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En perte de vitesse dans d’autres pays, la corrida fait débat en France mais reste bien en place

En perte de vitesse dans d'autres pays, la corrida fait débat en France mais reste bien en place


La tauromachie est de nouveau au cœur du débat alors qu’une proposition de loi visant à interdire la corrida, portée par le député Aymeric Caron, sera examinée le 24 novembre prochain par l’Assemblée nationale. Au nom de « traditions locales ininterrompues », les tentatives de modification du Code pénal n’ont jamais abouti, alors que bien d’autres pays, notamment d’Amérique latine, ont déjà opéré la bascule, parfois depuis très longtemps.

La corrida de nouveau dans l’arène politique. Les députés ont rejeté, mercredi 16 novembre en commission des lois, la proposition inflammable d’interdiction de la corrida portée par l’insoumis Aymeric Caron, député Nupes de la 18e circonscription de Paris. Une proposition qui sera néanmoins examinée par l’Assemblée nationale le 24 novembre prochain.

« Vous venez d’envoyer un signal terrible aux Français en leur expliquant que vous vous moquez complètement de ce qu’ils souhaitent », a réagi le fondateur du parti écologiste et antispéciste Révolution Écologique pour le Vivant (REV). « La démocratie est en jeu quand 8 Français sur 10 réclament la fin de la corrida et que vous ne les entendez pas », a-t-il poursuivi, disant néanmoins ne pas douter « que l’Assemblée nationale, en séance publique, saura exprimer une position courageuse et ambitieuse qui sera en phase avec ce que veulent les Français ».

Dernièrement, un sondage Ifop pour le JDD révélait que 74 % des Français se disent favorables à son interdiction. Selon le baromètre 2022 Ifop/Fondation 30 Millions d’Amis, près de 8 Français sur 10 (77 %) souhaitent une évolution sociétale permettant de mettre fin à cette pratique. Un résultat en constante augmentation, qui a progressé de pas moins de 27 % depuis 2007.

Pourtant, ce sont 200 corridas qui sont encore organisées en France chaque année – et plus d’un millier de taureaux tués, précise à Géo, Roger Lahana, président de l’association No Corrida – dans les régions où elles sont autorisées.

Dans d’autres pays (notamment sud-américains) où la tradition est bien plus enracinée car plus ancienne, des lois restrictives, voire des interdictions, ont déjà été prises. Et d’autres encore sont à venir. En France, où la pratique s’est développée dans le courant du XIXe siècle, le choix politique demeure le statu quo malgré bien des tentatives pour l’abolir.

Une pratique protégée au nom de « traditions locales ininterrompues »

En France, la corrida pourrait être assimilée à un acte de cruauté, mais elle est protégée par le septième alinéa de l’article 521-1 du Code pénal qui prévoit un régime d’exception au nom de « traditions locales ininterrompues ». Elle est donc autorisée dans certains territoires où la pratique est considérée comme faisant partie du patrimoine.

Des zones officiellement arrêtées par la Cour d’appel de Toulouse en 2000 qui limite la pratique de la tauromachie « au Midi, entre le pays d’Arles et le Pays basque, entre la garrigue et la Méditerranée et entre les Pyrénées et la Gascogne ». Plus précisément, ce sont trois régions qui peuvent aujourd’hui organiser des corridas : la Nouvelle-Aquitaine, l’Occitanie et la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur.

Une décision confirmée par le Conseil constitutionnel, saisi par des associations anti-corrida, en 2012.

Pour interdire la corrida en France, il faudrait donc que le législateur change la loi, ce que propose le nouveau texte porté par Aymeric Caron.

La corrida est une « exception qui n’a plus lieu d’être », une « torture » des taureaux, juge l’ancien journaliste.

« Le fait, publiquement ou non, d’exercer des sévices graves ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ».

  • Mais cette disposition bénéficie d’une exception législative en son septième alinéa :

Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux courses de taureaux lorsqu’une tradition locale ininterrompue peut être invoquée. Elles ne sont pas non plus applicables aux combats de coqs dans les localités où une tradition ininterrompue peut être établie.

