Je leur ai dit que je ne voulais pas le faire, qu’elles n’avaient pas le droit, qu’il leur fallait un mandat », confie Sonja. « Elles m’ont répondu que c’était la procédure, que c’était obligatoire et que si je ne le faisais pas, on allait me forcer. Pour moi, il n’était pas possible d’imaginer qu’on me force à enlever ma culotte, mais aussi qu’on m’écarte les fesses de force. Alors je l’ai fait de moi-même. »
Un an et demi après cette fouille à nu, Sonja est encore très marquée par ce qu’elle a subi. « Je ne peux pas le comparer à un viol parce que ce n’est pas vraiment comparable. Mais mon sentiment, c’est quand même celui d’avoir été violée », poursuit Sonja.
Dans les jours qui suivent cette fouille, Sonja écrit plusieurs courriers à Béatrice Métraux, alors conseillère d’Etat en charge de la Sécurité, à Jacques Antenen, alors commandant de la police cantonale, ainsi qu’au Ministère public vaudois. Tous ses interlocuteurs, sans exception, lui répondent par écrit que la fouille est justifiée.
Ces réponses ne convainquent aucunement Sonja. Persuadée d’avoir subi un acte illicite, elle décide de saisir la justice. Sa ténacité paie. Dans un arrêt du 14 mars 2022, la Chambre des recours pénale vaudoise reconnaît que la fouille à laquelle elle a été soumise était « disproportionnée ».
Aucun acte de violence
Dans son arrêt, le tribunal dit qu' »au moment où la fouille a eu lieu, il était déjà établi que Sonja était sur place en qualité de médecin. De plus, compte tenu des circonstances, on ne distingue aucun indice sérieux ou concret d’une mise en danger d’elle-même ou d’autrui, aucun acte de violence ne lui étant imputé. Elle n’était en effet suspectée ni de pouvoir attenter à ses jours, ni de porter atteinte à l’intégrité d’autrui, ni par ailleurs de cacher des objets sur elle (…) Dès lors, compte tenu de la jurisprudence, rien ne justifiait que, préalablement à son audition, elle soit amenée à se dévêtir, à s’accroupir et à ce que ses cavités et orifices soient examinés. »
Le cas de Sonja n’est pas isolé. Dans le cadre de son enquête, la RTS a pris connaissance du dossier d’une autre zadiste qui a gagné en justice. Voici ce que le Tribunal de La Côte dit ainsi dans son jugement du 4 octobre 2022: « Si l’on peut entendre qu’il était nécessaire de procéder à une fouille « de sécurité » pour s’assurer qu’elle ne porte pas sur elle d’objet dangereux pour elle ou pour autrui, notamment en vue de sa détention en cellule, les infractions en cause justifiaient difficilement un second examen de sa personne, à nu, ce d’autant plus que son comportement n’était pas problématique. Une simple palpation de l’intéressée par-dessus ses habits afin de déterminer si elle était en possession d’armes ou d’autres objets dangereux aurait été suffisante. De même, la simple confiscation de sa ceinture et de ses lacets aurait permis d’exclure toute mise en danger de sa propre personne ».
Un but dissuasif?
Si les fouilles à grande échelle pratiquées en 2021 par la police vaudoise interpellent, c’est notamment parce qu’en 2019, le Tribunal fédéral a rappelé les règles strictes qui doivent entourer une fouille à nu. Dans son jugement, le TF précise qu' »en l’absence d’indices sérieux et concrets d’une mise en danger de soi-même ou d’autrui, une fouille corporelle imposant à une personne arrêtée, préalablement à son placement en cellule, de se dévêtir et de s’accroupir afin que le policier puisse vérifier la région anale, viole le principe de proportionnalité. »
L’avocat Gaspard Genton, qui défend de nombreux zadistes, se demande si la police n’avait pas un but caché en procédant à toutes ces fouilles. « Ce qu’on peut espérer, c’est que la police n’avait pas pour but de dissuader des manifestantes et des manifestants d’exercer leur droit de manifester. On peine à comprendre le but de cette mesure alors qu’il était clair que les personnes arrêtées ne présentaient un danger ni pour elles-mêmes ni pour autrui », affirme-t-il.
La police a revu sa directive sur la fouille à nu
Mise en cause, la police cantonale, contactée par la RTS, reconnaît « une erreur d’appréciation » dans le cas de Sonja. Mais le porte-parole des forces de l’ordre, Jean-Christophe Sauterel, conteste toute volonté d’intimidation en multipliant les fouilles à nu. « La fouille n’est jamais une opération pour faire pression sur les personnes. C’est vraiment une opération en lien avec la sécurité des lieux et des personnes présentes », assure-t-il.
Le porte-parole explique qu’à la suite de l’arrêt du Tribunal fédéral de décembre 2019, la police a commencé à mettre à jour sa directive concernant les fouilles à nu. « La police cantonale a consulté les corps de police communaux vaudois sur les directives en matière de fouilles afin non seulement de tenir compte de l’arrêt du Tribunal fédéral de 2019, mais aussi de l’évolution de notre société. (…) La nouvelle directive est entrée en vigueur au 1er juin 2022. »
Selon lui, cette nouvelle directive prendrait davantage en compte le principe de proportionnalité. « Aujourd’hui, on a mis dans cette directive, par écrit, le fait que cette fouille doit être proportionnée. Il y a une appréciation qui doit être faite par le policier, qui doit avoir des indices que la personne peut représenter un danger pour les policiers, pour les tiers ou pour elle-même, qu’elle pourrait avoir des objets dangereux ou des armes cachées », dit-il.
Les avocats des zadistes prennent note de cette annonce, mais assurent qu’ils resteront très attentifs à l’utilisation de cette pratique controversée par la police cantonale vaudoise.
Fabiano Citroni – Pôle enquête/ther