Le salon de l’automobile parisien, qui débute lundi, fait la part belle aux marques chinoises de voitures électriques. Ce n’est pas un hasard : la Chine a misé bien plus que n’importe quel autre pays sur ces véhicules moins polluants.
Cette année, les stars du Mondial de l’auto à Paris ne s’appellent pas Volkswagen, Fiat ou encore Mercedes et Citroën. Les géants allemands, japonais, sud-coréens et certaines marques françaises ont décidé de ne pas assister à ce salon, qui débute lundi 17 octobre et durera six jours. Pour la plus grande joie des constructeurs chinois BYD, Ora ou encore Wey qui espèrent bien ainsi leur voler la vedette grâce à leurs voitures électriques.
Le salon parisien est l’un des premiers – après plus de deux ans de pandémie qui ont empêché la tenue de la plupart des grands raouts pour amoureux des quatre roues – à montrer au grand public comment l’électrique est en train de rebattre les cartes du marché de l’automobile en faveur de la Chine.
La faute à Elon Musk ?
Plus de la moitié du top 10 mondial des principaux constructeurs de voitures électriques sont des marques chinoises. Elles sont emmenées par BYD qui talonne, en deuxième position, Tesla, la star américaine du secteur fondée par Elon Musk. La Chine compte aujourd’hui environ 300 entreprises qui construisent ou veulent fabriquer des automobiles électriques.
Autre preuve du grand bond en avant électrique chinois : plus d’un quart des nouvelles immatriculations de voitures en Chine concernent des véhicules électriques ou hybrides, souligne la chaîne britannique BBC. C’est plus que l’Europe et les États-Unis réunis.
D’ailleurs, cette lame de fond chinoise a débuté en 2018 à Shanghai avec… Elon Musk. Le patron de Tesla avait alors été le premier à obtenir l’autorisation de Pékin pour établir une usine de fabrication de voitures sans avoir besoin de s’associer avec un partenaire local.
Quel rapport avec l’essor des véhicules électriques « made by China » ? « Les autorités ont appris de leurs erreurs avec la voiture 1.0, c’est-à-dire thermique. Elles avaient alors obligé les constructeurs occidentaux à créer des joint-ventures avec des firmes chinoises, ce qui n’a pas eu les effets escomptés », souligne Jean-François Dufour, expert de l’économie chinoise et cofondateur de Sinopole, un centre de ressources sur la Chine. Pékin espérait que ces alliances déboucheraient sur des transferts de technologies permettant aux marques chinoises de voler de leurs propres ailes. Mais ces dernières ont préféré rester alliées aux grands noms occidentaux et empocher les bénéfices de ces joint-ventures.
Pas question de suivre le même chemin avec la « voiture 2.0 ». En 2014, Xi Jinping avait déclaré qu’il voulait que les véhicules électriques soient l’occasion pour la Chine de devenir « une puissance automobile » autonome. Plus question de « joint-ventures » : il fallait que les marques étrangères – comme Tesla – soient perçues comme des rivaux à battre. L’accord donné à Elon Musk en 2018 pour construire tout seul son usine en Chine était donc moins un cadeau au multimilliardaire qu’un « signal envoyé pour susciter l’émergence de concurrents », résume Jean-François Dufour.
Les carottes et le bâton de Pékin
Une stratégie d’autant plus simple à adopter que dans ce secteur « tout le monde repart de zéro », poursuit l’économiste. Il n’existe pas, comme pour les voitures thermiques, cent ans ou plus d’histoire ayant permis d’établir des empires comme General Motors ou Volkswagen, difficiles à concurrencer pour des nouveaux venus chinois.
Le régime chinois a aussi multiplié au fil des ans les incitations pour susciter autant de vocations que possible dans ce secteur. Les autorités régionales ont ainsi « parrainé » des start-up locales, ce qui signifie concrètement « qu’elles ont pu avoir plus facilement accès aux prêts bancaires au meilleur taux possible », explique Jean-François Dufour.
