L’empreinte carbone de nos activités numériques est devenue une réalité. Des organismes indépendants comme l’Arcep tentent de chiffrer concrètement l’impact écologique de notre consommation de smartphones, d’ordinateurs et même de séries en streaming. Et même s’il est difficile de chiffrer très précisément les kilos d’équivalent CO2 émis par nos smartphones ou nos ordinateurs, des initiatives concrètes commencent à voir le jour pour aider celles et ceux qui veulent réduire le bilan carbone de leurs gadgets technologiques.
Le reconditionné, star de la consommation “responsable”
La première solution, et probablement la plus connue, est bien évidemment d’acheter des appareils reconditionnés. Les avantages de ce mode de consommation sont nombreux. Le catalogue de produits s’élargit de jour en jour, les produits sont souvent bien moins chers et l’empreinte carbone des gadgets est largement inférieure à celle des produits neufs. On estime que l’empreinte carbone d’un smartphone reconditionné est 10 fois plus faible que celle d’un mobile fraîchement sorti d’une usine (10 kg d’équivalent CO2 contre 100 kg pour un smartphone neuf).
Avec les problématiques d’inflation, de pénurie de composants et l’urgence écologique, le marché du reconditionné s’est structuré pour proposer des offres de plus en plus intéressantes, avec garantie, accessoires et reprise de l’ancien mobile. Une manière de pousser le grand public à acheter plus responsable. “On a eu une année 2021 avec beaucoup de pénuries sur le neuf. Le Covid a déclenché une prise de conscience sur l’écologie et le local” nous explique Augustin Becquet, le PDG de Recommerce.
Pourtant, si le modèle du reconditionné est plutôt vertueux pour la planète,seuls 37 % de la population française cite le “recyclage et le réemploi” comme un déclencheur d’achat, un chiffre en baisse de 2 points par rapport à l’année dernière. “Ces dernières années, on voyait le critère écologique progresser. Ce coup de frein n’est, je l’espère, que conjoncturel. La nécessité de prendre des sujets autour de l’environnement est importante. Mais l’économie prime encore aujourd’hui”, précise le responsable de Recommerce.
La problématique de la réparabilité
Cette grande prise de conscience écologique, il n’y a pas que ReCommerce qui l’attend. “Les gens ne sont pas assez sensibilisés”, avoue-t-on chez CompaRecycle, une entreprise qui édite un comparateur de prix pour la reprise de vos vieux téléphones. “Si tout le monde ramenait son mobile en reprise, c’est 12 milliards qui seraient réinjectés dans l’économie” pointe Gaël Brouard, PDG de l’entreprise. Mais tous les téléphones reconditionnés ne se valent pas. La nécessité de consommer du reconditionné “local” est également importante. “Il faut être cohérent. On parle d’économie, d’écologie et de développement durable. Pourquoi aller chercher des produits vertueux achetés à l’autre bout du monde alors qu’on en a à côté de chez nous ? On marche sur la tête en allant s ‘approvisionner ailleurs parce qu’il n’y a pas assez de communication sur la reprise chez nous” détaille le responsable.
Pourquoi aller chercher des produits vertueux achetés à l’autre bout du monde alors qu’on en a à côté de chez nous ? On marche sur la tête.
Pour booster le marché, il faut aussi que les constructeurs jouent le jeu. “Là où il faut s’améliorer, c’est sur le prix et la valeur de reprise. Ça s’est lié à notre capacité à réparer les produits. Du coup, on a un combat qui est celui de la réparation. En ayant un accès plus facile aux pièces détachées, on peut proposer plus de produits. La façon dont les produits sont désignés aujourd’hui rend la réparation plus compliquée” explique Augustin Becquet. “Il faut des produits neufs beaucoup plus durables pour réduire le nombre de produits en circulation chaque année. Produire mieux, pour produire moins avec plus de circularité”.
La location, un modèle en croissance
Cette nécessité d’agir sur tout le processus de production se manifeste aujourd’hui avec l’émergence d’une autre tendance de consommation : la location de produits.
Pionnier sur le marché de l’électronique “responsable”, le fabricant Fairphone a lancé récemment son abonnement Fairphone Easy, une offre de location de mobile qui veut encourager les consommateurs à conserver leur téléphone le plus longtemps possible.
