Libérées le 3 septembre dernier, les trois femmes soldats du groupe des 49 militaires ivoiriens arrêtés au Mali, le 10 juillet, et inculpés à la mi-août par la justice pour « tentative d’atteinte à la sûreté extérieure de l’État » avant d’être formellement écroués, ont retrouvé la terre sacrée de leurs ancêtres. Un succès diplomatique d’étape pour Lomé – en attendant la libération des 46 autres toujours détenus -, le président togolais, Faure Gnassingbé, s’étant personnellement impliqué afin de convaincre le chef de la transition malienne de rendre leur liberté aux trois femmes en « guise de geste humanitaire ».
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Victimes expiatoires
Même si, pour le moment, nous avons du mal à cerner tous les contours de l’acrobatie juridico-politique qui a permis cet heureux dénouement, il faut admettre que la justice malienne avait très peu de choses à reprocher à ces soldats, si ce n’étaient des « manquements » mineurs ou encore des « incompréhensions », comme l’a reconnu le directeur de cabinet à la présidence ivoirienne, Fidèle Sarassoro.
D’ailleurs, en moins de deux mois, on est passé des accusations de « mercenaires » venus dans le pays avec le « dessein funeste » de « briser la dynamique de la refondation et de la sécurisation du Mali, ainsi que le retour à l’ordre constitutionnel », tel que le proclamait le communiqué des officiels maliens au début de cette affaire, à des spéculations purement conjoncturelles. C’est la preuve, si besoin en était encore, que les accusations portées contre les 49 militaires ivoiriens défient la raison. On ne peut s’empêcher de s’interroger sur la logique ayant conduit à la libération des trois militaires plutôt que des 46, bien que le ministre togolais des Affaires étrangères, Robert Dussey, a pris soin de préciser que des motifs humanitaires justifieraient cette libération.
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Au-delà du fait que l’arrestation des 49 illustre les tensions entre le Mali et la Côte d’Ivoire, accusée par la junte militaire d’avoir incité la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) à durcir les sanctions – finalement levées début juillet – contre elle, il paraît évident que ces militaires sont des victimes expiatoires de la paranoïa ambiante à Bamako, mais aussi des caprices du président de la transition.
D’une part, parce que ce dernier est dans une quête permanente de reconnaissance et que, psychanalyse de comptoir mise à part, il semble porteur du syndrome du « mal-aimé », qui est le marqueur d’individus posant des actes uniquement guidés par l’outrance et les exagérations afin de se faire remarquer, donc d’exister. Voilà pourquoi celui-ci a décidé d’adopter la stratégie du complot permanent, et qu’il a plutôt tendance à se désigner des ennemis imaginaires.
D’autre part, en multipliant les fronts, le chef des putschistes cherche à masquer son incapacité à proposer des solutions aux problèmes quotidiens de la population, en particulier parce qu’il peine à obtenir des résultats probants dans le domaine de la sécurité, lequel a servi de prétexte à son putsch.
Régression éthique
Lui qui est l’auteur d’un double coup d’État ne peut sérieusement nous expliquer que c’est avec moins de 50 soldats qu’on parvient à renverser un régime. À dire vrai, si les autorités ivoiriennes nourrissaient le moindre projet déstabilisateur envers le Mali, elles auraient eu une autre attitude. En tout cas, même en pêchant par un excès de naïveté, elles n’auraient pas pu envoyer leurs soldats la fleur au fusil pour se faire ainsi cueillir comme de simples touristes à leur descente d’avion.
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La vérité, c’est que Assimi Goïta voudrait être considéré par ses pairs de la sous-région comme un véritable chef d’État. Alors que la pire chose qui puisse arriver au balbutiant processus de démocratisation du continent, c’est que les autres dirigeants qui ont bénéficié de l’onction du suffrage universel – parfois dans des circonstances contestables – en viennent à juger que les militaires ayant usurpé la souveraineté populaire à l’ouest du continent seraient leurs homologues. Ce qui ressemblerait à une régression éthique, doublée d’une déchéance morale.
Heureusement, les autres colonels ne verraient pas d’un bon œil l’attitude du chef de la junte. Certains seraient même vent debout contre la vanité de leur collègue, davantage attiré par la lumière.
Ainsi, oublie-t-il que ce ne sont pas tous les Maliens vivant en Côte d’Ivoire qui lui veulent du mal. La majorité souhaiterait vivre en parfaite intelligence avec le peuple frère de Côte d’Ivoire, sans être regardée de travers.
Saluer la pondération ivoirienne
Par ailleurs, et comme le rappelait le défunt président français Jacques Chirac, seul le feu est révélateur, à la guerre comme en politique, du véritable caractère des hommes. Tant que cette épreuve n’est pas là, toutes les hypothèses restent possibles. « On s’imagine avoir choisi des hommes pour leur vertu, parfaitement visible dans le traitement des difficultés ordinaires. Mais on ne les connaît vraiment que face au péril, à cet instant précis, imparable, où les certitudes vacillent. »
De ce fait, il faut saluer la pondération du chef de l’État ivoirien, Alassane Ouattara, qui a refusé de céder à la provocation, se gardant de toute escalade dans la gestion de cette affaire. Il est resté focus, comme on dit de nos jours, sur l’unique cause qui demande la mobilisation de toutes les énergies : le retour à la maison des 46 soldats restés prisonniers au Mali, loin de leurs familles respectives.