Emmanuel Macron détient le record de dissolutions d’associations depuis le début de la Ve République, mais il est le deuxième chef de l’Etat à avoir le plus recours à ce pouvoir depuis sa création en 1936, derrière le Général De Gaulle. Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, souhaite dissoudre le mouvement « Les Soulèvements de la Terre », responsable des affrontements lors de la manifestation contre les réserves d’eau de substitution appelées « bassines » à Sainte-Soline (Deux-Sèvres) fin mars. Le mouvement conteste la procédure et dénonce une décision « liberticide ». C’est l’occasion de faire un point sur ce pouvoir de dissolution du gouvernement, créé en 1936 pour interdire les groupes de combat et les milices privées afin de protéger la République après que les militants d’extrême-droite et nationalistes de l’Action française ont tenté de la renverser en 1934.
Un record de dissolutions sous la Ve République
Ce pouvoir a été principalement utilisé par Emmanuel Macron depuis sa première élection en 2017. Jusqu’à présent, 33 décrets ont été publiés depuis son investiture, interdisant une association ou un groupement de fait. Ce chiffre est un record pour un président depuis le début de la Ve République. Toutefois, si l’on remonte à la création de ce pouvoir de dissolution en 1936, Emmanuel Macron se place en deuxième position, derrière le Général de Gaulle. Le professeur de droit public de l’université Grenoble-Alpes, Romain Rambaud, a minutieusement recensé toutes ces interdictions entre 1936 et 2013 afin d’alimenter ses recherches. Franceinfo a appliqué la même méthode pour compléter ses données et y inclure ces dernières années, jusqu’aux deux dernières dissolutions prononcées le 1er février 2023. Ces données permettent de constater que les dissolutions sont liées aux événements historiques, à l’actualité et aux orientations des pouvoirs politiques en place.
Des vagues de dissolutions très politiques
Les interdictions ont connu un premier pic en 1944, sous De Gaulle, au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Treize organisations liées à la collaboration pendant l’occupation nazie ont été interdites par une ordonnance, dont la Légion tricolore, le Parti franciste ou encore La Jeunesse de France et d’Outre-Mer. Le deuxième pic a eu lieu en 1968, seulement un mois après les événements de mai, toujours sous De Gaulle, et a visé des associations d’extrême-gauche comme La Jeunesse communiste révolutionnaire, La Voix ouvrière et l’Union des jeunesses communistes marxistes-léninistes. Le professeur Romain Rambaud note que la loi du 10 janvier 1936 permettant de dissoudre les groupes de combat et les milices privées contenait une certaine « ductilité », c’est-à-dire qu’elle pouvait être appliquée de manière assez souple en fonction des ambitions politiques.
Après De Gaulle, les dissolutions ont largement diminué : sept sous Georges Pompidou, deux sous Valéry Giscard d’Estaing, un rebond à quatorze sous François Mitterrand contre des organisations nationalistes, notamment corses, trois sous Jacques Chirac et deux sous Nicolas Sarkozy. Finalement, plusieurs événements ont fait repartir la tendance à la hausse sous François Hollande qui a signé dix décrets de dissolution. Après la mort du militant antifasciste Clément Méric en 2013, plusieurs groupes d’extrême droite ont été interdits. Les attentats de 2015 et 2016 ont été les points de départ d’une autre vague d’interdictions, visant cette fois-ci certaines associations musulmanes accusées de promouvoir le terrorisme. Ainsi, l’Association des musulmans de Lagny-sur-Marne, le Retour aux sources musulmanes et l’association Rahma de Torcy Marne-la-Vallée ont été dissoutes.
Après être reparties à la hausse sous François Hollande, les interdictions se sont envolées sous Emmanuel Macron, visant toujours principalement les mêmes groupes : l’extrême droite d’un côté et les associations soupçonnées d’islamisme de l’autre.
Seulement neuf dissolutions suspendues ou annulées
Ces dissolutions peuvent évidemment être contestées. Il est possible de faire un référé devant le Conseil d’État pour les suspendre en urgence, un recours pour les faire annuler (la procédure est alors plus longue) ou même de se rendre devant la Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH). Mais la procédure a très peu abouti dans l’histoire. Selon les calculs de Franceinfo, sur 162 associations ou groupements ayant fait l’objet d’une interdiction, seules neuf ont réussi à obtenir une suspension ou une annulation. La grande majorité des demandes d’annulation ou de suspension ont été rejetées. Même en cas d’annulation, le président peut signer un nouveau décret pour essayer à nouveau d’interdire. « Le contrôle du Conseil d’État est un contrôle ‘normal’ de la qualification juridique des faits et essentiellement cela, et n’est pas un véritable contrôle de proportionnalité », observe le professeur Rambaud. Autrement dit, le Conseil d’État ne vérifie que la conformité du décret de dissolution avec la loi. Il ne dit pas si le président de la République a raison ou non. En d’autres termes, « il suffit que les faits énoncés entrent dans l’une des catégories prévues par la loi pour que la dissolution puisse être prononcée ». Le spécialiste a surnommé la loi de 1936 une « arme de dissolution massive ».