Plusieurs milliers de femmes établies en Suisse ont été victimes d’excision dans leur pays d’origine. L’une d’entre elles, qui a bénéficié d’une opération chirurgicale à Genève, témoigne de la réparation de son traumatisme, vécue comme une renaissance.
D’origine malienne mais née en France, Manamba Konaté a été excisée à l’âge de quatre ans. Elle a pu retrouver la part de féminité qui lui avait été retirée de force grâce à une chirurgie reconstructive pratiquée l’été dernier aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG).
Et cette opération a changé sa vie. « Elle change beaucoup de choses en termes psychologiques, mais déjà physiques. Le clitoris, mon clitoris, n’était pas visible. Et là, il est visible. Je pense avoir gagné cette bataille », confie-t-elle dimanche dans le 19h30.
L’intervention a été pratiquée par la doctoresse Jasmine Abdulcadir, du département de gynécologie et obstétrique des HUG. Depuis bientôt dix ans, elle répare les femmes excisées qui le souhaitent. Il s’agit d’un acte chirurgical remboursé par la LaMal et qui ne nécessite pas d’implant.
Rendre sa visibilité au clitoris
« La chirurgie consiste à enlever la cicatrice de la peau, à aller chercher cette partie qui est attachée à travers un ligament à l’os du pubis », explique-t-elle. « Comme ça, on peut tirer en position plus visible, plus accessible, ces tissus et les rendre sous forme de ce qui est parfois le néo-clitoris. En fait c’est l’ancien clitoris. »
Et juste après l’acte, je me souviens encore qu’il y avait ces femmes qui chantaient pour me dire que j’étais devenue pure, que j’étais une femme
Réparer une excision revient aussi à réparer un traumatisme. Manamba Konaté garde des souvenirs douloureux de son excision lors de vacances dans son pays d’origine, le Mali. « Des souvenirs horribles où on me tient par force, on me plaque à même le sol », décrit-elle. « Et juste après l’acte, je me souviens encore qu’il y avait ces femmes qui chantaient pour me dire que j’étais devenue pure, que j’étais une femme. »
Peut-être 22’000 femmes en Suisse
En Suisse, l’excision est interdite et combattue par des ONG comme Caritas. L’immense majorité des femmes excisées et domiciliées ici ont été mutilées dans leur pays d’origine, dans la corne de l’Afrique ou en Egypte essentiellement.
Quelque 22’000 femmes seraient concernées, selon les statistiques. Mais il est difficile d’être précis.
« Nous ne pouvons faire que des extrapolations avec les populations étrangères en Suisse », souligne Denise Schwegler, qui est en charge du service de prévention contre l’excision chez Caritas Suisse. « Nous les faisons en tenant compte des pratiques en vigueur dans les pays de provenance. Nous sommes obligés de procéder ainsi parce que nous n’avons pas de système national de monitoring qui collecte toutes les données sur ce thème. »
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Mettre en défaut l’argumentaire patriarcal
L’excision n’a rien à avoir avec l’islam: il n’en est pas fait mention dans le Coran. C’est en revanche une arme pour maîtriser les femmes dans les sociétés patriarcales.
En partenariat avec les HUG, Abdoulaye Doro Sow, professeur à l’Université de Nouakchott, en Mauritanie, a élaboré une brochure pour mettre en défaut l’argumentaire utilisé pour justifier ces mutilations. Dans son pays, il a sauvé des centaines de fillettes.
« J’ai mis au point ce qu’on appelle la contre-argumentation culturelle », explique-t-il. « Je demande aux femmes: pourquoi le faites-vous? Elles me disent qu’une femme qui n’est pas excisée n’est pas apte à la prière, qu’elle risque d’avoir un enfant en dehors du mariage, qu’elle ne peut pas préserver sa virginité. On leur montre que c’est faux. »
« Je croque la vie à pleines dents »
La réparation de Manamba Konaté est une revanche sur sa vie, un tournant avec son passé. « J’ai l’impression de renaître et je croque la vie à pleines dents parce que c’est derrière moi. Je vis très bien la situation. »
En acceptant de parler de sa réparation, elle montre un chemin possible pour des milliers de femmes mutilées.
Claude-Olivier Volluz/oang