Des Montréalais pourraient avoir à filtrer l’eau du robinet pendant encore 10 ans pour protéger leur santé, en attendant que la Ville remplace leurs entrées d’eau en plomb.
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«On n’a aucune idée quand auront lieu les travaux d’ici 2032. Dix ans, c’est beaucoup quand on parle d’eau courante», lance Sébastien Joly, qui a déménagé il y a deux ans sur la rue Saint-Urbain dans le quartier Ahuntsic, où il habite avec sa conjointe et sa petite fille de deux ans.
En 2019, la Ville de Montréal a lancé une vaste campagne de dépistage en vue de supprimer les 50 000 conduites d’eau en plomb sur son territoire d’ici à 2030, un échéancier reporté en 2032 en raison du nombre de dépistages revu à la hausse et de retards causés par la pandémie, confirme par courriel un porte-parole, Hugo Bourgoin.
Pour Sébastien Joly, le verdict est tombé l’an dernier: l’eau de son triplex a une concentration en plomb plus de deux fois supérieure à 5 picogrammes par litre (ug/litre), le maximum recommandé par Santé Canada. On lui a donc suggéré d’éviter de boire et de cuisiner avec l’eau du robinet non filtrée en raison des risques pour la santé, particulièrement pour le développement neurologique des jeunes enfants (voir plus bas).
« C’est trop de risques. Je n’ai pas envie d’avoir du plomb qui se stocke dans mes os pendant des années. Pour ma fille, c’est sûr que c’est non », laisse tomber le jeune père de famille.
Attendre après la ville
Propriétaires du triplex voisin depuis 1999, Isabelle Perrin et Arnaud Belarbi ont reçu le résultat du dépistage par écrit en août 2021.
Ils pensaient devoir assumer les frais des travaux de remplacement, comme l’exige la Ville de Montréal depuis 2019. Mais en discutant avec des entrepreneurs, ils ont découvert que leur partie de la tuyauterie est en cuivre. Ils devront donc attendre les travaux de la portion publique en plomb pour arrêter de filtrer l’eau du robinet.
«Quand on appelle la Ville pour savoir où on en est dans le calendrier, tout ce qu’on nous dit, c’est qu’on va être avisé deux semaines à l’avance», déplore Isabelle Perrin.
Elle a pu obtenir facilement un pichet filtrant fourni par la Ville pour assainir l’eau. Elle a toutefois rapidement épuisé les filtres de rechange et doit désormais se les procurer, pour sa famille, mais aussi pour ses deux locataires.
Peu écologique
M. Joly explique qu’au bout de deux ou trois mois, les filtres perdent de leur efficacité.
«Quand le filtre est saturé, ça relâche des particules de plomb», soutient-il.
Pour faciliter la cuisine en famille, il complète avec des bouteilles d’eau de 18 litres.
«J’ai l’impression d’être en camping», laisse-t-il tomber, ajoutant que cette solution n’est pas très écologique.
«Est-ce qu’on va en avoir pour 10 ans de pichets?» se demande Isabelle Perrin.
Elle réclame que les frais soient déduits de la taxe sur le service de l’eau, qui s’élève à environ 560 $ pour cette année.
«Sur 10 ans, c’est 5600 $. Ça fait cher de taxes pour de l’eau qu’on ne peut pas boire.»
QUELQUES CHIFFRES
- 50 000 | Nombre de conduites d’eau que l’administration Plante estimait devoir remplacer en 2019 d’ici 2030, un échéancier reporté à 2032.
- 28 353 | Nombre de remplacements réalisés à la fin de 2021.
- 100 000 | Nombre des 250 000 branchements d’eau des 19 arrondissements montréalais qui restaient à dépister en début d’année selon la Ville.
Des risques pour les jeunes enfants
À Montréal, il n’y a presque pas de plomb dans l’eau potable des réseaux d’aqueduc. L’eau se charge en plomb lorsqu’elle circule dans les tuyaux qui raccordent les réseaux aux résidences, lit-on sur le site internet de la Direction régionale de santé publique de Montréal.
Les femmes enceintes et les jeunes enfants sont particulièrement vulnérables à l’exposition à ce métal lourd, en raison de risques pour le développement intellectuel des nourrissons et des enfants de moins de 6 ans.
«Il n’y a pas d’exposition considérée sécuritaire. Même une faible dose peut avoir un effet sur le développement», explique Caroline Huot, médecin-conseil à l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ).
Le risque est faible sur le plan individuel, mais il a une importance «notable» à l’échelle de la population, précise la Dre Huot. Elle ajoute que l’eau n’est généralement pas la principale source d’exposition au plomb, qui est aussi présent dans l’air et dans la poussière au sol.
Quelques conseils
- Utiliser un pichet filtrant certifié NSF/ANSI no 53 en respectant les consignes du fabriquant
- Laisser couler l’eau du robinet quelques minutes avant de la boire, surtout quand elle a séjourné longtemps dans les tuyaux
- Toujours utiliser de l’eau froide pour cuisiner
- Faire bouillir l’eau est inutile car le plomb ne s’évapore pas
Source : Direction régionale de santé publique de Montréal