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« Le pouvoir cherche à construire un socle conservateur fédérateur »

"Le pouvoir cherche à construire un socle conservateur fédérateur"



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Loi anti-LGBT, appels à « désataniser » l’Ukraine, références omniprésentes à la religion… Parallèlement à la guerre en Ukraine, le pouvoir russe mène une offensive conservatrice et identitaire sur son front intérieur. En vue, selon les experts, de fédérer le pays autour de valeurs « traditionnelles ».

En Russie, les députés russes ont voté jeudi 24 novembre l’extension considérable d’une loi anti-LGBT adoptée en 2013. Visant à l’origine à interdire la « propagande LGBT » aux mineurs, elle proscrit désormais « la promotion de relations sexuelles non traditionnelles » auprès de tous les publics dans les médias, sur Internet, dans les livres et dans les films. 

Parallèlement à la guerre en Ukraine, la Russie poursuit ainsi un virage conservateur initié dès les années 2000, et présenté par le Kremlin comme la défense des valeurs « traditionnelles » face à l’influence d’un Occident jugé décadent. 

Recherche identitaire

« La société russe connaît une recherche identitaire depuis les années 2000, après l’échec des valeurs libérales portées à la fin de l’URSS, explique Viatcheslav Avioutskii, professeur à l’École supérieure des sciences commerciales d’Angers (Essca) et spécialiste de la Russie et de l’Ukraine. Elle se poursuit aujourd’hui avec encore plus d’intensité : faute de soutien unanime à la guerre en Ukraine, le pouvoir russe s’est lancé dans une entreprise conservatrice de ‘purification idéologique’ de la population face aux influences occidentales jugées néfastes. » 

Le président de la Douma, Viatcheslav Volodine, a ainsi présenté jeudi la nouvelle mouture de la loi en affirmant qu’elle allait « protéger nos enfants et l’avenir de ce pays contre les ténèbres répandues par les États-Unis et les pays européens ». « Nous avons nos propres traditions et nos propres valeurs », a-t-il ajouté. 

Cette nouvelle atteinte aux droits des homosexuels, qui s’inscrit dans la continuité d’années de répression, s’articule avec la promotion de la famille traditionnelle.

« Le régime russe met l’accent sur la famille traditionnelle, par opposition aux valeurs occidentales. La propagande anti-LGBT est présente dans les livres d’école des enfants, tout comme la promotion de la famille traditionnelle, nucléaire, qui est présentée comme incluant nécessairement un papa, une maman et deux enfants minimum », analyse Lukas Aubin, directeur de recherche à l’Institut des relations internationales et stratégiques à Paris (Iris) et récent auteur du live « Géopolitique de la Russie » (éd. La Découverte).

Dans un discours donné au Grand Palais du Kremlin, l’ancien palais des tsars, Vladimir Poutine a ainsi déclaré le 30 septembre dernier : « Voulons-nous vraiment avoir ici dans notre pays, en Russie, un ‘parent numéro un’, ‘numéro deux’, ‘numéro trois’, au lieu de ‘maman’ et ‘papa’ ? », dans une allusion transparente aux débats agitant plusieurs pays occidentaux.

Baisse démographique

Mais au-delà d’un discours de propagande, cette mise en avant de la famille traditionnelle repose aussi sur un constat pragmatique. Malgré sa politique nataliste, la Russie vit en effet un déclin démographique majeur depuis la fin de l’Union soviétique. La population devrait continuer à baisser pour atteindre entre 130 et 140 millions d’individus d’ici 2050, contre 148,2 millions en 1991, selon les prévisions des démographes. 

Promouvoir des valeurs familiales conservatrices permet donc au pouvoir russe de conspuer l’Occident, mais aussi de répondre à un enjeu qu’il juge crucial. En 2020, déjà, Vladimir Poutine présentait la crise démographique comme un « défi historique », assurant : « Le destin de la Russie et ses perspectives historiques dépendent de combien nous serons ».

« Le discours du régime russe peut paraitre ultraréactionnaire, voire délirant, mais il est aussi lié à des considérations pratiques, remarque Lukas Aubin. Ce discours de propagande anti-LGBT s’articule à la nécessité de la société russe à faire des enfants. Ils n’en sont pas encore à interdire l’avortement, mais ils portent un discours incitatif et nataliste très fort. »

Depuis son annexion par la Russie, la Crimée est ainsi régulièrement parsemée d’affiches anti-avortement. Dans la capitale Simferopol, rapporte Lukas Aubin, le pouvoir russe a financé des affiches publicitaires représentant un bébé implorant sa mère de ne pas le tuer.

« Bricolage idéologique »

La promotion de valeurs conservatrices permet également au pouvoir russe de s’appuyer sur l’Église orthodoxe pour justifier sa politique extérieure. Le patriarche Kiril, un proche de Vladimir Poutine, multiplie ainsi les références à la « guerre sainte » menée en Ukraine. Il n’est d’ailleurs pas le seul. Le dirigeant tchétchène Ramzan Kadirov utilise, lui aussi, la référence au « sheïtan », le diable en arabe, pour mobiliser les 10 % de musulmans russes. 

« Vladimir Poutine dirige un pays qui n’est jamais devenu un État nation, expose Viatcheslav Avioutskii. La Russie demeure un État impérial, hérité des tsars et de l’Union soviétique, et il est donc par définition fragmenté en différentes identités régionales. En exerçant une forte pression sur la société et à travers la propagande, le régime russe cherche à construire un socle conservateur fédérateur qui serve de dénominateur et engage la société derrière lui. » 

Le conservatisme sert donc, selon le chercheur, à transcender les différentes religions – orthodoxie, islam, judaïsme et bouddhisme – et les 190 ethnies qui composent la Russie pour unir la société dans une identité et un but communs. La Constitution russe, réécrite en 2020, place ainsi le territoire sous la protection d’un dieu indéfini.

Pas sûr, néanmoins, que la stratégie fonctionne : « Ces mesures conservatrices et identitaires relèvent du bricolage idéologique pour tenter de créer un consensus, pointe Viatcheslav Avioutskii. Mais cela n’aboutit pas vraiment. Vladimir Poutine ne parvient pas à rallier toute la population derrière lui, et à trop chercher à homogénéiser un pays, on risque au contraire d’en exacerber les différences. »

>> À lire aussi : Quand la Russie veut faire prévaloir sa vision de l’Histoire

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