Tout a été fait pour que les consommateurs optent pour les voitures électriques en priorité. Ainsi, il est beaucoup plus cher d’immatriculer une automobile à essence et, dans certaines villes, les conducteurs de véhicules électriques peuvent rouler dans les voies de bus et ont accès à des places de parking gratuites, raconte la BBC.
Pékin sait aussi manier le bâton. « Depuis 2018, une amende peut être infligée aux marques chinoises dont un pourcentage de la production n’est pas réservé aux voitures électriques », précise Jean-François Dufour.
Ce pari sur la voiture électrique tient au fait que « c’est en parfaite synergie avec les grands objectifs nationaux », estime le cofondateur du cabinet Sinopole. Cette priorité industrielle est en phase avec la vision d’une Chine « plus verte » promue par Xi Jinping, notamment, lors de son grand discours d’ouverture du 20e Congrès du Parti communiste chinois. Le développement de cette filière « doit aussi permettre d’atteindre une plus grande indépendance énergétique, alors qu’aujourd’hui la Chine importe plus de 70 % de son pétrole », note Jean-François Dufour.
Pour l’instant, l’essentiel des voitures de BYD, GW (Great Wall, qui détient les marques Ora et Wey), Nio ou Xpeng roulent encore exclusivement sur les routes chinoises. « Le marché intérieur demeure leur prio rité, car tant qu’il n’est pas saturé, pourquoi ne pas faire au plus simple et vendre localement ? », explique à la BBC Ana Nicholls, directrice des analyses du secteur de l’industrie à l’Economist Intelligence Unit, un centre d’analyse dépendant du magazine britannique The Economist.
Mais l’appétit de ces marques est clairement mondial, comme l’illustre leur présence toujours plus importante dans les salons internationaux. Ces groupes « suivent la feuille de route traditionnelle chinoise qui consiste à miser sur l’immense marché intérieur le temps de se constituer une assise industrielle et financière suffisante pour partir à l’assaut de l’international », note Jean-François Dufour.
Un danger pour l’économie européenne ?
Les constructeurs chinois ont déjà vendu 500 000 véhicules électriques dans le monde en 2021 et comptent multiplier par deux leurs exportations l’an prochain, souligne le Mercatour Institute for China Studies (Merics), dans une étude publiée fin mai 2022. En Europe, les marques chinoises occupent déjà 10 % des parts de marché.
Vu l’avance que la Chine est en train de prendre dans ce secteur et les moyens que Pékin est prêt à mettre sur la table pour remporter la mise, les experts du Merics appellent les Européens à réagir au plus vite.
Ils estiment qu’à plus ou moins long terme, c’est toute l’économie européenne qui pourrait se retrouver sens dessus dessous, si la voiture électrique chinoise s’impose. Les voitures de marques comme Volkswagen ou Renault ont « longtemps été parmi les principaux produits d’exportations européens, notamment vers la Chine », souligne les auteurs de l’étude du Merics.
Si, avec l’avènement de la voiture électrique, l’Europe se met à importer davantage de voitures de Chine qu’elle n’en exporte sur place, « les conséquences pourraient être profondes pour les millions d’emplois stables et qualifiés de l’industrie automobile européenne », conclut le Financial Times.
Cette crainte de la « menace chinoise » commence à être brandie dans les couloirs du Mondial de l’automobile à Paris pour appeler à calmer les ardeurs des partisans de la voiture électrique. « Généraliser la voiture électrique, c’est dérouler le tapis rouge double épaisseur sous les roues des marques venues de Pékin, de Shanghai ou de Wuhan », prévient un représentant du groupe Stellantis, propriétaire des marques Peugeot, Fiat, Chrysler et Citroën, interrogé par Le Monde.
« C’est un dilemme complexe. Certes, le risque économique existe, mais est-ce que pour s’en prémunir on va se retarder l’adoption d’un moyen de transport qui peut aider à réduire l’impact sur le climat ? », s’interroge Jean-François Dufour.