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Stockage, mobilité, bureaux-abris… Face aux coupures de courant, la tech ukrainienne s’organise

Stockage, mobilité, bureaux-abris… Face aux coupures de courant, la tech ukrainienne s’organise


Le secteur technologique ukrainien a pu continuer à fonctionner presque normalement depuis le début de la guerre en février. Désormais confrontés à des coupures d’électricité récurrentes, les entreprises rivalisent d’ingéniosité pour maintenir leur activité. Témoignages.

Près de la fenêtre, chez ses parents, dans une petite ville de l’est de l’Ukraine, Kseniia tente désespérément d’obtenir un signal Internet. Ces jours-ci, l’accès à l’électricité est limité à environ trois heures par jour. Lorsqu’il n’y a pas de courant, elle peut toujours se connecter à l’aide de données mobiles si elle se trouve au bon endroit. « Mais s’il s’agit d’une panne totale, le réseau mobile disparaît également », explique-t-elle. 

La semaine dernière, elle a passé quatre jours sans électricité, sans chauffage et sans eau courante. Puis, vendredi, les services ont repris de 2 à 4 heures du matin. « Pas de sommeil cette nuit-là ; j’ai fait tout ce que je pouvais parce que je savais qu’après, le lendemain, il n’y aurait rien ».

Lorsque le courant arrive, la jeune femme se précipite pour rattraper son retard professionnel. Kseniia travaille comme assistante de direction chez ELVTR, une entreprise d’apprentissage à distance fondée en Ukraine. Sa priorité est de maintenir ses outils de travail en marche : son téléphone et son ordinateur portable. « J’ai probablement huit batteries externes en ce moment chez moi et la première chose que je fais est de tout recharger. Ensuite, je fais de mon mieux pour travailler autant que je peux ».

« Vous devez être vraiment concentrée et productive pendant un court laps de temps », ajoute-t-elle. « J’ai lu un tas de livres sur les techniques de gestion du temps, mais rien ne m’a autant appris que cette situation ».

Un secteur inventif et résilient

Les dix mois de guerre en Ukraine ont sinistré de nombreux secteurs économiques comme l’agriculture et la production d’énergie, et considérablement réduit la main-d’œuvre dans le pays. On estime à sept millions le nombre de déplacés internes alors que plus de huit millions d’Ukrainiens ont fui dans les pays voisins. Pour l’année 2022, la Banque mondiale table sur une baisse globale de 35 % du PIB de l’Ukraine.

Pourtant, le secteur technologique, qui représente 8,3 % de l’économie globale, est jusqu’ici resté relativement indemne. Au cours du premier semestre 2022, les exportations de services informatiques ont enregistré une forte croissance de 23 % par rapport à l’année passée, contribuant pour plus d’un milliard de dollars en taxes et redevances à l’économie du pays, selon la Banque nationale d’Ukraine. 

« C’est le seul secteur qui fonctionne encore à un niveau proche de celui d’avant-guerre », explique Vadim Rogovskiy, cofondateur de la start-up ukrainienne 3DLOOK et partenaire du fonds d’investissement Geek Ventures. « Il génère encore beaucoup de recettes d’exportation et de nombreux travailleurs de la tech – même s’ils ont quitté l’Ukraine – continuent de payer des impôts, ce qui est important. »

Cela est dû en partie à la flexibilité inhérente à de nombreux emplois tech – pour la plupart des employés, un ordinateur portable et une connexion Internet suffisent. En février dernier, au début de la guerre, l’équipe d’EVLTR, dont 70 % des membres sont basés en Ukraine, est passée au travail à distance. « Toute notre équipe s’est mise à travailler depuis les abris antibombes. Jusqu’ici l’impact de la guerre sur notre entreprise était assez minime », explique Kseniia. 

Mais ces dernières semaines, la situation s’est considérablement dégradée. Les récentes attaques russes ont infligé des dommages « colossaux » aux installations de production d’électricité, déclarait le 23 novembre le responsable de l’opérateur national du réseau électrique ukrainien. On estime que 50 % des infrastructures énergétiques ukrainiennes ont été détruites. Dans le pays, l’électricité est désormais une ressource limitée.


Dans les villes, les coupures de courant, auparavant programmées pour durer quelques heures, se produisent désormais de manière aléatoire. Il y a également eu des pannes totales qui ont duré plusieurs jours d’affilée. Pour les particuliers et les entreprises, cette nouvelle réalité représente un défi majeur. « Personne n’était prêt pour cela ici », déplore Vadim Rogovskiy. « Personne n’a jamais eu à faire face à cela auparavant. Nous devons nous assurer que nos travailleurs ont de l’électricité, mais aussi de l’eau, de la nourriture et du chauffage – c’est un tout nouveau niveau de défi. »

>> À lire aussi : Les installations électriques ukrainiennes à l’épreuve de la guerre

« Traquer l’électricité où qu’elle se trouve »

À Kiev, Danylo, le collègue de Kseniia travaille comme conseiller en apprentissage – un travail qui nécessite d’être en contact avec des étudiants et des clients du monde entier via son ordinateur portable. « Les deux premières semaines de novembre ont été les plus difficiles parce que les coupures intervenaient dans nos maisons et au bureau en même temps », dit-il. « On ne savait jamais quand la lumière allait s’éteindre ». 

