La veille de cette 7e étape, le manager d’une équipe rivale de la Movistar d’Annemiek van Vleuten avait une idée précise du scénario du jour : « Si elle est bien, elle va attaquer dès le premier col et tout faire péter. » La Néerlandaise est aussi prévisible qu’irrésistible. Ce samedi 30 juillet, elle n’a pas écrasé le Tour de France Femmes. Non, elle l’a plutôt éparpillé, dynamité, soufflé, et ses rivales avec, lors de cette étape alsacienne entre Sélestat (Bas-Rhin) et la station du Markstein (Haut-Rhin). Une vraie, une belle étape de montage avec plus de 3 000 mètres de dénivelé positif en 127,1 kilomètres. De celles promises aux livres d’histoire de la discipline.
Les écarts renvoient d’ailleurs à d’autres temps… et des images en noir et blanc : des chevauchées à travers col des Coppi, Gaul ou Bahamontes, quand le cyclisme était plus une question de minutes que de secondes. Contemplez plutôt les écarts : sa compatriote Demi Vollering (SD Worx) termine à 3 min 26 s après avoir eu l’audace et les jambes de suivre Annemiek van Vleuten dans le Petit Ballon ; la Danoise Cecilie Uttrup-Ludwig (FDJ-Suez-Futuroscope) franchit la ligne 5 min 16 s plus tard, juste devant la Française Juliette Labous (DSM), épatante 4e de l’étape et au général.
🤯 Alone in the lead for the last 60km, 🇳🇱@AvVleuten wins the stage and takes the Yellow Jersey! 💛
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Officiellement, la nouvelle maillot jaune est née à… Vleuten le 8 octobre 1982. Evita Muzic a cependant un doute. « Elle doit venir d’une autre planète », avance la Française comme seule explication rationnelle à cette poursuite infructueuse derrière la gagnante de l’étape. « On était cinq à rouler et on ne ménageait pas notre peine, pourtant elle n’arrêtait pas de nous prendre du temps », raconte la coureuse de FDJ-Suez-Futuroscope exténuée à l’arrivée mais bien partie pour terminer dans les dix premières de ce Tour – pour l’instant, elle est 9e.
Devant le car de la Movistar, on a les « vamos » tonitruants et la satisfaction du plan déroulé sans accroc. Tout d’abord chez Sebastian Unzué. Le directeur général de la formation espagnole l’avoue maintenant, sa cheffe de file était une proie facile en début de semaine, la faute à des problèmes gastriques. « Elle a passé des journées très difficiles et nous avec, confie-t-il. Je ne sais pas trop l’expliquer, mais les autres équipes n’ont pas été capables de le voir et d’en profiter. »
« Six jours d’attente, de survie et de récupération »
Tant pis pour elles. Annemiek van Vleuten, elle, attaque et frappe sans sommation. Sans attendre non plus le début de la retransmission télé. Heureusement, Aude Biannic était bien placée pour voir le décollage de la fusée néerlandaise au pied du Petit Ballon. La Bretonne de la Movistar raconte la mise à feu : « Je suis allée dans une échappée de trente filles, j’ai roulé à mon rythme pour attendre Annemiek. Une fois qu’elle est revenue dans ma roue, j’ai essayé d’imprimer le plus gros rythme que je pouvais sur un gros kilomètre. Ensuite, elle est partie. C’était le plan et on l’a respecté à la lettre. »
Loin derrière, Marianne Vos a compris que ce n’était pas sa guerre. La « Reine Marianne » prend son rythme de croisière comme pour mieux profiter de ses dernières heures en jaune. Son retard de 25 minutes est anecdotique. Dès que la route se cabre, Annemiek van Vleuten peut donner l’impression de pédaler contre des cadettes. « Mon style est toujours d’attaquer sans attendre le finale », dit la championne du monde 2019 après un voyage en solitaire de 104 kilomètres dans le Yorkshire (contre 60 « seulement » ce samedi). « Après six jours d’attente, de survie et de récupération, je voulais faire les plus grands écarts de temps possible et cela signifiait attaquer dans la première montée », poursuit la récente gagnante du Tour d’Italie.
Le doublé lui tend les bras. Il reste bien un dernier morceau de choix dimanche avec l’arrivée en haut de la Super Planche des Belles Filles, dans les Vosges, mais on peut toujours en appeler aux esprits farceurs des lieux, ceux qui ont fait perdre un Tour gagné d’avance à Primoz Roglic au profit de Tadej Pogacar en 2020, Annemiek van Vleuten maîtrise trop son sujet et la concurrence se dispute déjà le droit de l’accompagner sur le podium.
« L’objectif, c’est d’assurer la victoire au général, mais gagner avec le maillot jaune en haut de la Super Planche, ça serait très beau », prévient Aude Biannic. Quand Annemiek van Vleuten retrouve l’appétit, elle ne laisse que des miettes aux autres.