Lafarge, un géant du ciment relié à la famille québécoise Desmarais, vient de plaider coupable aux États-Unis à une accusation liée au financement secret de l’organisation terroriste État islamique et accepte de payer plus d’un milliard $ pour éviter un procès.
Il s’agit d’une première en sol américain qu’une entreprise soit accusée de financement terroriste.
C’est ce qu’ont annoncé hier les autorités américaines lors d’une conférence de presse dont les principaux éléments ont été repris par les grands médias de la planète.
Le géant a accepté de payer une amende de 778 millions $ US (1,07 G$ CAD) et de plaider coupable afin de mettre fin à l’enquête du département de la Justice américain (DOJ) sur Lafarge SA et son ancienne filiale syrienne, a-t-il été annoncé.
« Les plaidoyers de culpabilité par le conglomérat multinational Lafarge et sa filiale syrienne reflètent une criminalité économique qui a atteint un nouveau bas et qui se situe dans un endroit très sombre », a martelé Lisa O. Monaco, la procureure générale adjointe des États-Unis, en conférence de presse.
Entente secrète
Selon les éléments dévoilés hier, Lafarge a payé le groupe État islamique (ÉI) et une autre organisation terroriste, le Front al-Nosra, en échange de la permission d’opérer une cimenterie en Syrie construite au coût de 680 millions $ US (933 M$ CAD). Cette entente a permis à l’entreprise d’engranger des revenus de 70,3 millions $ US (96,5 M$ CAD) pendant la guerre.
Lafarge a été administrée notamment par le Québécois Paul Desmarais Jr. au moment des faits qui lui sont reprochés, soit entre août 2013 et octobre 2014.
Un holding relié à la famille Desmarais, GBL, faisait aussi partie des principaux actionnaires de Lafarge à l’époque.
Les enquêteurs américains ont pu mettre la main durant leur enquête sur un courriel dans lequel la direction de Lafarge discute comment elle peut se partager le « gâteau » avec l’État islamique. Le gâteau est une « référence sinistre aux profits que Lafarge planifiait de récolter de son partenariat illicite », a affirmé la procureure Monaco.
Groupe brutal
Rappelons que les images de la décapitation par l’ÉI du journaliste James Foley à l’été 2014 avaient fait le tour du monde et suscité l’horreur partout sur la planète.
« Durant ce même été, Lafarge était en affaires avec l’État islamique, garantissant des profits et des parts de marché et capitalisant sur la brutalité du groupe », a souligné hier la procureure Monaco.
Les autorités américaines ont indiqué par ailleurs que des dirigeants de l’entreprise avaient tenté de cacher des courriels incriminants aux enquêteurs américains et que Lafarge n’a pas collaboré à l’enquête.
« Les entreprises devraient avoir des politiques pour permettre la rétention et la communication sur des systèmes tiers de messagerie. Lafarge n’en avait pas. Néanmoins, grâce aux efforts et à l’ingénuité de nos agents et de nos procureurs, nous avons été capables de localiser les courriels incriminants que les dirigeants de Lafarge avaient tenté de cacher hors du système », a mentionné la procureure américaine.
L’affaire Lafarge en quelques dates
2016
- Le quotidien Le Monde révèle que Lafarge aurait financé l’État islamique en Syrie
2018
- Lafarge est mis en examen en France en lien avec le financement du terrorisme
Mai 2022
- La Cour d’appel de Paris confirme une inculpation du groupe pour « complicité de crimes contre l’humanité »
Octobre 2022
- Lafarge plaide coupable aux États-Unis et accepte de payer 778 M$ US
De possibles accusations en France aussi
Ayant enregistré un plaidoyer de culpabilité aux États-Unis pour régler une enquête sur ses activités en Syrie, le géant Lafarge n’en fait pas moins encore face à des reproches très lourds en France en lien avec la même affaire.
En mai dernier, l’entreprise a échoué une nouvelle fois à faire annuler de possibles accusations de crimes contre l’humanité.
La Cour d’appel de Paris avait alors confirmé l’inculpation pour « complicité de crimes contre l’humanité » de Lafarge concernant ses activités jusqu’en 2014, en Syrie.
L’entreprise, qui a fusionné avec le suisse Holcim en 2015, avait alors indiqué dans un communiqué n’être pas d’accord avec la décision rendue et avoir l’intention d’en appeler.
Deux des qualifications retenues en mai contre Lafarge, « complicité de crimes contre l’humanité » et « financement d’une entreprise terroriste », sont très lourdes.
Perquisitions
Contacté hier par courriel et par téléphone, le porte-parole de Power Corporation, Stéphane Lemay, n’a pas donné suite en fin d’après-midi à nos messages pour obtenir un commentaire de Paul Desmarais Jr. en lien avec les litiges.
Rappelons que notre Bureau d’enquête avait déjà rapporté en 2018 que Paul Desmarais Jr. aurait été interrogé et mis sous écoute par la police belge, à la fin 2017, dans le cadre d’une enquête sur des paiements allégués de Lafarge à l’État islamique.
En 2017, des perquisitions ont également eu lieu au siège parisien de Lafarge, ainsi que chez GBL (un holding relié aux familles Frère et Desmarais) à Bruxelles.