Confrontés à des pannes récurrentes, interrompant les appels professionnels et générant des coupures de chauffage, l’équipe a dû se déplacer, souvent plusieurs fois dans la même journée. « Nous avons essayé de travailler dans des cafés, des espaces de coworking, chez les uns et les autres… Vous traquez l’électricité, où qu’elle se trouve, pour les quatre prochaines heures et vous vous adaptez », explique Danylo.

L’entreprise dispose désormais de deux bureaux à Kiev, tous deux équipés de générateurs, de sorte que les travailleurs ne doivent pas dépendre uniquement du réseau électrique. Il fait toujours un peu froid et le réseau peut être peu fiable, mais « c’est plus stable en ce qui concerne l’électricité », dit Danylo. « Nous avons aussi quelques banques d’énergie plus grandes que l’on peut connecter aux ampoules et prolonger nos forfaits téléphoniques pour avoir plus de données. »

Ces outils ont permis à l’entreprise de retrouver un semblant de vie normale depuis le bureau. « Nous avons trouvé une salle de sport où il y a un générateur, et nous avons trouvé des cafés qui préparent environ cinq litres de café filtre à l’avance. Ce n’est pas idéal, mais cela nous permet de maintenir une sorte de routine quotidienne ».  

Danylo et ses collègues de la start-up ukrainienne EVLTR travaillent dans l'un des bureaux de l'entreprise, alimenté par un générateur d'électricité, à Kiev, en Ukraine, le 28 novembre 2022.
Danylo et ses collègues de la start-up ukrainienne EVLTR travaillent dans l’un des bureaux de l’entreprise, alimenté par un générateur d’électricité, à Kiev, en Ukraine, le 28 novembre 2022. Dan Blanar

Des employés plus motivés que jamais

Malgré tout, les perspectives pour les prochains mois demeurent inquiétantes. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a prévenu que le pays allait devoir faire preuve d’endurance pour faire face au manque de ressources. L’Organisation mondiale de la Santé a mis en garde contre des conditions de vie dangereuses pour des millions de personnes en Ukraine. Les températures devraient chuter jusqu’à -20 °C dans certaines parties du pays.

De nombreuses entreprises technologiques, dont ELVTR et 3DLOOK, ont mis en place des « maisons sûres » pour leurs employés, soit dans l’ouest de l’Ukraine, où l’approvisionnement en électricité est plus fiable, soit dans des pays européens. L’idée est de permettre aux travailleurs de s’installer dans des zones où l’approvisionnement en énergie est plus régulier, afin de rester en sécurité, d’être à l’aise et de pouvoir faire leur travail.

Mais cette option est souvent difficile à faire accepter aux salariés. « Je m’adapterais autant que possible pour rester où je suis », déclare Danylo. « Ma famille est ici, et je suis plus mobile dans la capitale. Si quelque chose ne fonctionne pas à un endroit, j’ai des alternatives chez des amis, de la famille, des collègues ou dans différents bureaux. »

Le PDG de la start-up ukrainienne Lemon.io, Aleksandr Volodarsky, a lui aussi tenté de mettre en place cette solution. Au plus fort des combats, son entreprise proposait de payer pour évacuer en voiture les travailleurs de la ville de Kherson, dans l’est du pays. « Nous voulions simplement que nos employés soient en sécurité, dit-il, mais ils ne voulaient pas partir. »

Désormais, le chef d’entreprise tente de trouver des solutions locales, comme des espaces de coworking avec des douches et l’ajout de lits de camp dans les bureaux. « Le but est que les gens puissent s’y rendre pour travailler mais aussi vivre dans un endroit chauffé, avec de l’électricité et de l’eau. »

Aleksandr Volodarsky le reconnait, le contexte actuel a profondément modifié la nature même de son rôle en tant que PDG. « Avant, il s’agissait d’écraser les concurrents ou de conquérir le marché. Maintenant, il s’agit plutôt de faire preuve d’empathie pour voir comment nous pouvons aider les gens ». Malgré tout, il explique que les performances de l’entreprise demeurent une priorité, y compris pour les employés qui se montrent plus motivés que jamais.

Kseniia peut en témoigner. « Rien qu’en étant en Ukraine, en payant des impôts et en achetant des choses aux entreprises locales, j’aide l’économie autant que je peux », dit-elle. « Quand il n’y a pas de paix, pas de lumière, pas d’eau, vous devenez vraiment plus reconnaissant pour tout ce que vous avez, y compris votre travail. »

Article traduit de l’anglais. Cliquez ici pour la version originale

 

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