Chaque film de Philippe Faucon agit comme un rendez-vous, intime, avec l’histoire. Né en 1958, à Oujda (Maroc), le réalisateur de Samia (2000), La Trahison (2005), La Désintégration (2011), Fatima (2015), Amin (2018) a pris en charge le récit d’une France postcoloniale confrontée à ses errances. Chez Faucon, que l’on a pu comparer à Maurice Pialat, tout est dit à basse tension, avec une constante mise à l’écart du spectaculaire, une obsession de la précision. Les Harkis, dévoilé à la Quinzaine des réalisateurs, à Cannes, renouvelle la prouesse d’un geste minimal, lumineux, et sort en salle un an après qu’Emmanuel Macron a demandé « pardon » aux supplétifs algériens (le 20 septembre 2021), que l’Etat français avait abandonnés à leur sort, à l’issue de la guerre d’Algérie (1954-1962).
Vous êtes né au Maroc et avez vécu vos premières années en Algérie. Quels sont vos souvenirs de la guerre ?
Mon père s’était engagé dans l’armée, au Maroc, où il a rencontré ma mère. Il a ensuite été envoyé en Algérie durant les derniers mois de la guerre, où il s’est occupé des dossiers de retour des appelés. Le sort des harkis est une histoire douloureuse, dont j’ai entendu parler, enfant, même si mes parents évitaient le sujet devant nous. Je savais juste qu’il s’était passé des choses indignes, avec des gens tués en nombre parce que considérés comme des traîtres par d’autres Algériens. Cette histoire refoulée a laissé des sentiments amers.
« Les Harkis » dessine une ligne claire, épurée. Comment avez-vous fait le choix de ces quelques dates qui ponctuent le film et annoncent la tragédie ?
Le film est construit sur trois périodes : il s’ouvre en septembre 1959, quand plusieurs personnages rejoignent le camp français pour des raisons différentes – pauvreté, adhésion, ou violences qui ont été subies de la part du Front de libération nationale [FLN]. C’est aussi le moment où le général de Gaulle, arrivé au pouvoir un an auparavant, fait un discours dans lequel on peut entendre que sa politique peut mener vers l’autodétermination et l’indépendance. Le deuxième temps se situe en juin 1960, lorsque des émissaires français rencontrent pour la première fois des gens du FLN – ce qui va être caché aux harkis. Enfin, la troisième partie, en 1962, correspond au cessez-le-feu, avec le piège qui se referme sur les personnages.
Que recherchez-vous dans l’économie de paroles et de gestes ?
Au contraire de la littérature, on ne peut pas toujours décrire avec des mots ce qui se passe au cinéma, et c’est très intéressant pour l’écriture. On cherche alors d’autres possibilités, en travaillant les relations entre images, regards, enchaînements de séquences. La présence physique des acteurs, leur cinégénie, leur expressivité, a beaucoup compté ici. Leurs personnages en situation de stress, de tension, sont évoqués avec peu de traits, comme lors de cette séquence où l’instructeur (Omar Boulakirba) apprend à ses nouvelles recrues le maniement des armes.
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