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Nicole Idohou-Dossou, une nutritionniste au cœur de la lutte contre la faim et la malbouffe en Afrique

Nicole Idohou-Dossou, une nutritionniste au cœur de la lutte contre la faim et la malbouffe en Afrique


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Nicole Idohou-Dossou, directrice du Laboratoire de nutrition et d’alimentation humaine (Larnah) à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, le 14 septembre 2022.

Ce mercredi 14 septembre, il pleut sur le campus désert de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar. La rentrée universitaire n’aura lieu que dans un mois. Pourtant, au deuxième étage de la faculté des sciences et techniques, un département est en pleine ébullition. Une demi-douzaine d’étudiants en master s’affairent au milieu des fioles, éprouvettes, balances de précision et appareils de mesure du Laboratoire de nutrition et d’alimentation humaine (Larnah).

La professeure Nicole Idohou-Dossou en a fait son territoire depuis vingt-sept ans. La Béninoise s’est passionnée pour la nutrition lors d’un séjour à Paris alors qu’elle terminait sa thèse en biochimie à l’université Paris-Saclay d’Orsay : « Je voulais rentrer en Afrique avec des compétences utiles pour le continent. » Elle se forme au Centre international de l’enfance (CIE), au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), mais aussi à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm).

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C’est par l’intermédiaire du directeur de cet organisme, le professeur Daniel Lemmonier, qu’elle fait la connaissance d’une Sénégalaise à la tête d’une équipe de recherche en nutrition au sein de l’université de Dakar. La professeure Salimata Wade deviendra son mentor. En 1997, l’équipe se constitue en laboratoire, l’un des premiers dédiés à la nutrition en Afrique de l’Ouest.

Avec leurs promotions d’une douzaine d’étudiants tous les deux ans, elles mènent des travaux importants sur la valeur nutritionnelle des aliments africains, notamment le moringa, le gombo ou la spiruline, mais aussi sur l’état nutritionnel de différents groupes de population, y compris leurs carences en micronutriments.

Les bienfaits de l’allaitement exclusif

On leur doit les premiers tests d’efficacité des aliments thérapeutiques prêts à l’emploi (ATPE), le futur Plumpy Nut, qui révolutionnera le traitement des enfants de 6 mois à 5 ans souffrant de malnutrition sévère. Dès sa création, le laboratoire travaille en étroite collaboration avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) qui l’accompagne dans l’utilisation des isotopes stables, des atomes non radioactifs, utilisés comme traceurs dans les organismes ou les aliments.

L’équipe, pionnière en Afrique de l’Ouest, parvient à prouver scientifiquement, grâce à cette méthode, les bienfaits de l’allaitement maternel exclusif. En faisant ingérer du deutérium, un de ces traceurs, à des mères allaitantes, les chercheurs démontrent que tous les nutriments issus de l’alimentation de la mère sont transmis, par son lait, au bébé. Ils découvrent également qu’à peine 30 % des femmes qui avaient déclaré allaiter exclusivement le faisaient réellement, c’est-à-dire sans ajout d’eau ou de tisane.

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Les conclusions sont publiées en 2002 dans le Food and Nutrition Bulletin de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), offrant au laboratoire ses lettres de noblesse. « Auparavant, l’OMS fondait cette recommandation sur des enquêtes de terrain, souvent biaisées par les réponses imprécises des mères, explique la nutritionniste. Mais avec nos conclusions, l’organisation a pu se reposer sur un socle scientifique et avoir des éléments de plaidoyer solides. »

En 2016, Salimata Wade cède la main à Nicole Idohou-Dossou. Celle-ci retrouve avec l’une de ses anciennes étudiantes, Adama Diouf, le binôme qu’elle formait avec la fondatrice du laboratoire. Leur combat : faire changer les habitudes alimentaires des Sénégalais, seul moyen pour stopper la progression galopante du diabète, de l’obésité et de l’hypertension.

Promouvoir des aliments locaux

« Nous avons passé au crible 4 000 produits vendus en supermarché : 87 % des produits sont soit trop gras, soit trop sucrés, soit trop salés et ne devraient pas être vendus », explique la professeure Diouf, qui supervise depuis 2018 plusieurs études sur le marketing des aliments malsains. « Que ce soit à la télévision ou sur les panneaux publicitaires, 70 % des produits promus ne sont pas conformes aux normes nutritionnelles de l’OMS », s’alarme la scientifique.

Leur solution : promouvoir des aliments locaux. « Les céréales locales sont souvent beaucoup plus nutritives que le riz brisé consommé par la majorité des Sénégalais, explique le professeur Idohou-Dossou. Le fonio a, par exemple, un indice glycémique plus bas que le riz, il est plus riche en nutriments et en acides aminés soufrés. » Pour démontrer l’utilité d’une diversification alimentaire à base de produits locaux, le laboratoire a lancé, dans le village de Sagna, près de Kaffrine, une ferme modèle où a été expérimenté, entre janvier 2017 et octobre 2018, un projet d’agriculture sensible à la nutrition.

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Concrètement, le village était invité à cultiver du moringa (riche en vitamines et contenant une forte teneur en minéraux, notamment calcium, potassium et fer) et des patates douces à chair orange, jusque-là peu consommées dans la région ; à entretenir un poulailler et à s’alimenter avec sa production. La composition corporelle des enfants et des mères du village d’intervention a ensuite été comparée à celle d’un village témoin. Outre une amélioration de la diversité alimentaire, l’étude a montré un gain en masse maigre des moins de 5 ans en état de malnutrition.

Selon les deux chercheuses, les efforts en termes de nutrition doivent être dirigés vers les jeunes enfants. Car, selon l’Unicef, 33 % des Africains de moins de 5 ans souffrent de retard de croissance, dû principalement à une faible diversification alimentaire. Leurs repas, constitués à 70 % de céréales, sont généralement des bouillies fabriquées à partir de mil pilé à quoi sont ajoutés du sucre et de l’huile. « La plupart des enfants sont carencés en fer, en zinc et en vitamine A », souligne la directrice du laboratoire.

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Côté produits de la grande distribution, les apports en minéraux et en vitamines ne sont guère plus intéressants. « Seulement 17 % des préparations céréalières destinées aux enfants apportent suffisamment de nutriments aux bébés, ajoute Adama Diouf, qui a cartographié ces farines industrielles, pour la plupart importées, vendues en supermarché. Il faut qu’on apprenne aux mères à enrichir leurs bouillies maison avec des protéines et des vitamines. » Les deux nutritionnistes plébiscitent le poisson, facilement accessible au Sénégal, la patate douce à chair orange, « riches en bêtacarotène, donc pourvoyeuse de vitamine A », le niébé, dont la « biodisponibilité en fer et en zinc est très importante » ou encore l’arachide, une légumineuse « qui contient un excellent gras ».

Mais pour elles, la bataille passe par une véritable politique alimentaire. « Tant que l’Etat n’impose pas de normes aux industries agroalimentaires ou que la publicité de certains produits n’est pas interdite, la situation n’évoluera pas », alarme le professeur Idohou-Dossou. Elle espère aussi que les Etats africains prendront la mesure du problème de gaspillage des récoltes et de la nécessité de développer des filières de stockage et de transformation pour limiter les pertes. Encore plus dans le contexte actuel de crise alimentaire. « La solution à cette situation peut être locale : l’Afrique peut se nourrir avec ses produits si on revoit entièrement la chaîne de la fourche à la fourchette », assure la directrice du laboratoire.

Article réalisé en partenariat avec le Fonds français Muskoka.

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