Pour les offres du week-end, l’augmentation prendra effet à partir de la fin de la première semaine de janvier. « Ça nous laisse encore un peu de temps », sourit la retraitée dans un haussement d’épaules. Malgré la hausse de prix, Louise restera une cliente fidèle de la petite boutique verte surplombée par les rails de la ligne 6. « De temps en temps, on lit sur Internet, mais ça n’est pas pareil. La sensation du papier, pour moi, c’est important, et ça ne se remplace pas ».
Alors que le journal La Croix ou encore Libération atteignent aujourd’hui les 2,70 euros, les kiosquiers ne se font pas de mauvais sang. « Les gens sont attachés aux titres auxquels ils sont habitués », affirme Desai, installé à l’angle de l’Avenue Bosquet. Fort de son expérience, le quadragénaire sait que la hausse des tarifs n’impactera que très peu l’activité de son kiosque. « Durant les premières semaines qui suivent ce changement, on vend un peu moins. C’est normal, les gens sont en colère, et ils veulent le montrer. Mais très vite, ils reviennent », explique-t-il du haut de son tabouret.
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Mais inévitablement, certains manquent à l’appel. Dans le 18ème arrondissement, Dany Hadj se désole de ne plus voir certains visages familiers passer la porte automatique de son bureau de tabac depuis quelques temps. Pas plus tard que ce matin, il a vu un client tourner les talons et s’en aller à l’annonce du prix de son journal. La faute, probablement, aux vieilles habitudes qu’il ne faut pas bousculer.
« Les lecteurs savent à l’avance combien ils devront régler. Quand ils entrent, ils ont généralement préparé le compte. C’est délicat de leur annoncer qu’en fait, il manque 20 centimes », explique l’homme, posté devant son comptoir.
Leurs habitudes ou rien
Et pourtant, sur ses étagères, tous les quotidiens ne dépassent pas la barre des 2 euros. Le Parisien, qui avait déjà appliqué une hausse de 10 centimes en septembre, passant ainsi à 1,90 euros, a décidé d’en rester là en ce début d’année 2023. Mais les lecteurs de presse semblent peu enclins à trahir leurs titres favoris, quitte à ne rien lire du tout. « Si un client veut un titre, il ne lira pas autre chose. Quand il estime que c’est devenu trop cher, il arrête de le prendre et c’est tout », explique Dany Hadj.
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Plus qu’avec la marque d’un journal, certains lecteurs tissent aussi des liens avec les journalistes qui en noircissent les pages. « Moi, ceux que j’aime par-dessus-tout, ce sont les journalistes du journal La Croix. Ce sont les meilleurs journalistes de France! », rigole Daniel, retraité. Avec sa compagne, ils sont venus adresser leurs vœux de bonne année à leur kiosquier situé sur l’avenue du Général-Leclerc, dans le 14ème arrondissement, mais ils repartiront les mains vides. « En vieillissant, on a d’autres dépenses, notamment des dépenses de santé. Aujourd’hui on achète encore, mais bien moins qu’avant », explique-t-elle, un rictus de regret se dessinant sur son visage. « Mon père m’avait légué l’habitude d’acheter toute la presse, de gauche à droite. Ça me manque un peu de comparer, de lire entre les lignes pour me faire ma propre opinion ».
Embarrassée à l’annonce du prix, une autre cliente déclare forfait. Emmitouflée dans un long manteau noir, elle promène son regard sur les différentes Unes exposées, avant de lancer, comme pour s’excuser: « Tant que le papier existe, j’en achèterai, je suis totalement accro. Mais là ça commence à faire beaucoup, donc j’espace mes achats ».
+161% depuis 2010
Avec des prix – comme celui du Figaro – qui ont parfois gonflé de 161% depuis 2010, c’est l’avenir du papier sur le long terme qui inquiète le plus les kiosquiers. « Il y a vingt ans, un ancien collègue kiosquier, aujourd’hui à la retraite, vendait en moyenne 200 exemplaires du Figaro par jour, aujourd’hui, nous, on n’en vend à peine 4″ dit-on du côté de l’avenue du Général-Leclerc.
Dans le 7ème ou encore le 15ème arrondissement, ce sont Libération ou encore l’Humanité, qui souffrent le plus. Pourtant, sur le Web, leur situation est toute autre. Certains titres, comme Le Monde ou encore L’Équipe, y dépassent les 300.000 abonnés. Rien d’étonnant pour Gérard. « 20 centimes par-ci, 30 par-là, au bout du compte, même ceux qui y étaient réticents commencent à entrevoir l’utilité économique des abonnements numériques », résume-t-il, entre deux poignées de main et le sourire au lèvres, pour, dit-il, « garder au moins les clients qui lui sont encore fidèles ».