Concrètement, le programme consiste à fournir un Fairphone en location avec un abonnement dégressif au fil des ans. Plus le téléphone est gardé longtemps, moins la facture mensuelle est élevée. Mais au-delà du modèle économique — qui peut être compliqué à avaler pour ceux qui veulent rester propriétaires de leurs appareils électroniques — c’est surtout le suivi offert par une offre comme celle-là que Fairphone met en avant.
“L’avantage de Fairphone Easy c’est la traçabilité complète. Même sur la réparation intermédiaire. Vous avez la garantie que les pièces seront réutilisées au maximum” nous explique Agnès Crêpet, responsable chez Fairphone. L’idée est de véritablement prendre en compte l’empreinte carbone de son smartphone “du berceau au tombeau”. C’est la même logique que celle des récents efforts de l’Arcep pour établir une analyse du cycle de vie (ACV) de nos appareils électroniques. “Des services clés en main, ça évite de garder les téléphones dans le tiroir. Il faut que la fin de vie soit gérée, c’est tellement important. Aujourd’hui, seuls 17,4 % des téléphones sont recyclés convenablement. La quantité estimée de déchets électroniques jonchant aujourd’hui notre planète serait de 53,6 millions de tonnes” détaille Agnès Crêpet en s’appuyant sur un rapport de l’ONU.
Ne jamais abandonner un appareil dans un tiroir
Malheureusement, l’offre FairPhone Easy n’est pas encore disponible en France. Il existe cela dit des solutions similaires portées par des acteurs locaux. Commown, par exemple, est une Société Coopérative d’Intérêt Collectif (SCIC) qui œuvre pour mettre en place un marché de l’électronique “sobre et engagée”. Sur le même modèle que Fairphone, elle propose des appareils en location, mais pas n’importe quels appareils, seulement “les plus réparables et les plus durables”.
“Le modèle est simple : on se source chez les producteurs, on prépare les téléphones. Une fois que le client reçoit son appareil, le contrat se lance. Dès qu’il a un problème, on l’aide en envoyant des pièces ou des produits de substitution. Si l’appareil est réparable, il repart dans le circuit” liste Adrien Montagut cofondateur de Commown. La logique est la même que pour Fairphone : ne jamais abandonner un appareil à son sort et créer une industrie circulaire la plus vertueuse possible. “Si le produit n’est pas réparable, on fait de la valorisation des pièces détachées” ajoute même le responsable qui explique avoir eu un “switch” écologique “de 0 à 100 % depuis 2015”.
Une vision radicale pour l’industrie électronique
Sans surprise, on trouve des Fairphone 4 au catalogue de Commown, mais ce n’est pas tout. Il y a aussi des ordinateurs ou des casques audio sélectionnés pour leur facilité de réparation, ou, a minima, pour la position des constructeurs sur la problématique écologique. Derrière ces engagements se cache en fait une volonté de changer en profondeur l’industrie de l’électronique.
On pense qu’on peut mettre de l’électronique partout sans se préoccuper de la finitude des ressources. C’est d’une stupidité absolue.
“La vocation de l’entreprise est environnementale et sociale. Il faut diffuser un autre récit pour l’entrepreneuriat » lance Adrien Montagut. “On pense qu’on peut mettre de l’électronique partout sans se préoccuper de la finitude des ressources, de l’extraction des matières premières, etc. C’est d’une stupidité absolue. Notre vision de l’électronique c’est une limitation drastique des terminaux vers des appareils mutualisés”, envisage le responsable. L’entreprise met en avant une certaine vision des “communs”, cette philosophie qui consiste à mutualiser les ressources, la gouvernance et les règles qui régissent nos industries et nos sociétés.
“On est dans une société de surproduction, pas de surconsommation. Ce terme-là fait peser la responsabilité sur les consommateurs” s’agace le cofondateur. Le modèle économique de Commown, plus radical encore que celui du reconditionné, fait tout de même son petit bout de chemin puisque l’entreprise propose désormais ses services aux particuliers comme aux entreprises et se félicite d’avoir “deux ans de visibilité et de rentrée d’argent.”