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« la machine répressive du pouvoir est bien rodée »

"la machine répressive du pouvoir est bien rodée"



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Répression meurtrière, contre-manifestations, perturbation d’Internet… Le pouvoir iranien tente par tous les moyens de mettre un terme aux manifestations qui se sont propagés dans le pays depuis le 16 septembre, après la mort d’une jeune femme arrêtée par la police des mœurs. Une stratégie qui a déjà fait ses preuves lors des dernières grandes mobilisations populaires.

Comme en 2009, face au mouvement « vert » contre la fraude électorale, ou lors des gigantesques manifestations antigouvernementales de 2017 et de 2019, sur fond de frustrations socio-économiques et de protestation contre la hausse des prix, le pouvoir iranien semble déterminé à tuer dans l’œuf toute contestation qui le remet en question.

Confronté à une nouvelle vague de contestation depuis le 16 septembre, date de la mort de Mahsa Amini, une jeune femme de 22 ans arrêtée trois jours auparavant à Téhéran pour « port inapproprié de vêtements », les autorités ont une nouvelle fois opté en faveur d’une stratégie répressive meurtrière.

Au moins 76 morts dans les manifestations

Un bilan officiel incluant manifestants et forces de l’ordre fait état de 41 morts en dix jours de protestations. Mais ce bilan pourrait être plus lourd : l’ONG Iran Human Rights (IHR), basée à Oslo, a décompté au moins 76 morts dans les manifestations dans 14 provinces du pays. Affirmant avoir obtenu des « vidéos et des certificats de décès confirmant des tirs à balles réelles sur des manifestants », l’ONG précise que « six femmes et quatre enfants » figurent parmi les morts.

Dimanche, le chef du pouvoir judiciaire, Gholamhossein Mohseni Ejeï, a menacé de ne faire preuve d' »aucune indulgence » vis-à-vis des manifestants et appelé les forces de l’ordre à agir « fermement » contre « ceux qui portent atteinte à la sécurité ».

En plus du bilan humain, Téhéran a annoncé l’arrestation de 1 200 manifestants, dont des femmes, sur l’ensemble du territoire. De son côté, le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) a indiqué que les autorités iraniennes ont arrêté 18 journalistes depuis le début des manifestations.

« Le pays a déjà été le théâtre de plusieurs mouvements de protestation qui ont tous été réprimés dans une violence inouïe, rappelle la militante iranienne Sussan Tahmasebi, directrice de Femena, une organisation de défense des droits des femmes au Moyen-Orient et en Asie occidentale. Avec la mobilisation et les troubles actuels, on s’attend à voir avec [le président ultraconservateur] Ebrahim Raïssi, un déchaînement de violence qui sera bien pire que celui qui avaient déjà choqué les Iraniens en 2017 et en 2019, qui ne s’attendaient pas à un tel degrés de violence pendant le mandat du [président modéré] Hassan Rohani« .

Selon Amnesty International, 304 hommes, femmes et enfants avaient été tués par les forces de sécurité iraniennes lors des manifestations de 2019. Mais l’ONG pense que le nombre réel de morts est plus élevé.

Les Bassidjis, fer de lance de la répression

« Lors des dernières grandes vagues de contestation, le régime iranien est parvenu à chaque fois à venir à bout de la mobilisation grâce notamment à une machine répressive bien rodée et une stratégie qui a été exportée en Irak, pour mettre un terme au soulèvement de 2019, analyse Fereydoun Khavand, universitaire et journaliste, spécialiste de l’Iran. C’est dans ce sens que des forces de répression ont été mises en place, et ce, en particulier pour mater les manifestations ».

Cette stratégie répressive iranienne, repose sur plusieurs piliers, poursuit Fereydoun Khavand, dont les Bassidjis, les milices islamistes du régime qui avaient joué un rôle capital dans la répression de 2009, ou encore sur les Pasdarans, corps d’élite de l’armée, qui peuvent aussi être engagés, en uniforme ou en civil.

>>À lire aussi : « En Iran, les femmes ne se laissent plus faire » face à la répression croissante de la police des mœurs

« Les Bassidjis, qui signifient les mobilisés en persan, sont une force paramilitaire au service du régime, à l’image des chabihhas syriens de Bachar al-Assad, qui sont appelés à agir dans des circonstances particulières, notamment lorsque le pouvoir se sent en danger, souligne Fereydoun Khavand. Ce sont eux qui organisent les contre-manifestations ou qui lancent carrément des assauts contre les manifestants d’une manière souvent brutale et féroce comme on peut le voir sur les vidéos qui circulent sur les réseaux sociaux ». 

De nombreuses vidéos publiées ces derniers jours sur les réseaux par des Iraniens montrent des femmes brûlant leur voile, des manifestants déchirant des effigies des dirigeants de la République islamique, mais aussi des forces de l’ordre tirant sur la foule.

Un discours complotiste pour mobiliser sa base militante

Selon Fereydoun Khavand, le régime peut également compter sur sa propre base sociale en jouant sur la fibre révolutionnaire. À l’appel des autorités, des manifestations ont eu lieu ces derniers jours dans plusieurs villes iraniennes, y compris à Téhéran, en faveur du gouvernement et du voile islamique, plus que jamais remis en question après la mort de Mahsa Amini.