  • En septembre 2013, une proposition de loi relative à la « suppression de l’autorisation exceptionnelle de sévices et actes de cruauté sur les animaux lors des corridas », est déposée à l’Assemblée nationale par les deux coprésidents du groupe Europe Écologie-Les Verts (EELV), Barbara Pompili et François de Rugy. Proposition rejetée.

 

L’interdiction de cette pratique avait déjà été proposée trois ans plus tôt, en juillet 2010, par les députées anti-corrida Muriel Marland-Militello (UMP) et Geneviève Gaillard (PS).

  • En août 2021, plusieurs parlementaires – députés et sénateurs – avaient proposé de modifier la loi, en supprimant la dérogation permise par le septième alinéa de l’article 521-1 du Code pénal. La proposition a été rejetée.

Et cette question de société, qui s’invite régulièrement dans l’arène politique, ne fait pas débat qu’en France. La corrida déchaîne les passions dans d’autres pays de tradition tauromachique tels l’Espagne, la Colombie et le Mexique où des lois restrictives ont déjà été adoptées. Des pays, notamment en Amérique latine, qui pourraient bien finir par faire disparaître cette pratique.

En Espagne, où la Constitution prévoit que la compétence exclusive en matière de défense du patrimoine culturel, artistique et monumental appartienne à l’État, ce sont néanmoins les Communautés autonomes qui décident de la réglementation.

C’est ainsi que la Catalogne a pu voter l’interdiction de la corrida, en juillet 2010. Et si une décision du tribunal constitutionnel a invalidé cette interdiction en 2016, reste que plus aucune corrida n’a lieu dans cette région. Une décision qui a inspiré les Baléares. En 2017, le Parlement régional de l’archipel a voté une loi de protection des animaux réglementant les corridas, et interdisant notamment la mise à mort des taureaux.

Dans les autres communautés autonomes, en revanche, la tradition de la corrida avec mise à mort perdure.

Une mise à mort interdite en 1928 au Portugal, autre grand pays de culture taurine en Europe. Mais la pratique de la corrida reste toutefois très forte dans ce pays de la péninsule ibérique : une loi votée en l’an 2000 a même permis de réintroduire un droit de mise à mort dans certaines communes.

En Amérique latine, la tauromachie s’essouffle

De l’autre côté de l’Atlantique, la corrida n’a plus la cote depuis un moment. C’est le cas à Cuba, au Chili, en Argentine, en Uruguay et au Paraguay où la pratique, apportée par les conquistadors au 16e siècle a été interdite trois siècles plus tard et a donc déjà disparu. Au Panama, elle est interdite depuis 2012.

Malgré une abolition en 1894, la corrida continue d’être pratiquée au Venezuela, mais de manière relative puisque seules deux provinces (Táchira et Mérida, à l’ouest) en ont réellement organisé depuis 2016. Dans les grandes villes, notamment la capitale Caracas, la pratique a été totalement abandonnée.

La Colombie a connu plusieurs tentatives d’abolition de la corrida, qui n’ont encore jamais abouti. Ainsi, des corridas avec mise à mort du taureau ont encore lieu dans certaines grandes villes. Mais dans ce pays d’Amérique du Sud aussi, la situation pourrait rapidement évoluer, le nouveau président Gustavo Petro se présentant comme fervent opposant à la tauromachie. Un projet de loi visant à interdire les spectacles avec mise à mort du taureau a d’ailleurs déjà été déposé.

L’Équateur se dirige lui aussi progressivement vers l’abolition. Depuis 2021, la capitale Quito interdit tout « spectacle public ou privé impliquant la souffrance, la maltraitance, la mort ou toute atteinte au bien-être animal ». Exit donc la corrida et les combats de coq.

À Mexico (Mexique) où se trouvent les plus grandes arènes de corrida du monde, pouvant accueillir jusqu’à 50 000 spectateurs, la pratique a été suspendue en juin dernier par un juge appelé à statuer sur la plainte d’une association opposée à la tauromachie. Sur 32 États mexicains, cinq ont déjà interdit ces spectacles.

Au Pérou, en revanche, la tradition de la corrida demeure vivace. Début 2020, la Cour constitutionnelle a rejeté une action collective réclamant l’interdiction de la tauromachie et des combats de coqs, arguant qu' »il n’existe pas de Déclaration universelle des droits de l’animal ».

