Le fondateur de la banque en ligne Tinkoff a annoncé lundi renoncer à sa nationalité russe. Ouvertement opposé à la guerre en Ukraine, ce milliardaire haut en couleur est l’un des rares grands patrons russes à oser dire ses quatre vérités à Vladimir Poutine.
C’est le dernier coup d’éclat en date d’Oleg Tinkov : le milliardaire fantasque, qui vit à l’étranger depuis plusieurs années, a annoncé lundi 31 octobre renoncer à la citoyenneté russe pour protester contre l’invasion en Ukraine.
« J’ai pris la décision d’abandonner ma citoyenneté russe. Je ne peux pas et ne veux pas être associé à un pays fasciste qui a déclenché une guerre avec son voisin pacifique, et qui tue quotidiennement des innocents », a-t-il expliqué sur Instagram dans un message accompagné d’une photographie d’un certificat du consulat russe confirmant la fin de sa citoyenneté.
Oleg Tinkov a décidé de renoncer à la nationalité de Russie. Il l’a annoncé sur ses réseaux sociaux.
Il s’agit du 5 ancien milliardaire classé dans Forbes à renoncer à sa nationalité russe en 2022. Actuellement, l’homme d’affaires a la nationalité chypriote. pic.twitter.com/BSwOghAYQk
— Rebecca Rambar (@RebeccaRambar) October 31, 2022
« Je déteste la Russie de Poutine, mais j’aime tous les Russes qui sont clairement contre cette guerre folle ! », a encore écrit celui qui est également citoyen chypriote.
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En avril, le milliardaire russe de 54 ans, avait déjà défrayé la chronique en dénonçant une offensive « absurde » en Ukraine. Habitué aux « punchlines » dévastatrices sur les réseaux sociaux, il avait lancé : « En se réveillant avec une gueule de bois, les généraux ont compris qu’ils avaient une armée de merde », puis s’adressant à l’Occident : « s’il vous plaît, laissez une issue claire à M. Poutine pour qu’il puisse sauver la face et mettre fin à ce massacre ».
Milliardaire déchu
À l’époque, jamais un homme d’affaires russe n’avait osé une prise de position aussi virulente contre la guerre en Ukraine. Si certains comme Oleg Deripaska, le fondateur de Rusal, le numéro deux mondial de l’aluminium ou encore Mikhaïl Fridman, à la tête d’Alfa Bank, se sont exprimés contre l’invasion déclenchée le 24 février, ils se sont bien gardés de s’en prendre directement à Vladimir Poutine.
Oleg Tinkov, lui, a franchi la ligne rouge et l’a payé chèrement. Dans la foulée de ses critiques, il assure avoir été contraint par le Kremlin de vendre ses parts dans son entreprise, la banque en ligne Tinkoff, qui a connu un succès foudroyant en Russie ces dernières années en devenant le troisième établissement bancaire de détail derrière les géants publics Sberbank et VTB. Tinkoff affirme compter aujourd’hui quelque 20 millions de clients.
« Je n’ai rien pu négocier, j’étais comme un otage », racontait-il au printemps au New York Times, sans révéler son lieu de résidence en Europe, en raison de menaces pour sa sécurité. « Une vente au rabais » des 35 % de ses parts qui a bénéficié à l’oligarque russe Vladimir Potanine, « le roi du nickel », réputé proche du Kremlin.
Autre épisode dans la période mouvementée que traverse le milliardaire déchu : en octobre 2021, il avait dû s’acquitter d’une amende de 500 millions de dollars dans une affaire de fraude fiscale aux États-Unis. Quelques mois plus tôt, il avait annoncé se mettre en retrait du monde des affaires pour se consacrer au caritatif en lien avec la leucémie, une maladie dont il a lui-même été diagnostiqué.
