Le Trans-Saharan Gas Pipeline (TSGP) a été conçu en 1980 pour relier le Nigeria à l’Algérie en passant par le Niger. Sa longueur est évaluée à 4 128 km et sa capacité annuelle à 30 milliards de mètres cubes, pour un coût estimé à 13 milliards de dollars. À l’origine, le projet semblait prometteur. Mais, quarante ans plus tard, il est au point mort. À cela, deux raisons. D’abord, à partir de la fin des années 1980, les cours du gaz se sont effondrés et, avec eux, la puissance financière d’Alger et d’Abuja. Ensuite, les événements d’octobre 1988 et la décennie noire ont paralysé toute velléité d’investissement en Algérie, aggravant la situation.
À Lire
Maroc-Algérie : la bataille décisive des gazoducs est lancée
Quelques années après la réconciliation nationale, menée sous la présidence d’Abdelaziz Bouteflika, des raisons politiques bloquent la réactivation de ce projet. Entre 2010 et 2016, Sonatrach a essuyé pas moins de quatre scandales de corruption, ce qui a provoqué un important turnover à la tête de la société d’État et a entravé toutes ses initiatives, ses dirigeants redoutant qu’elles soient instrumentalisées au moment où la justice devait se pencher sur ces affaires. Enfin, en 2019, le mouvement de contestation du hirak a paralysé le pays pendant un peu plus d’un an.
Offensive marocaine
C’est précisément en 2016, quelques mois après l’éclatement de l’affaire Sonatrach 4, que le roi Mohammed VI, lors d’une visite officielle au Nigeria, a annoncé, avec le président Muhammadu Buhari, le lancement du Nigeria-Morocco Gas Pipeline (NMGP), devant relier le Nigeria à l’Europe en passant par le Maroc.
Sa longueur est évaluée à 5 660 km, dont une grande partie en offshore. Son coût est estimé à 25 milliards de dollars. Plus cher, plus long et plus complexe que son concurrent TSGP, ce projet avance néanmoins à un rythme soutenu et séduit davantage.
Des projets de gazoducs d’une telle envergure doivent faire l’objet de nombreuses évaluations techniques, recueillir des financements conséquents et reposer sur des partenariats économiques. Bien sûr, leur mise en œuvre revêt une dimension éminemment diplomatique. Ils doivent donc être suivis de près par les gouvernements des pays concernés si l’on ne veut pas qu’ils se perdent dans les méandres de l’administration.
Or, sur ce point, le Maroc bénéficie d’un avantage certain sur son voisin. Le projet NMGP émanant d’une volonté royale, tout l’exécutif est mobilisé sur ce dossier. En Algérie, et bien que la nomination du PDG de Sonatrach relève de la présidence, les guerres de clans au sein de cette société paralysent toute initiative et ne permettent pas de créer la synergie nécessaire entre cette dernière et le ministère de l’Énergie.
À Lire
L’Algérie peut-elle relancer le gazoduc transsaharien ?
Le deuxième avantage du Maroc réside, paradoxalement, dans le tracé du NMGP. Bien que son coût soit supérieur à celui du TSGP, son caractère offshore garantit une plus grande sécurité à ses infrastructures. En Afrique plus encore qu’ailleurs dans le monde, les gazoducs terrestres sont en effet souvent sujets à des sabotages, et le Nigeria, qui en subit de nombreux, est particulièrement sensible à cet aspect. Le TSGP, lui, passerait par des zones moins sûres : le nord du Nigeria et le Niger, où des groupes jihadistes et des mercenaires sévissent depuis le Mali voisin.
Quel financement ?
Enfin, le TSGP prévoit un financement tripartite, et proportionnel à la longueur du tracé dans chacun des pays. Le Niger n’est pas en mesure de financer un tel projet, qu’il ne considère plus comme prioritaire pour son développement. L’Algérie, qui est censée en financer la majeure partie, ne semblait plus pouvoir le faire dans les années 2018-2020.
Le Maroc a, quant à lui, proposé au Nigeria de faire appel à des financements privés afin de réduire la part qui incombe aux États. Le savoir-faire de Rabat pour attirer les investissements directs étrangers (IDE) et la puissance des banques marocaines, très présentes sur le continent, ont fini par convaincre Abuja de la faisabilité du projet, malgré son coût élevé.
À Lire
Gazoduc transsaharien : Alger, Abuja et Niamey matérialisent leur engagement
C’est ainsi qu’en 2020, le NMGP a changé de dimension. D’accord bilatéral il est devenu projet régional après que la Cedeao a officiellement appelé le Nigeria à le favoriser. En 2022, la Banque islamique de développement et le fonds souverain de l’OPEP ont annoncé qu’ils financeraient en partie la deuxième étude de faisabilité. Quelques mois plus tard, la compagnie nationale pétrolière du Nigeria signait avec la Cedeao un accord pour la construction de ce gazoduc, faisant fusionner ce projet avec celui de la West African Gas Pipeline Company (WAPCo).
Tentant de renverser la vapeur, Alger a alors multiplié les contacts ministériels avec Abuja. Les deux capitales se sont accordées sur la nécessité de poursuivre la réalisation du TSGP et ont signé une feuille de route. Cependant, il y a quelques mois, interrogé par la chaîne de télévision Bloomberg sur la manière dont son pays envisageait d’augmenter ses exportations de gaz vers l’Europe, le chef de l’État nigérian a déclaré que le Royaume-Uni et l’UE devaient financer le NMGP, penchant donc clairement en faveur du Maroc.
À Lire
Nigeria-Maroc : le projet de gazoduc franchit une étape décisive
De fait, la reconfiguration de la géopolitique du gaz provoquée par la guerre en Ukraine a poussé encore davantage Abuja dans les bras de Rabat. En fermant le Gazoduc Maghreb-Europe (GME), en réduisant ses livraisons de gaz à l’Espagne et en menaçant Madrid de restrictions commerciales du fait de son positionnement jugé pro-marocain, l’Algérie a fini par écorner son image de partenaire fiable. Alors que la Commission européenne cherche à fuir les conditions que pose la Russie en échange de ses livraisons de gaz, Alger semble agir de la même manière que Moscou pour peser sur la question du Sahara.
Pressions contreproductives
En somme, les pressions qu’Alger a exercées sur Madrid ont favorisé Rabat. En outre, du fait de l’arrêt du GME, le Maroc devient légalement propriétaire du gazoduc qui le relie à l’Espagne, ce qui constitue un atout considérable pour le NMGP.
À Lire
Maroc-Algérie : le mirage des gazoducs
Enfin, durant l’été 2022, la directrice générale de l’Office national des hydrocarbures et des mines (ONHYM) a annoncé être en pourparlers avec l’Europe à propos de ce gazoduc. Quelques semaines plus tard, l’Algérie annonçait que son armée participait à un exercice militaire conjoint avec la Russie, ce qui a fini de l’arrimer dans le camp de Moscou. Le positionnement diplomatique d’Alger et son soutien sans faille au Polisario ont abouti à favoriser les intérêts économiques et géostratégiques du royaume chérifien. Ce n’était pas vraiment l’effet recherché.