Les liens qu’entretiennent les candidates et candidats au Conseil fédéral avec les associations ou entreprises ne sont pas anodins: dans notre système de parlement de milice, les risques de conflits d’intérêts ne sont jamais très loin. Sans surprise, c’est le candidat UDC Albert Rösti qui suscite le plus de curiosité.
Il y a peu, la mention de Swissoil figurait en bonne place sur la page personnelle du candidat à la succession d’Ueli Maurer, Albert Rösti. Il est vrai qu’être président de l’organisation faîtière des négociants en combustibles en Suisse, ça vous pose un parlementaire. Mais entre le mois d’août et le mois d’octobre 2022, cette ligne a tout simplement disparu du site officiel du prétendant au gouvernement. Si celui que les médias présentent comme le prince des lobbyistes a choisi fort opportunément de nettoyer son CV, c’est peut-être signe que celui-ci pourrait s’avérer un peu trop encombrant pour la Coupole.
Un parlementaire influent
En l’espace de dix ans, Albert Rösti s’est mué en véritable politicien professionnel. Avec seize mandats dont treize rémunérés, il est aujourd’hui l’un des représentants d’intérêts les plus impliqués du Parlement. Ses domaines de prédilection? L’énergie, les transports et l’agriculture.
S’il n’est plus président de Swissoil depuis cet été, Albert Rösti est toujours président d’Auto-Suisse et membre du comité de Routes Suisses, président de plusieurs faîtières et associations, mais aussi membre du conseil d’administration du Grand Casino Kursaal de Berne, membre du Conseil d’administration d’une banque et même président de la Fédération suisse du cheval franches-montagnes. Sans oublier que le candidat UDC est toujours maire d’Uetendorf et possède sa propre entreprise de consulting. Un joyeux fourre-tout.
Besoin de transparence
Combien d’argent a-t-il touché de Swissoil? Combien d’Auto-Suisse? A quel point les sommes perçues peuvent-elles peser sur sa politique? Sollicité, l’intéressé n’a pas souhaité répondre à nos questions. Pour Martin Hilti, directeur de Transparency Suisse, le manque de transparence dans les rémunérations des mandats des politiciens est un problème majeur.
Il milite pour une obligation légale de les rendre publiques: « C’est un phénomène relativement nouveau, si bien que le législateur n’a pas eu le temps de s’adapter. Pourtant ces mandats impliquent d’éventuels conflits d’intérêts. Il faut absolument éviter les dépendances problématiques, qui sont un poison pour la démocratie. Les lobbyistes les plus puissants sont les parlementaires eux-mêmes. Plus il y a d’argent en jeu, plus il y a un risque qu’ils défendent les intérêts des entreprises au lieu de ceux de la population. »
Moins de mandats rémunérés
Les candidates socialistes Eva Herzog et Elisabeth Baume-Schneider possèdent elles aussi de nombreux mandats. La Bâloise annonce douze liens d’intérêts, essentiellement dans les milieux associatifs et culturels, dont deux sont rémunérés: elle est présidente de Coopératives d’habitation Suisse et présidente du conseil d’administration de la société Electricité de la Lienne SA.
Sa concurrente jurassienne compte quant à elle le même nombre de mandats qu’Albert Rösti, soit seize au total, quasi exclusivement dans les domaines de l’éducation, la culture ou le social, dont quatre rémunérés. Parmi eux, la co-présidence de l’association Alliance-Enfance ou la vice-présidence de la Conférence suisse des institutions d’action sociale (CSIAS).
Un phénomène lié au système de parlement de milice
« Ce phénomène de mandats est inhérent à notre système, assure Louis Perron, politologue et conseiller en campagne politique. Aujourd’hui, une majorité des membres du Parlement cumulent de la politique locale, des mandats de lobbying, des mandats associatifs et des mandats politiques. Les Suisses aiment le mythe du parlement de milice. Mais il y a une différence notable entre les courants: la gauche fait plutôt du lobbying pour des idées, tandis que la droite fait du lobbying pour des intérêts économiques. M. Rösti en est l’incarnation. »
Son concurrent UDC dans la course au Conseil fédéral, Hans-Ueli Vogt, affiche « seulement » quatre liens d’intérêts, tous non rémunérés.
Le précédent Cassis
« Le principal problème, c’est l’argent, poursuit le politologue. C’est une chose de faire du lobbying pour une idée, c’en est une autre d’utiliser son influence pour une valeur monétaire. Dans le cas de M. Rösti, on s’aperçoit que beaucoup de ses interpellations au Parlement sont en lien avec ses mandats. Si un parlementaire gagne plus grâce à ses liens d’intérêts qu’avec son mandat politique, alors on ne peut plus garantir son indépendance. C’est un souci de pouvoir accéder aux plus hautes fonctions exécutives sans avoir été transparent sur les aspects financiers de ses mandats de lobbying. Et c’est pourtant ce qui va probablement se passer. »
Le PLR Ignazio Cassis, lié aux assurances maladie avant d’accéder au Conseil fédéral, avait dû se défendre de tout manque potentiel d’indépendance. Il avait alors déclaré: « Dans notre parlement de milice, chaque membre est censé avoir une activité professionnelle à côté. Je suis médecin, il est assez normal que je sois actif dans le système de santé. J’ai eu différents rôles et j’en ai toujours, dont celui-ci. Je ne l’ai jamais caché. »
Le Tessinois avait par ailleurs misé sur la transparence, en dévoilant le montant de ses revenus à la tête de Curafutura: 180’000 francs par an, depuis mi-2013.
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Cécile Denayrouse