Les 24 et 28 novembre, l’Assemblée nationale doit se prononcer sur l’inscription du droit à l’avortement dans la Constitution. Deux textes seront débattus par les députés : l’un porté par La France insoumise, l’autre par la majorité présidentielle. En cas d’adoption, la route risque d’être longue, entre divisions du monde politique sur la question et complexité de la procédure de révision constitutionnelle.
Deux textes différents, mais avec la même volonté : l’inscription de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) dans la Constitution. Les 24 et 28 novembre, l’Assemblée nationale va examiner deux propositions de loi constitutionnelle visant à garantir ce droit, l’une émanant de La France insoumise (LFI), l’autre du parti présidentiel, Renaissance.
« Nulle femme ne peut être privée du droit » à l’IVG, indique le texte des députés macronistes. Celui porté par LFI a pour particularité de mentionner le droit à la contraception : « Nul ne peut porter atteinte au droit à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception. »
Un monde politique divisé
Entre le parti présidentiel et la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes), la proposition semble faire consensus. Mais chez Les Républicains (LR) et le Rassemblement national (RN), les élus se voient tiraillés entre des sensibilités très conservatrices, voire anti-IVG, et d’autres plus progressistes.
Aurélien Pradié, candidat à la présidence du parti LR, a récemment affiché son soutien au texte. « Je souhaite que nous puissions voter la constitutionnalisation de ce droit », a déclaré le député du Lot sur Sud Radio. De son côté, le président du groupe LR au Sénat, Bruno Retailleau, également candidat à la présidence du parti de droite, avait tweeté sa réticence concernant l’inscription du droit à l’avortement dans la Constitution.
Le RN, régulièrement épinglé pour son ambiguïté sur l’avortement, a décidé de changer de discours. Selon des informations de RTL, le groupe a déposé, lundi, un amendement à la proposition de loi portée par LFI. Celui-ci vise à constitutionnaliser la loi Veil, aujourd’hui inscrite au Code de la santé publique. Un moyen pour le parti lepéniste de montrer qu’il ne remet pas en cause le droit à l’IVG, tout en empêchant la modification des conditions d’accès et des délais actuels pour avorter, ce que ne garantirait pas le texte porté par LFI, jugé « trop large », selon les propos au HuffPost du secrétaire général du groupe RN à l’Assemblée, Renaud Labaye.
Jusqu’ici, Marine Le Pen avait toujours exprimé ses réticences. « Nous ne sommes pas les États-Unis. Aucune formation politique en France ne réclame la suppression de ce droit. Je ne comprends pas bien du coup à quel danger doit répondre cette demande de constitutionnalisation », avait-elle affirmé le 13 novembre dans un entretien au Journal du dimanche. Pendant sa campagne de 2012, elle n’avait pas exclu la possibilité de dérembourser l’IVG, estimant que certaines femmes l’utilisent comme un moyen de contraception, et parlant d’ »avortement de confort ».
Une proposition utile ?
Sur franceinfo, Jean-Philippe Tanguy, député RN de la Somme, estime « qu’il n’a jamais été question pour Marine Le Pen de remettre en cause le droit à l’IVG ». Cet amendement « permet de clore ces fausses accusations et de proposer une solution consensuelle ».
D’autres députés RN ont pourtant montré des positions clairement anti-IVG, à l’instar d’Hervé de Lépinau, qui estime que le droit à l’IVG à 14 semaines est comparable « aux génocides arméniens et rwandais, à la Shoah, aux crimes de Daech », rapportait en juin le Journal du dimanche. Lors de la Marche pour la vie en 2011, le député Christophe Bentz avait également déclaré que « l’avortement est un génocide de masse ».
Enfin, certains élus remettent en question l’utilité de la proposition. En juin, François Bayrou, président du MoDem et allié d’Emmanuel Macron, s’interrogeait sur BFMTV sur l’utilité d’inscrire le droit à l’IVG dans la Constitution, affirmant qu’ »aucun courant politique ne remet en cause la loi Veil » de 1975.
Pourtant, si les députés français ont récemment fait évoluer le délai légal à 14 semaines pour pratiquer une IVG, ils pourraient parcourir aussi le chemin inverse.