Désunion politique et « pression des lobbies »

En France, Aymeric Caron aimerait modifier le Code pénal et ajouter par amendement l’interdiction des combats de coqs, encore autorisés dans le Nord ou certains territoires d’Outre-mer. Une proposition de loi qui suscite l’embarras dans les différents groupes politiques.

Au nom de la défense d’une « tradition culturelle » dans le Sud-Ouest et le pourtour méditerranéen, le gouvernement compte s’y opposer.

Mardi, veille du passage de la proposition devant la commission des lois, la secrétaire d’État en charge de la Ruralité, Dominique Faure, a appelé les députés de son groupe à ne pas « tomber dans le radicalisme du député » Caron, selon une source parlementaire. « Il ne faut pas opposer émotion et attachement au terroir », a-t-elle plaidé.

Sensible, le sujet divise la majorité. En juillet 2021, quand elle n’était pas encore présidente des députés Renaissance, Aurore Bergé avait signé une tribune pour interdire la corrida, jugée « barbare ». À l’inverse, l’élu du Gers, Jean-René Cazeneuve, s’oppose frontalement à l’interdiction de cette pratique présente dans son territoire. « Ça va disparaître tout seul, il y en a de moins en moins. Ça ne sert à rien de l’interdire et d’humilier des gens pour qui ce sont des traditions », argumente-t-il auprès de l’AFP.

À l’extrême droite règne également la division. Julien Odoul (RN) se dit prêt à voter l’interdiction, tandis que son collègue Emmanuel Taché de la Pagerie défend ardemment la corrida.

Plus grande homogénéité du côté des Républicains, semble-t-il. « On est assez nombreux dans le groupe » à « dire notre attachement à cette tradition taurine », relève le chef des députés de droite, Olivier Marleix.

Reste que dans ces conditions, le texte a peu de chances d’aboutir. D’autant que son examen complet, le 24 novembre dans l’hémicycle, est encore incertain puisqu’il figure en quatrième position dans la « niche » LFI, après des propositions comme le SMIC à 1 600 euros ou l’inscription de l’IVG dans la Constitution.

Après le rejet de son texte par la commission, Aymeric Caron a réagi, dénonçant « le poids et la pression des lobbies ». Invité de RTL le soir-même, le député antispéciste a précisé : « des porte-parole du monde taurin ont fait savoir à mon équipe qu’ils ont appelé des politiques, des gens de la commission des lois, pour les convaincre de ne pas voter ce texte ».

Évoquant une « agitation en coulisses », l’auteur de l’ouvrage « Abolition », paru jeudi aux éditions Robert Laffont, dit avoir notamment constaté un « retournement de la part de députés Renaissance (majorité présidentielle, NDLR) »  qui avaient eux-mêmes auparavant fait état de « pressions exercées pour que le vote positif se transforme, par exemple, en abstention ».

À quelques jours du vote de la proposition de loi corrida à l’Assemblée, des dizaines de manifestations ont eu lieu, samedi, pour demander l’abolition de cette pratique en France.

Au cri de « corrida basta », les manifestants réunis en arc de cercle sur la Place du Châtelet à Paris, symbolisant une arène, ont demandé de « reléguer les arènes taurines aux oubliettes de l’histoire ».

Des militants organisent une action anti-corrida lors d'une manifestation de PETA,  à Paris le 19 novembre 2022.
Des militants organisent une action anti-corrida lors d’une manifestation de PETA, à Paris le 19 novembre 2022. Julien de Rosa, AFP

À Dax, Bayonne, Béziers, Pau, Nîmes, ou encore Perpignan, des centaines de personnes ont quant à elles manifesté pour dire « oui à la corrida ».

Quand les militants du sud-ouest demandent : « Foutez-nous la paix », les défenseurs des animaux, eux, estiment que les lois devraient être les mêmes sur tout le territoire. Selon Marie-Anne Leneveu, du Comité radical anti-corrida (CRAC), « ce n’est pas une minorité qui doit imposer son avis à la majorité ».

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