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Au Soudan, un premier pas vers une sortie de crise

Au Soudan, un premier pas vers une sortie de crise


Le chef de l’armée soudanaise, le général Abdel Fattah Abdelrahman Al-Bourhane, (au centre), et des généraux brandissent un document à la suite de la signature d’un accord initial visant à mettre fin à une crise causée par le coup d’Etat militaire de 2021, à Khartoum, le lundi 5 décembre 2022.

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Un premier pas vers le rétablissement d’un régime civil a été franchi lundi 5 décembre au Soudan. Après des mois de négociations, les généraux à l’origine du coup d’Etat du 25 octobre 2021 ont signé un « accord préliminaire » avec la principale coalition de partis pro-démocratie, prévoyant le retrait de l’armée de la scène politique. Ratifié en grande pompe au palais républicain de Khartoum, le texte ouvre la voie à une période de transition de deux ans qui débuterait dès la nomination d’un premier ministre chargé de diriger un gouvernement civil jusqu’à l’organisation d’élections libres.

« L’armée retourne dans ses casernes », a déclaré le chef de la junte, le général Abdel Fattah Abdelrahman Al-Bourhane, reprenant l’un des slogans scandés dans les manifestations hebdomadaires contre son pouvoir. Salué par l’ONU, le texte signé par les responsables de la junte et plusieurs chefs de groupes armés, qui avaient fait dérailler en 2021 la transition démocratique amorcée à la chute d’Omar Al-Bachir en 2019, prévoit de limiter le rôle des militaires au sein d’un Conseil de défense et de sécurité placé sous la supervision du premier ministre. Le titre de chef des armées devrait revenir à un civil placé à la tête d’un conseil souverain de transition, et les entreprises contrôlées par les militaires dans de nombreux secteurs stratégiques de l’économie seront sous la tutelle du ministère des finances.

Du côté civil, les Forces pour la liberté et le changement (FLC), la principale coalition d’opposition dont les représentants avaient été évincés lors du coup d’Etat d’octobre 2021, se sont félicitées d’être parvenues à un règlement avec la junte, espérant mettre un terme aux multiples crises que traverse le pays. Pour établir « un régime démocratique durable », les représentants du conseil central des FLC ont appelé toutes les forces révolutionnaires à s’unir.

Soutien économique

Cette percée dans des négociations enlisées depuis des mois a été acclamée par de nombreux partenaires internationaux, à commencer par l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, le Royaume-Uni et les Etats-Unis. Le quatuor, qui a fait office de médiateur entre civils et militaires, s’est engagé, lundi, à fournir un soutien économique important au Soudan, une fois le gouvernement civil formé, pour aider le pays à sortir de la crise économique et sociale profonde dans laquelle il est enlisé.

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Plusieurs forces politiques s’opposent toutefois catégoriquement à l’accord conclu et ont boycotté sa signature. C’est le cas, en premier lieu, des partisans du mouvement islamiste mais également des membres du Bloc démocratique, une dissidence des FLC, ainsi que de l’actuel ministre de l’économie, Gibril Ibrahim, et de l’ancien rebelle du Darfour, Minni Minnawi. Tous deux considèrent le texte comme « peu inclusif » et « loin de pouvoir assurer la stabilité ».

De l’autre côté de l’échiquier, les comités de résistance, fer de lance de la contestation du pouvoir militaire depuis le putsch, ainsi que le Parti communiste et plusieurs organisations de la société civile, refusent depuis de longs mois toute négociation avec la junte, qu’ils tiennent responsable de la mort de plus de 121 manifestants en un an. Au moment où l’accord était paraphé, dans le centre de la capitale, les rues de nombreux quartiers se couvraient de la fumée noire des pneus brûlés.

« Le processus pourrait dérailler »

« L’accord prouve que le mouvement pacifique dans les rues est parvenu à faire échouer le coup d’Etat. Mais d’un autre côté, les partis politiques signataires offrent aux généraux une occasion de se maintenir à des postes de responsabilité, sans pouvoir les juger, et de les rendre légitimes aux yeux de la communauté internationale », commente Samia El-Hadi, une manifestante.

Dans le texte signé lundi, certaines questions épineuses comme la justice transitionnelle, la réforme du secteur de la sécurité, la révision des accords de paix de Juba (conclus en 2020 entre les autorités soudanaises de transition et plusieurs mouvements rebelles) et le démantèlement du système de corruption hérité du règne d’Omar Al-Bachir, ont été reportées à de plus amples concertations. Les signataires se sont donnés « quelques semaines » pour sceller un accord définitif. Aucun calendrier précis n’a été fixé pour la nomination du gouvernement.

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« Ces questions laissées en suspens sont déterminantes pour la suite. Sans accord sur ces points cruciaux, tout le processus pourrait bien dérailler », considère Kholood Khair, fondatrice du centre de réflexion Confluence Advisory à Khartoum. Car « le Soudan a une longue histoire d’accords éphémères, met en garde la chercheuse. Une nouvelle fois, un texte a été négocié par des élites politiques en toute opacité, sans chercher à gagner l’approbation des forces vives de la société civile. Les mêmes erreurs se répètent. Cet accord repose plus sur l’approbation et le soutien de la communauté internationale plutôt que sur un véritable soutien populaire. Les gens se sentent exclus et pensent que ce sera encore un nouvel accord avec des généraux qui finira mal. »

Manifestations

Dans les rues de Khartoum, beaucoup regrettent l’opacité du processus de négociation. « On n’a pas eu notre mot à dire, on n’a pas été consultés pour savoir qui nous représenterait », s’indigne Sana Omar, portant masque et lunettes de protection contre les gaz lacrymogènes. « Ce qui se passe aujourd’hui est une trahison de la part des partis politiques qui ont négocié au nom du peuple soudanais pour signer avec les militaires qui ont tué nos frères et volé notre révolution », poursuit-elle.

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Les protestataires ne demandent plus seulement un gouvernement civil, ils exigent d’obtenir justice pour les centaines de morts tués dans le soulèvement populaire depuis 2019 mais aussi à travers le pays dans les régions en guerre comme le Darfour ou le Sud-Kordofan. « Nous n’avons aucune garantie que ce nouvel accord ne débouchera pas sur un autre coup d’Etat », fulmine un membre d’un comité de résistance occupé à monter une barricade. Lundi, les manifestations qui ont réuni des milliers de personnes ont à nouveau été violemment réprimées.

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