Il déboule en s’excusant. Petit retard, désolé. Yannick Bolloré arrive tout droit du siège d’Havas, où il recevait François Hollande: une session privée autour du dernier livre de l’ex-président, Bouleversements (éd. Stock), réservée à quelque 150 salariés d’Havas Paris. Lui-même soumis à quelques secousses, le président du conseil de surveillance de Vivendi est plutôt emballé par ce moment, organisé par Mayada Boulos. L’ex-conseillère en communication de Jean Castex à Matignon a rapidement imposé sa marque depuis que Yannick Bolloré l’a installée, en juillet, à la coprésidence de l’agence, alors en plein tourment après des accusations de harcèlement. « La crise est derrière nous », souffle l’homme d’affaires avec sa casquette de patron d’Havas Group, filiale de Vivendi.
Un autre dossier absorbe actuellement l’essentiel de ses journées: la finalisation de l’acquisition de Lagardère et de son pôle édition Hachette Livre. La Commission européenne a confirmé, le jour même de la rencontre, l’ouverture d’une enquête approfondie sur l’opération et se donne jusqu’au 19 avril 2023 pour rendre ses conclusions. Elle s’interroge notamment sur les modalités de cession du pôle édition de Vivendi, Editis, par un projet de « distribution-cotation ». Pour Yannick Bolloré, il n’était pas question de le saucissonner. « Un découpage aurait été traumatisant pour les équipes et Bruxelles est très vigilant à ce qu’Editis reste suffisamment fort pour animer la concurrence sur le marché. » Et le président de Vivendi veut aller vite:
« Ce n’est pas le moment idéal pour vendre, mais nous n’avons pas le choix », soupire-t-il, en évoquant la hausse du prix du papier, la crise énergétique, la baisse de rentabilité. Vivendi fera connaître le nom du « repreneur idéal » d’ici à fin janvier. « Ce sera le mieux offrant pour l’ensemble des parties prenantes et qui s’intéresse au métier de l’édition. » Et aussi un acteur qui ne dispose pas d’activité dans l’édition en France pour éviter de prolonger encore la discussion avec Bruxelles. « Nous aimerions clore l’opération au printemps, mais la Commission décidera du calendrier. »
« Privilégier la diversité »
Placé sous haute surveillance, le groupe va devoir faire profil bas dans les prochains mois, au risque de manquer quelques belles opérations. A commencer par Simon & Schuster, l’éditeur américain de Stephen King, propriété de Paramount, dont le rachat par l’allemand Bertelsmann, pour 2,18 milliards de dollars, a été bloqué le mois dernier par l’antitrust.
Yannick Bolloré est intéressé, mais « le timing est mauvais pour nous, confie-t-il. Notre priorité, côté Vivendi, est de finaliser notre rapprochement avec Lagardère ». Prudent, mais confiant, il rappelle que le schéma retenu pour la cession d’Editis est le même que celui adopté pour la vente d’Universal Music au chinois Tencent et au fonds américain Pershing Square. Finalisée l’an dernier, l’opération a permis à Vivendi de récupérer 9,3 milliards d’euros en cash, rappelle-t-il, tout en conservant 10% du capital – 18% restant entre les mains du groupe Bolloré. C’est d’ailleurs cette ventilation du capital et le fait que le camp Bolloré conserve une part significative d’Editis au terme de l’opération qui semble poser un problème à la Commission. Ces deux mouvements structurants, auxquels il a activement contribué, redessinent le contour de Vivendi.
Numéro 1 des médias
« Nous voulons être leader dans les médias, la communication et l’entertainment », résume Yannick Bolloré. Une mission qu’il mène en étroite collaboration avec le président du directoire du groupe Arnaud de Puyfontaine. « Le respect mutuel entre nous est très fort et les liens d’amitié sont réels. » Et les deux hommes veillent ensemble au développement du groupe, en insistant sur « trois axes: la transformation de nos métiers, leur internationalisation et leur intégration les uns avec les autres ».
Côté édition, le volet international, point faible d’Editis, devrait être réglé avec l’intégration d’Hachette Livre. Sur la partie télévision, la mission est quasiment accomplie: les deux tiers des 24 millions d’abonnés à Canal+ sont hors de France et Yannick Bolloré se montre plutôt fier de la transformation digitale de la chaîne cryptée. Il apprécie, en particulier, l’interface de MyCanal, bien meilleure, selon lui, que celles des champions américains du streaming comme Netflix ou Amazon Prime. Dont il critique au passage les logiciels de recommandations suivant les comportements des abonnés. Pas de ça à Canal+: « Les algorithmes ne remplaceront jamais le cerveau humain, s’enflamme-t-il. Nous croyons à la spécificité culturelle de chaque pays, les Américains industrialisent et donc normalisent l’activité culturelle. » Et le président de Canal+ de s’ériger en défenseur de la création française: « A Canal+, nous privilégions la richesse et la diversité, quitte à se tromper parfois. »
« Rôle d’agrégateur »
Yannick Bolloré observe les prémices d’un revirement stratégique des grands studios, qui tous ont lancé leur plateforme de diffusion. Et le paient cher, à l’instar de Disney ou de Warner. « Avec Paramount +, qui est distribué en France par Canal+, nous démontrons notre capacité à jouer un rôle d’agrégateur au bénéfice des clients », tranche le président de Vivendi.Le petit moment d’autocélébration s’étend au sport, deuxième pilier de la chaîne cryptée, qui a su se diversifier au-delà du foot. Pas de ressentiment envers Amazon qui lui a ravi la diffusion de la Ligue 1: « Ils ont saisi une opportunité, nous ne leur en voulons pas. Nous aurions certainement fait la même chose. »
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Et Yannick Bolloré reste imperturbable lorsqu’on l’interroge sur les débordements qui agitent régulièrement l’empire Canal – ceux de Cyril Hanouna sur C8. Plein soutien à l’animateur avec lequel il partage, notamment, une passion pour le paddle: « Nous sommes en effet proches. Il est beaucoup dans l’émotion de l’instant, ce qui est le plus souvent une force et démontre surtout son authenticité. » Et ponctue par une pirouette que certains prendront pour une provocation: « La liberté d’expression est une valeur fondamentale de ce groupe. »