in

En Tunisie, la consommation de vin se féminise

En Tunisie, la consommation de vin se féminise


Pour ne rien manquer de l’actualité africaine, inscrivez-vous à la newsletter du « Monde Afrique » depuis ce lien. Chaque samedi à 6 heures, retrouvez une semaine d’actualité et de débats traitée par la rédaction du « Monde Afrique ».

Une femme récolte du raisin dans le vignoble Neferis de la région viticole de Grombalia, à quelque 40 kilomètres au sud-est de la capitale Tunis, en septembre 2016.

Dans les vignes du domaine Neferis, en banlieue de Tunis, les vendanges sont déjà presque achevées. Sous le soleil de la mi-septembre, des ouvrières agricoles s’activent pour cueillir les dernières grappes. Selon Mohamed Ben Cheikh, à la tête du domaine et président de la chambre syndicale des boissons alcoolisées, la récolte de l’année est sucrée, donc satisfaisante, en particulier pour sa clientèle féminine qui ne cesse de croître depuis la révolution. Parmi ses nouveaux cépages, le verdejo, un blanc sec rehaussé d’agrumes, lui est spécifiquement destiné.

Rached Kobrosly, œnologue du domaine Neferis, évoque une augmentation de la clientèle féminine de 30 à 40 % ces dernières années. Pour profiter de cette tendance, « nous avons adapté certains vins, en déclinant des gammes de rosé, prisées des femmes, en changeant aussi l’étiquetage pour le rendre plus attractif », explique le spécialiste.

Lire aussi Le « legmi », secret bien gardé du sud de la Tunisie

Fares Ben Mahmoud, 26 ans, œnologue aux Celliers de Montfleury, a lui aussi développé la marque depuis un an pour l’adapter à cette nouvelle demande. « 63 % de notre clientèle est féminine et jeune, entre 25 et 40 ans », explique-t-il.

« Nous ne savons pas si c’est lié à un phénomène de libéralisation post-révolution ou à une augmentation de la consommation en général mais les femmes consomment plus qu’avant », assure Mohamed Ben Cheik, qui produit des vins AOC (Appellation d’origine contrôlée). Selon l’œnologue Rached Kobrosly, le phénomène est également lié à la multiplication des espaces « lounge » dans les villes tunisiennes, « plus sophistiqués qu’un bar populaire et qui correspondent mieux à une clientèle féminine ».

« Une niche en partie tunisoise »

Car si la Tunisie est le plus gros consommateur d’alcool parmi les pays arabes, selon les chiffres de l’Organisation mondiale de la santé (12,82 litres par an et par adulte), le marché des vins et spiritueux reste relativement tabou dans un pays où la population est en grande majorité de confession musulmane.

De plus, l’octroi des licences d’alcool pour les débits de boissons est soumis à un cahier des charges stricte. Résultat : le vin se trouve certes en grandes surfaces mais aussi dans des dépôts et certains bars. Des lieux où il est souvent délicat pour les femmes de se montrer en train d’acheter de l’alcool et encore plus d’en boire.

L’augmentation du nombre d’amatrices de vin s’est ainsi accompagnée de la naissance de lieux plus adaptés. Dans le quartier de la Goulette à Tunis, le gérant de la cave Le Progrès a ouvert à côté de son dépôt un magasin ayant pignon sur rue. Les bouteilles d’alcools sont disposées sur les étagères et non pas dans des caisses en vrac, un coin fromage permet aussi d’associer l’achat à la dégustation. « Nous voulions faire quelque chose d’attractif, un endroit où les femmes se sentent à l’aise », explique le gérant qui a souhaité rester anonyme. La caisse est également tenue par une jeune femme et tout un étage est consacré au vin.

Lire aussi : En Tunisie, des pénuries alimentaires à répétition

Le phénomène doit toutefois être relativisé, souligne Didier Cornillon, œnologue et cogérant du domaine Kurubis, pour qui « il reste très circonscrit à Tunis et aux villes balnéaires ». « Le vin tunisien reste cher par rapport à la bière. La consommation féminine est une niche en partie tunisoise, et suffisamment aisée pour pouvoir se permettre cette dépense », poursuit-il.

Propriétaire d’une maison d’hôtes à Hammamet (Est), Amel Djait organise souvent des tables d’hôtes avec découverte des produits du terroir, dont les vins tunisiens, à l’image de ce qui se fait de plus en plus dans le secteur touristique. « On voit que de nombreux établissements organisent des soirées “ladies only”, avec des forfaits particuliers proposés aux femmes », explique Mme Djait.

Aucune femme productrice ou exploitante

Dans la même veine, Habiba Bennani, qui tient l’atelier de cuisine 1001 et saveurs depuis onze ans à Tunis, a lancé des ateliers d’œnologie. « La clientèle y est beaucoup plus féminine que masculine. Il y a un intérêt à connaître les cépages, savoir quel vin va avec quel plat », constate-t-elle. Myriam, 47 ans et médecin, a souhaité garder l’anonymat mais dit être une passionnée « de l’histoire des vins et des cépages ». Après avoir participé à plusieurs dégustations, elle a aussi pu aller dans des salons du vin et des formations. « Je trouve mon compte en Tunisie, il y a plus de variétés qu’avant dans les vins locaux et nous avons aussi accès aux vins étrangers », explique l’amatrice.

Malgré cette nouvelle donne, dans la vingtaine de caves – privées et coopératives – qui existe en Tunisie, aucune ne compte de femme productrice ou exploitante de vignoble. La profession est majoritairement masculine alors que, dans les vignes, près de 80 % de la main-d’œuvre agricole est féminine.

Lire aussi : En Tunisie, un décret-loi menace la libre expression

Mohamed Ben Cheikh pousse pour dépasser les préjugés sociétaux et moraux et aller vers plus de parité. Lui-même assure employer 50 % de femmes dans la vinification et l’administration de son domaine. De son côté, Didier Cornillon, du domaine Kurubis, a engagé, il y a un mois, une ingénieure en qualité pour travailler à ses côtés. « Elle ne boit pas mais cela ne pose aucun souci », précise-t-il sans nier l’ampleur de la tâche. L’une de ses précédentes employées avait dû arrêter après son mariage « car son mari refusait qu’elle travaille dans le domaine du vin à cause de sa religion ».

Selon Habiba Bennani, la jeune génération pourrait accélérer un renouvellement du secteur. L’entrepreneuse dit voir de plus en plus de femmes tunisiennes se spécialiser dans l’œnologie à l’étranger mais aussi d’étudiantes en agronomie, en Tunisie, choisir la filière de la vigne. Des jeunes femmes sont également engagées comme sommelières ou assistantes par des caves. « On n’en est encore qu’aux débuts, mais c’est prometteur », estime-t-elle.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

L'"autobiographie impersonnelle" d'Annie Ernaux, prix Nobel de littérature

L' »autobiographie impersonnelle » d’Annie Ernaux, prix Nobel de littérature

Infestations de rats et souris en forte croissance à Québec

Infestations de rats et souris en forte croissance à Québec