Bière, cyclisme et ravioli
Fils d’un père mineur issu d’une famille de propriétaires terriens, et d’une mère couturière, Oleg Tenkov a tout, dans son parcours, du parfait « self-made man » à l’américaine. Très tôt, il se passionne pour l’entrepreneuriat et commence à vendre des objets sur le bazar de sa ville natale. Étudiant à Saint-Pétersbourg, il se lance dans l’importation de jeans et de rouges à lèvres, qu’il achète à des étudiants étrangers pour les revendre à prix d’or.
Au bout de trois années d’université, il laisse tomber les études pour se consacrer à une affaire très lucrative d’importation d’électroménager depuis la Pologne. À la fin des années 1990, il lance Daria, du nom de sa fille, une entreprise de pelmenis surgelés, des raviolis farcis à la viande, très populaires en Russie. Puis, il crée une brasserie « Tinkoff », devenue l’une des plus importantes du pays. Formé en marketing à Berkeley en Californie, il rentre en Russie en 2006 et fonde la première banque en ligne du pays, la Tinkoff Bank.
Souvent comparé à Richard Bronson, le fondateur de Virgin Group, pour son côté touche-à-tout, ce passionné de la petite reine devient également en 2013 le patron de l’équipe cycliste Tinkoff-Saxo. Le grand public découvre alors ce grand blond excentrique aux yeux bleus translucides qui n’hésite pas à devancer le peloton du Tour de France sur son vélo avant le lancement de chaque étape.
Tinkoff assure le spectacle mais sème aussi la zizanie dans le monde du cyclisme, multipliant les pitreries et les excès : il profère des insultes à l’encontre de l’Union cycliste internationale (UCI), menace de boycotter le Tour de France pour une meilleure répartition des profits générés par la course, ou encore ridiculise publiquement son ancien leader, le coureur Alberto Contador : « Il n’a jamais voulu boire de champagne, il est toujours prudent sur ce qu’il mange […]. C’est stupide, c’est pour ça qu’il n’arrête pas de chuter », avait-il assuré dans une interview en 2016, ajoutant : « en tant que personne il ne m’a jamais vraiment plu. Je ne l’aime pas ».
Électron libre
Depuis toujours, cet admirateur de Donald Trump, dont il partage le goût pour les propos outranciers, cultive cette image de trublion et d’électron libre du monde des affaires. Celui qui s’est lancé au moment de l’effondrement de l’URSS aime d’ailleurs à rappeler qu’il n’est pas un « oligarque », n’ayant pas bâti sa fortune sur les privatisations de la période Eltsine.
La plupart des oligarques ne sont que « les managers temporaires de biens dont ils ne sont pas réellement propriétaires », avait-il estimé dans un entretien accordé au Financial Times.
Il affirme également ne pas posséder de yacht et n’avoir jamais mis les pieds au Kremlin. « J’ai vu Poutine une fois dans ma vie. Il est passé dans un de mes restaurants à Saint-Pétersbourg. On a bu une bière ensemble. Ça remonte à 2000, quand il a été élu président. On ne s’est pas revus depuis », avait-il juré dans un talk-show sur Youtube en 2017. Dans cette même interview, il avait également qualifié Alexei Navalny, l’opposant numéro un au Kremlin, de « populiste ».
Présentée comme un acte de pure résistance à la guerre en Ukraine, l’abandon de la nationalité russe par Oleg Tinkov pourrait toutefois servir ses intérêts financiers en lui permettant d’échapper aux sanctions occidentales et d’apaiser les craintes d’éventuels partenaires commerciaux.
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Le milliardaire n’est d’ailleurs pas le premier Russe à prendre une telle décision. Nikolay Storonsky, de la startup Revolut basée à Londres, a également annoncé en octobre renoncer à la nationalité russe, tout comme l’entrepreneur Yuri Milner, installé aux États-Unis.
Oleg Tenkov espère désormais que « d’autres hommes d’affaires russes de premier plan suivront [son] exemple, afin d’affaiblir le régime de (Vladimir) Poutine ».