« Cette base n’est certes plus aussi importante qu’au début de la révolution de 1979, mais elle reste une force traditionaliste très attachée aux valeurs religieuses de la République islamique, explique le spécialiste des relations internationales. Afin de la mobiliser, le régime emploie un langage particulier qui parle à cette base hostile à tout changement ».

Notamment en évoquant, comme lors de chaque grande mobilisation des Iraniens, un complot fomenté à l’étranger contre la République islamique, notamment à Washington, l’ennemi juré de Téhéran, ou en accusant les manifestants de collaborateurs et de traîtres.

« Les tentatives des États-Unis de violer la souveraineté de l’Iran sur la question des manifestations déclenchées par la mort d’une femme en garde à vue ne resteront pas sans réponse », a ainsi déclaré lundi le ministère des Affaires étrangères iranien.

« Dans le domaine du complotisme, qui, il faut souligner est très répandu au Moyen-Orient, la République islamique a atteint des niveaux très élevés, avec ses accusés traditionnels que sont les États-Unis et Israël, auxquels il faut désormais ajouter les pays arabes voisins comme l’Arabie saoudite et les millions d’Iraniens basés à l’étranger qui sont également accusés de chercher en permanence à renverser la République islamique », décrypte Fereydoun Khavand.

« Ce type de discours complotiste, poursuit-il, a principalement pour objectif de mobiliser la force militaire et la base sociale du régime, en se victimisant de la sorte, en expliquant que les difficultés rencontrées par la République islamique sont le résultat d’un complot existant depuis toujours contre l’islam et le chiisme ».

Une répression à huis-clos ?

Pour venir rapidement à bout de la mobilisation actuelle, le pouvoir iranien cherche à déconnecter le pays du reste du monde, en imposant des restrictions drastiques sur un Internet déjà sous haute surveillance.

« Sur décision des autorités, il n’est plus possible d’accéder en Iran à Instagram depuis hier soir (mercredi) et l’accès à WhatsApp est également perturbé », a indiqué, le 22 septembre l’agence de presse Fars. Celle-ci a même précisé que la mesure a été prise à cause « des actions menées par des contre-révolutionnaires contre la sécurité nationale via ces réseaux sociaux »…

« La perturbation d’Internet créé un climat de peur parce que l’on sait que cela laisse les mains libres aux responsables sécuritaires pour commettre des violences dans une sorte de huis-clos », confie Sussan Tahmasebi.

En 2019, une restriction similaire avait été déjà imposée à Internet pour bloquer le partage par les internautes des vidéos des troubles.

« En s’attaquant à Internet, l’intérêt du régime est double puisqu’il s’agit d’empêcher non seulement que les Iraniens alertent en temps réel le reste du monde de la situation dans le pays, mais aussi qu’une information indépendante ne parvienne jusqu’aux Iraniens puisque plusieurs médias très influents en Iran, comme Radio Farda, dont le siège se trouve à Prague ou la chaîne Iran International, la plus regardée en Iran, sont notamment diffusés depuis l’étranger via Internet », indique Fereydoun Khavand.


En réaction, Washington a annoncé, le 23 septembre, la levée de certaines interdictions de commerce avec l’Iran, afin de permettre aux entreprises technologiques de fournir des plateformes et services permettant aux Iraniens d’accéder à internet. Quelques jours plus tôt, le propriétaire de SpaceX, Elon Musk, a déclaré qu’il comptait demander une exemption aux sanctions contre l’Iran auprès de l’administration américaine afin d’y proposer les services de connexion à internet via sa constellation de satellites Starlink.

« Jusqu’à quand pourrait-il tenir ainsi ? »

Jusqu’ici, la stratégie ultra-répressive du pouvoir iranien lui a permis de tenir face aux grandes vagues de manifestation spontanées de colère, même si ces dernières deviennent de plus en plus fréquentes.

« Je doute que cette mobilisation puisse créer un réel changement, car malheureusement les autorités n’ont jamais pris en compte les demandes de leurs citoyens, quelle que soit la manière avec laquelle celles-ci sont exprimées, spécialement celles des femmes, ils n’ont que très rarement fait marche arrière sur n’importe quelle sorte de loi, pointe Sussan Tahmasebi. En général, lorsqu’il y a des protestations, ils refusent de le faire parce qu’ils le voient comme un signe de faiblesse, alors qu’en fait, ce serait le signe d’un gouvernement qui écoute son propre peuple ».

Si les raisons de la colère persistent, elles provoqueront de nouveaux cycles de manifestations qui à la longue fragiliseront les fondements du régime, explique Fereydoun Khavand, qui rappelle que celui-ci est le fruit d’une révolution islamique accompagnée de slogans promettant justice, prospérité et démocratie après la chute du Chah d’Iran. 

« Aujourd’hui les Iraniens ne peuvent que constater que le régime actuel commet à chaque protestation populaire des atrocités injustifiables, que la corruption est aussi répandue que sous la monarchie des Pahlavi et que les inégalités et les discriminations sociales restent criantes, conclut-il. Or les grandes vagues de manifestations sont certes toujours réprimées, mais chacune d’elles a contribué à affaiblir sensiblement le pouvoir et le clergé chiite, qui bénéficiaient d’une base solide et de l’appui d’une partie de la population. Jusqu’à quand pourrait-il tenir ainsi ? »



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