L’opposition du Sénat
Si l’un des textes est adopté, la route restera longue jusqu’à la constitutionnalisation du droit à l’IVG. Le texte doit en effet être voté en termes identiques par l’Assemblée nationale et le Sénat, chaque assemblée disposant d’une sorte de droit de veto, contrairement à une loi ordinaire où l’Assemblée nationale a le dernier mot en cas de désaccord avec la Chambre haute.
Aujourd’hui, l’inscription de l’IVG dans la Constitution se heurte à l’opposition du Sénat. Le 19 octobre, la droite sénatoriale a ainsi rejeté une proposition transpartisane visant à inscrire l’IVG dans la Constitution et portée par la sénatrice écologiste Mélanie Vogel. Interrogée samedi sur France 24, la sénatrice ne se dit pas « surprise ». « Depuis l’adoption de la loi Veil [en 1975, NDLR], la droite s’est toujours opposée aux différents progrès concernant le droit à l’IVG en France », explique-t-elle.
Avant de poursuivre : « La droite s’est opposée au remboursement de l‘IVG, à l’allongement des délais légaux et à la mise en place du délit d’entrave à l’IVG. Ils [les sénateurs de droite, NDLR] se sont toujours opposés aux progrès tout en disant, une fois que ces progrès avaient été acquis de haute lutte, qu’ils les soutenaient, mais qu’ils s’opposaient toujours au progrès suivant. »
Mélanie Vogel reste cependant optimiste. « Cette opposition n’a finalement pas été si forte », relativise la sénatrice, faisant référence aux résultats du vote – 139 voix pour et 172 contre. « Moi, je crois qu’il y a un chemin et qu’on a une possibilité de remporter cette victoire au Sénat. »
Le référendum, l’étape finale ?
Si l’obstacle du Sénat était levé, la bataille ne serait pas encore gagnée. Le texte devrait ensuite être soumis au peuple par voie de référendum, un outil politique qui a peu fait ses preuves jusqu’à présent. Les électeurs sont en effet réputés pour ne jamais répondre à la question posée mais à celui qui la pose, pour lui apporter ou non son soutien. « Si les Français votaient non, ce serait condamner le droit à l’IVG pour plusieurs années », analyse Mathilde Philip-Gay, professeure de droit public à l’université Jean Moulin Lyon 3 spécialisée en droit constitutionnel.
Le seul moyen d’éviter l’étape du référendum serait que l’initiative pour réviser la Constitution vienne de l’exécutif, le gouvernement pouvant choisir de soumettre son projet de loi aux deux chambres réunies en Congrès pour l’adoption finale.
« C’est évidemment l’option que je préfère, et que toutes les personnes qui veulent voir ce droit inscrit dans la Constitution préfèrent », commente Mélanie Vogel sur France 24. « Une écrasante majorité de la population est en faveur de l’inscription de ce droit dans la Constitution, donc on ne voit pas bien pourquoi l’organisation d’un tel référendum serait nécessaire […] et un référendum coûte des dizaines de milliers d’euros… On a d’autres endroits où mettre l’argent public aujourd’hui. »
Le Conseil constitutionnel « n’est pas une protection absolue »
La question de constitutionnaliser le droit à l’IVG divise aussi le monde juridique. Dans une tribune publiée en juin sur le site du Club des juristes, certains constitutionnalistes, comme Anne Levade, professeure de droit public à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, estiment que ce droit est suffisamment protégé, à la fois par la loi Veil, mais aussi par le Conseil constitutionnel, chargé notamment de vérifier la constitutionnalité d’une loi.
Un argument avec lequel Mathilde Philip-Gay n’est pas d’accord. Le Conseil constitutionnel « n’est pas une protection absolue contre les atteintes au droit à l’IVG », souligne l’experte. « Si un jour, une loi est votée à l’encontre de l’IVG, le Conseil constitutionnel pourrait très bien décider de ne pas se prononcer, comme aucun texte n’est inscrit dans la Constitution à ce sujet. »
Mathilde Philip-Gay fait par ailleurs le parallèle avec ce qui s’est passé aux États-Unis. « L’exemple américain a montré qu’avec une longue stratégie politique, il est possible de changer la composition de la Cour suprême. Cela pourrait arriver en France avec le Conseil constitutionnel », composé de neuf membres nommés par le président de la République et les présidents des chambres parlementaires. « Donc on peut imaginer que, si à la prochaine élection, les autorités sont hostiles à l’IVG, tout peut basculer. Ce serait un processus long, mais pas impossible. »