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GenèveLes éducateurs de la prison pour mineurs font grève
Le personnel éducatif de la Clairière, affecté par un lourd sous-effectif, combat un nouvel horaire jugé nocif autant pour lui que pour les adolescents. Le Conseil d’Etat n’est pas de cet avis.
La crise qui secoue la prison pour mineurs de la Clairière a franchi un nouveau palier ce mercredi, avec la grève des éducateurs du secteur «observation». Ces derniers s’opposent à la mise en œuvre décidée par l’Office cantonal de la détention (OCD), dès le 1er janvier, d’un nouvel horaire de travail. Celui-ci est censé pallier le problème de sous-effectif qui mine l’institution depuis la pandémie de Covid. Il est prévu que le personnel chargé de l’encadrement social des jeunes délinquants effectuent des plages de onze heures, contre huit heures jusqu’à présent. Les grévistes considèrent que cette organisation nuirait aussi bien au personnel qu’aux résidents.
«Lourde charge émotionnelle»
Réunis ce mercredi matin devant la Clairière, les éducateurs expliquent: «actuellement, nous sommes neuf sur quinze. Il y a eu plusieurs démissions. Les malades ne sont pas remplacés. La fatigue s’accumule.» La solution proposée, soit réaliser des horaires longs de onze heures, déjà expérimentée durant la pandémie et cet été, est jugée inappropriée. «Cela permet de fonctionner à seulement quatre par jour, mais c’est terrible s’il y a une absence. C’est surtout très lourd en termes de charge émotionnelle. Il s’agit de jeunes qui poussent à bout. Après onze heures, la disponibilité psychique disparaît», explique une employée.
Les éducateurs estiment que les jeunes ont tout à y perdre. «Par ailleurs, avec des horaires de huit heures, si l’un d’eux pète un câble, il doit traiter avec le même éducateur toute la journée, ce n’est pas idéal. Alors que si un relais s’opère, le nouvel arrivant, n’ayant pas été en conflit, peut plus facilement faire retomber la pression.» Les collaborateurs jugent enfin que ce dispositif les pousse à se croiser plutôt qu’à travailler ensemble, donc nuit à la transmission des informations et péjore le processus d’observation.
«Une population fragile»
«On s’inquiète de la prise en charge des mineurs, remarque une éducatrice. Quel que soit l’horaire retenu, le manque de personnel est là, alors qu’il s’occupe d’une population particulièrement fragile. Nous avons le sentiment que les moyens manquent parce qu’il s’agit du secteur peu porteur de la détention.» Ce mouvement de colère s’inscrit dans un contexte compliqué: les jeunes en observation restent de plus en plus longtemps à la Clairière, souvent bien au-delà des mandats de placement de trois mois, en raison du manque de foyers destinés à cette population. Par ailleurs, les éducateurs sont confrontés à de plus en plus de violence et de jeunes souffrant de troubles psychologiques, sans compter les mineurs non accompagnés, ardus à gérer en raison de leur manque de perspectives.
Le Département inflexible
Le Département de la sécurité, par le biais de son porte-parole Laurent Paoliello, a indiqué qu’il n’entendait pas accéder à la demande des éducateurs. «Seul l’horaire à 11 heures plus 30 minutes de pause répond à une prise en charge optimale des mineurs qui, rappelons-le, préside à nos décisions», écrit-il. Il précise par ailleurs que la Clairière «n’est pas sous-dotée en termes d’effectifs, le nombre de postes budgétés est suffisant.» En revanche, trois postes sont actuellement à pourvoir. Laurent Paoliello affirme par ailleurs que le secteur de la détention des mineurs ne souffre pas d’un manque de moyens. «La dotation tant en personnel éducatif qu’en personnel pénitentiaire de la Clairière répond au recommandations de l’Office fédéral de la justice.» Ce sont les bâtiments «qui ne sont plus adaptés aux besoins actuels». Le Conseil d’Etat y travaille.
La grève des éducateurs survient après de longs mois de tensions. Pour rappel, le directeur de la Clairière a réintégré son poste mi-juin après plusieurs mois d’arrêt maladie. La directrice adjointe a démissionné au printemps dernier. Et une grosse partie des employés, en conflit avec la direction, avait saisi le Groupe de confiance de l’Etat durant l’été 2021. Par ailleurs, l’approche éducative divisait le personnel. Le Service d’audit interne de l’Etat a mené un contrôle prévu de longue date cet été, dont les conclusions n’ont pour l’heure pas été rendues publiques. Ce mercredi, Corinne Béguelin, secrétaire syndicale au SSP, assurait que «la direction de la Clairière dysfonctionne. Un climat de défiance avec les employés s’est installé. Il manque des directives, il y a une perte de sens. L’équipe éducative n’est pas soutenue.»