La commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale a-t-elle entendu cet été les voix qui s’élevaient en faveur d’une véritable réflexion sur l’avenir de l’audiovisuel public ? Elle met, en tout cas, en place une mission d’information sur l’avenir de l’audiovisuel public. Celle-ci sera lancée courant novembre selon nos informations et ses conclusions seront rendues d’ici à 6 mois. Jean-Jacques Gaultier (LR) en est le président et Quentin Bataillon (Renaissance), le rapporteur. Parmi les 19 membres de la mission d’information, de tous bords politiques, figurent des députés Rassemblement national, comme Philippe Baillard ou Bruno Bilde, des députés Les Républicains, Frédérique Meunier par exemple, ou encore Nupes, tels Alexis Corbière (LFI) ou encore Inaki Echaniz (PS).
Le choix d’un président LR n’a rien d’anodin. Il permet de faire le lien avec les deux sénateurs LR Roger Karoutchi et Jean-Raymond Hugonet qui, en juin dernier, ont présenté les conclusions de leur rapport choc sur le financement de l’audiovisuel public. Ils appelaient notamment à une fusion de France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l’INA. Si la mission d’information présidée par le Républicain Jean-Jacques Gaultier aboutissait à une proposition de loi, le choix de ce binôme LR-Renaissance se révélerait d’autant plus stratégique pour parvenir à la faire adopter, au vu de la composition actuelle de l’Assemblée nationale.
Le choix et le calendrier des auditions n’ont certes pas encore été définis, mais la mission auditionnera « tous les grands acteurs de l’audiovisuel public », confirme Jean-Jacques Gaultier, y compris Sibyle Veil, PDG de Radio France ou Marie-Christine Saragosse, PDG de France Médias Monde.
Suppression de la redevance TV
Si l’avenir de l’audiovisuel public est au coeur des débats, c’est que le 27 juillet dernier, l’Assemblée nationale a voté l’article premier du PLFR qui supprime la redevance TV, rapportant 3,7 milliards d’euros à l’État chaque année. En compensation, une fraction de la TVA de même ampleur (3,7 milliards d’euros donc) est affectée au financement de l’audiovisuel public. Mais, via l’adoption d’un amendement, les sénateurs avaient borné au 31 décembre 2024 l’affectation d’une fraction du produit TVA pour assurer le financement de l’audiovisuel, un délai “laissant le temps de la mise en place d’une véritable réforme du secteur” selon eux. Une nécessité.
En effet, la loi de modernisation des finances publiques, adoptée en décembre dernier, prévoit qu’à partir de 2025, toute taxe affectée doit avoir un lien avec la mission financée. De quoi, peut-être, rendre caduc, à cette date, le financement par la TVA. Députés et sénateurs de l’opposition dénonçaient une solution du gouvernement “sortie de son chapeau”, sans préparation aucune.
Fin de la #redevance #PLFR2022 :
🗳Amendement adopté pour un nouveau socle financier avec une fraction de TVA (sans changer les taux)
💡Des contrats d’objectifs et de moyens de 5 ans validés par le Parlement pour déterminer et garantir les missions et l’indépendance #audiovisuel pic.twitter.com/ySe0IvyYbN— Quentin Bataillon (@qbataillon) July 23, 2022
La majorité reconnaissait volontiers que la solution était transitoire et non “une fin en soi”. D’où la mission d’information, qui vise à redéfinir les missions de l’audiovisuel public avant de réfléchir à son financement. En clair, “tout remettre à plat”, résume le rapporteur de la mission Quentin Bataillon. Pour lui, “il faut rouvrir le sujet de manière globale” et non en le prenant par un bout, comme cela a été le cas avec le débat sur le financement par la TVA cet été.
La réflexion se fera donc à partir des attentes et aspirations des Français, qui seront sondés au cours de la mission. “Quelles sont les attentes des citoyens ? Ce sera à eux de nous dire s’ils veulent payer pour regarder du sport ou du divertissement sur les chaînes publiques par exemple, explique le député Renaissance. Qu’est-ce qu’on doit garantir au niveau de l’information? ».
Par ailleurs, les députés plancheront sur le tournant numérique de l’audiovisuel public. Comment adapter le cadre légal du secteur audiovisuel à l’heure où de nombreuses offres privées se développent et que de nouveaux modes de consommation audiovisuels émergent? « Le paysage médiatique est en profonde mutation, avec de nouveaux usages et de nouvelles manières de regarder la télévision. Le tournant numérique est indispensable », martèle Jean-Jacques Gaultier. C’était l’objectif du projet de loi portant sur la communication audiovisuelle et la souveraineté culturelle à l’ère numérique, ajournée en 2020 en raison de la pandémie de Covid-19. Le texte visait notamment, à l’époque, à adapter la loi du 30 septembre 1986 sur la liberté de communication.
Quel financement de l’audiovisuel en 2024 ?
Une fois les missions définies, les députés se pencheront sur les pistes de financement de l’audiovisuel public. Quel financement après le 31 décembre 2024, jour où l’affectation d’une fraction de la TVA à l’audiovisuel public ne sera plus effective ? Dans leur rapport, les sénateurs Roger Karoutchi et Jean-Raymond Hugonet appelaient à une budgétisation du financement de l’audiovisuel public et préconisaient la mise en place d’une commission indépendante chargée d’évaluer annuellement les besoins de l’audiovisuel public et de définir, sur cette base, un budget pluriannuel.
Seulement, un tel financement ne protège pas le budget alloué à l’audiovisuel public des régulations budgétaires infra-annuelles permettant de geler tel ou tel crédit. “Nous voulons protéger les budgets de l’audiovisuel public de ces régulations”, assure Quentin Bataillon, qui précise toutefois ne pas privilégier une piste plutôt qu’une autre avant le début de la mission d’information. Jean-Jacques Gaultier émet, lui aussi, des réserves quant à une budgétisation pure. « Une telle solution peur instiller le doute dans la tête des gens qui amalgameraient audiovisuel public et médias d’Etat et effraie tous les acteurs de l’audiovisuel, y compris étrangers. Si cette piste était retenue, certaines chaînes étrangères risqueraient de couper leurs fréquences en France!, prévient Jean-Jacques Gaultier. Il faut une solution qui garantisse l’indépendance de l’audiovisuel qui est de toute façon constitutionnelle ».
Autre solution pour financer l’audiovisuel public, celle d’une “contribution universelle et progressive”, défendue par les députés de la Nupes. Mi-juillet, ils avaient déposé une proposition de loi pour une contribution calculée en fonction du niveau des revenus des citoyens, en s’inspirant des travaux de l’économiste Julia Cagé. C’est d’ailleurs ce que vont défendre les députés Nupes, membres de la mission d’information – Ségolène Amiot, Alexis Corbière, Inaki Echaniz, Stéphane Peu… Inaki Echaniz détaille son objectif dans le cadre de la mission : “Nous voulons démontrer qu’une budgétisation menace l’indépendance de l’audiovisuel et ouvre la voie à une privatisation. Et défendre la contribution universelle et progressive que l’on proposait et qui permettrait à l’audiovisuel de développer ses projets de manière pérenne”.
Le député se montre optimiste quant à la possibilité de “convaincre” ses collègues membres de la commission, hormis “les députés RN qui veulent une privatisation”. “Certains politiques de la majorité regrettent la rapidité avec laquelle la suppression de la redevance TV et le financement par la TVA ont été votés, sans réflexion. On peut arriver à pousser dans l’autre sens.” Il se réjouit en tout cas du lancement de la mission d’information, qui devrait permettre de « dépassionner le débat”.