Plusieurs arbres plantés l’an dernier pour compenser les émissions de gaz à effet de serre de la reconstruction de l’échangeur Turcot en arrachent déjà. Pourtant, ceux-ci doivent tous survivre 100 ans pour que Québec respecte sa promesse d’un projet carboneutre.
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Le ministère des Transports du Québec (MTQ) devait remplacer chaque année les plants morts et moribonds et faire un entretien serré de ses plantations.
Or, en visitant les cinq plantations de la Montérégie, nous avons trouvé des tuteurs renversés ou endommagés, dont certains se trouvaient exactement dans la même position fâcheuse que lors de notre passage il y a un an.
À certains endroits, il faut de bons yeux pour apercevoir de pauvres arbrisseaux envahis par des plantes indigènes, quand ils ne sont pas enfouis sous des déchets.
L’an dernier, déjà, nous révélions que les 51 000 arbres à être plantés prendraient 100 ans avant de contrebalancer la pollution émise sur le chantier.
Entretien obligatoire
Natur’Eau-Lac, qui a obtenu un contrat de 880 000 $ (en plus d’un extra de 307 000 $) pour la plantation des 17 000 premiers arbres et leur entretien pendant 5 ans, dit se déplacer sur les sites « plusieurs fois » par année.
« L’entretien est prévu et obligatoire et je le fais », précise le président de l’entreprise, Jonathan Bolduc. Il dit avoir visité certains sites en Montérégie il y a 2-3 semaines.
« Si des sections n’ont pas été faites, ça ne veut pas dire que le contrat n’est pas respecté ou que ce ne sera pas fait, ajoute-t-il. Notre saison n’est pas terminée, il reste encore des choses à faire sur certains sites. »
M. Bolduc précise que la priorité est donnée au fauchage des herbacés. Il refuse d’indiquer le taux de mortalité des plantations, mais il affirme que celui-ci est « faible ». « Je n’ai pas l’autorisation de le donner, dit-il. Mais les arbres vont bien. »
Peu de suivi du ministère
Le MTQ n’est pas plus en mesure de donner ce chiffre.
« Le dénombrement des arbres remplacés et à remplacer est en cours », explique le porte-parole Gilles Payer.
Pourtant, l’appel d’offres précise que le ministère devait se présenter chaque printemps sur les différents sites « pour déterminer si des remplacements doivent être effectués au début de la saison de croissance ».
Le ministère ne semble pas au courant des problèmes avec les plantations, et dit être en communication avec l’entrepreneur afin « d’évaluer les opérations effectuées lors de cette première année ». Il évoque également un « retard encouru dans les opérations au printemps 2022 dû notamment à des bris d’équipements », sans donner plus de détails.
M. Bolduc précise que le nombre d’arbres plantés est garanti au terme du contrat de 5 ans.
« Quand je vais terminer mon projet, je vais être tout près de 100 % à cause de la garantie, je n’ai pas le choix. »
La « vraie question » est, selon lui, ce qui restera de ce projet dans 20 ans.
« Des projets qui ratent dans les végétaux il y en a beaucoup parce que ça reste dur […] sur le bord des routes, il y a des embruns salins, le vent, les rongeurs, il y a des chevreuils, il ne va pas y avoir [17 000] arbres dans 15 ans, ça c’est sûr », croit M. Bolduc qui ajoute toutefois que tout est mis en place pour assurer le succès de la plantation.
Un défi sur le bord de la route
La durée de vie moyenne des arbres en bordure de route, comme ceux qui sont plantés par le MTQ en Montérégie, est de 5 à 10 ans, selon le centre de recherche et d’innovation canadien Vineland Research.
Évelyne Thiffault, professeure au Département des sciences du bois et de la forêt de l’Université Laval, précise qu’il est possible d’augmenter cette durée de vie avec les soins appropriés.
« La littérature est de plus en plus claire, il faut aller visiter les arbres régulièrement, s’assurer de leur survie et les remplacer le plus tôt possible », indique l’experte.
Mme Thiffault dirige justement une recherche sur la séquestration du carbone en contexte routier financée par le MTQ.
« Il y a des projets de recherche complets sur les arbres en milieu urbain justement pour connaître les bonnes pratiques pour les faire survivre », dit-elle.
Cinq années cruciales
Dans le cadre de sa recherche, qui sera remise au ministère sous peu, elle recommande d’ailleurs aux organismes publics de prévoir un budget conséquent pour le suivi et l’entretien.
« Les premiers 5 ans sont des années particulièrement cruciales », indique-t-elle.
Par la suite, même si un suivi annuel n’est pas aussi important, les plantations doivent rester sous surveillance, car les bords de route demeurent des milieux qui peuvent être hostiles.
Pas de marge de manœuvre
Le ministère n’a d’ailleurs pas le luxe de perdre des arbres dans le cadre du projet Turcot. Il considère que les 51 000 arbres plantés sur 80 hectares compenseront les 35 000 tonnes émises.
Nous avons demandé au ministère si des pertes ont été incluses dans le calcul pour établir le nombre d’arbres à planter. Mais on nous répond uniquement que les arbres morts seront remplacés.
Les prévisions du MTQ pourraient être trop optimistes, si on les compare avec les pratiques du réputé programme de compensation de gaz à effet de serre (GES) Carbone boréal, associé à l’Université du Québec à Chicoutimi.
Selon leur calculateur, il faudrait planter près de 245 000 arbres.
Le chercheur Claude Villeneuve, qui y est associé, souligne qu’il est important d’être conservateur dans les calculs.
« Nous calculons la séquestration avec l’espèce la moins performante (épinette noire) sur les plus mauvais sites. En réalité, nous plantons aussi d’autres espèces, qui poussent plus vite et nous plantons 30 % d’arbres [supplémentaires] pour servir de tampon en cas de mortalité. »
SITE DE MONT-SAINT-HILAIRE
Il y a un an
Aujourd’hui
8701 arbres ont été plantés au printemps 2021. Certains tuteurs cassés lors de notre visite il y a un an étaient exactement dans la même position lorsque nous sommes retournés sur place à la mi-novembre.
SITE DE SAINTE-MADELEINE
Il y a un an
Aujourd’hui
932 arbres ont été plantés. L’un d’eux tente de peine et de misère de pousser à travers un protecteur rabougri qui n’a pas bougé d’un poil depuis un an.
Retard dans la plantation
- L’ensemble des 51 000 arbres de Turcot seront tous en terre un peu plus tard que prévu, a appris Le Journal.
- En plus de 17 000 arbres déjà plantés en Montérégie, le MTQ devait octroyer deux autres contrats de plantation.
- Un a été donné l’an dernier pour planter plus de 15 000 arbres sur 8 sites situés dans le Centre-du-Québec. Seulement 60 % des arbres ont été mis en terre jusqu’à maintenant, contrairement à ce qui était prévu. Le reste le sera en 2023.
- C’est l’entreprise Techni-Sol Pelouse Neault qui a obtenu le contrat de 909 000 $. Cette fois, le ministère a également accordé un contrat de surveillance des plantations au coût de 44 000 $ et c’est le Comité ZIP Les Deux Rives qui l’a obtenu.
- Pour ce qui est du dernier tiers des arbres, qui se trouveront dans la grande région de Montréal, un appel d’offres devait être lancé en 2022, mais il a été reporté à 2023.