L’acte final du coup d’Etat a été expédié en catimini. Vendredi 21 octobre, le capitaine Ibrahim Traoré, instigateur du putsch qui a renversé le lieutenant-colonel Paul-Henri Damiba, le 30 septembre, a été investi président du Burkina Faso par le Conseil constitutionnel, devant quelques dizaines d’invités. Aucun diplomate ni journaliste n’a été convié à cette cérémonie – que la présidence a voulue « sobre » – consacrant l’installation du capitaine de 34 ans dans le fauteuil de président jusqu’à l’organisation d’élections prévues en juillet 2024.
Les assises nationales au cours desquelles le putschiste a été désigné président, le 14 octobre, s’étaient elles aussi transformées en simple formalité. Organisées seulement deux semaines après sa prise de pouvoir, elles ont regroupé quelque 350 membres des « forces vives de la nation », qui ont eu trois heures pour lire la nouvelle charte de transition, la discuter et la valider par acclamation à l’unanimité. Une précipitation qui traduit la volonté du jeune capitaine d’asseoir rapidement un pouvoir qui demeure fragile.
Près de la moitié des participants (syndicalistes, responsables politiques, sécuritaires, coutumiers et religieux) appartenaient soit aux forces de défense et de sécurité, soit au Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration, l’organe dirigeant de la junte. A l’issue de cette réunion, qui s’est tenue à huis clos, Ibrahim Traoré a lui-même signé l’acte confirmant sa désignation.
Dans les jours suivant son putsch, le capitaine s’était pourtant montré plus réticent à l’idée de conserver le pouvoir après les assises. « Pourquoi continuer ? Nous ne sommes pas venus pour continuer », avait-il assuré dans une interview à Radio France internationale, le 3 octobre.
Confirmer l’« appui » de la rue
Pour l’heure, le parcours politique de celui que les Burkinabés surnomment déjà « IB » fait l’objet de débats. Certaines sources sécuritaires dépeignent un militaire animé depuis longtemps par le souhait de prendre le pouvoir, et ayant, du reste, déjà pris part au coup d’Etat perpétré contre le président Roch Marc Christian Kaboré aux côtés du lieutenant-colonel Damiba en janvier.
D’autres estiment qu’il a été en réalité contraint de conserver le pouvoir pour assurer sa propre sécurité. Lors du putsch du 30 septembre, les camps pro-Traoré et pro-Damiba ont frôlé l’affrontement, signe que le capitaine « n’a pas les coudées franches au sein de l’armée, souligne Mathieu Pellerin, analyste au sein de l’International Crisis Group. Même si la hiérarchie militaire a fini par l’assurer de son soutien, les relations ne sont toujours pas bonnes avec un certain nombre de hauts gradés. Lâcher le pouvoir, c’était aussi peut-être s’exposer au risque que ces hommes lui fassent payer son putsch. »
Pour assurer son assise, le militaire originaire de la province de la Boucle du Mouhoun, dans le nord-ouest du pays, tente de se construire une légitimité populaire. Lors du coup, déjà, Ibrahim Traoré avait « trouvé avec la rue l’appui qui lui manquait au sein des troupes pour renverser Damiba », précise M. Pellerin. Le 1er octobre, le capitaine avait levé le couvre-feu instauré la veille et invité par voie de communiqué « le vaillant peuple burkinabé à une veille patriotique, une mobilisation totale et constante afin de s’opposer aux forces obscurantistes ».
Le même jour, une de ses déclarations lue à la télévision d’Etat, indiquant que « le lieutenant-colonel Paul-Henri Damiba se serait réfugié au sein de la base française à Kamboinsin, en mesure de planifier une contre-offensive », et soulignant sa « ferme volonté d’aller vers d’autres partenaires prêts à aider dans la lutte contre le terrorisme », avait convaincu les manifestants de sortir dans les rues de Ouagadougou, où le ressentiment contre la présence française croît depuis des mois. Des centaines de Burkinabés, quelques-uns avec un drapeau russe à la main, avaient alors affiché leur soutien au capitaine Traoré. Certains s’étaient attaqués à des signes de la présence française, notamment l’ambassade.
« Cette communication a été faite à dessein. Ils [les putschistes] ont utilisé des mots-clés, des thématiques auxquelles le peuple est sensible, pour inciter les jeunes à les soutenir », souligne Serge Bayala, militant de la société civile et membre du Balai citoyen, une association qui fut en première ligne des manifestations ayant conduit à la chute du président Blaise Compaoré lors de l’insurrection populaire de 2014.
Situation sécuritaire très grave
Parmi ces mots d’ordre figurait la sempiternelle référence à l’ancien président révolutionnaire Thomas Sankara, icône panafricaine assassinée avec la complicité de l’ex-président Blaise Compaoré en 1987, adulé par les Burkinabés, mais souvent récupéré par les responsables politiques. Dans les discours prononcés par Ibrahim Traoré depuis sa prise de pouvoir, les références aux idéaux nationalistes du « Che Guevara africain » sont nombreuses.
Sa première visite officielle lui a été consacrée. Le 15 octobre, le jeune putschiste s’est rendu au mémorial Thomas-Sankara de Ouagadougou et y a reçu un « flambeau de la révolution ». Un acte symbolique fort, supposé illustrer la volonté du nouveau chef de l’Etat de poursuivre « la mise en œuvre de l’idéal Sankara », selon la présidence.
Le discret « IB » n’avait pas pris la parole ce jour-là, son visage toujours caché par son tour de cou, mais il a été acclamé par la foule. Son âge (34 ans), son grade de capitaine, comme Sankara lors de son putsch, et ses premiers discours empreints de références révolutionnaires ont suffi pour que certains jeunes voient en lui une « réincarnation de Sankara ».
Pour Serge Bayala, cet hommage rendu est « un bon signal » envoyé par le nouveau président, mais l’activiste n’est pas dupe : « Sankara est devenu un gadget politique qui fonctionne dans la bouche de n’importe qui. Vivement que tout ce tralala de coup d’Etat soit clos pour que l’on voie si, dans sa politique, il y a un contenu derrière les éléments de langage. »
Comme la plupart des Burkinabés, le militant attend surtout que le motif avancé pour justifier ce coup d’Etat – le manque de résultats de son prédécesseur en matière de lutte antiterroriste –, se concrétise. Si un recrutement spécial de 3 000 militaires a été annoncé le 17 octobre, la situation sécuritaire continue de se détériorer.
Le 15 octobre, au moins trois soldats et huit supplétifs civils de l’armée ont été tués lors d’une attaque djihadiste présumée à Bouroum, dans le nord du pays, faisant monter le nombre de morts à plus de 3 350 depuis le début de l’année, selon l’ONG Armed Conflict Location and Event Data Project. A une centaine de kilomètres de là, à Djibo, ville sous blocus djihadiste depuis plus de sept mois, quelque 300 000 personnes prises au piège continuent d’être affamées.
« Il ne suffit pas de prendre le pouvoir (…) Vous êtes venus pour redresser la barre, sachez que vous avez une obligation de résultat », a averti Bouraïma Cissé, président par intérim du Conseil constitutionnel, face au putschiste devenu président, ce 21 octobre. « Pour ma nation, je me battrai jusqu’au dernier souffle », a rétorqué le capitaine, avant d’inviter les forces de sécurité à « taire certaines querelles, parce que l’ennemi en face est beaucoup plus uni ».