La nomination de Mohammed Ben Salman (MBS) à la tête du gouvernement, le 27 septembre, marque une rupture dans la tradition saoudienne. Mais pas dans la vie politique du pays, déjà piloté d’une main de fer par le prince héritier depuis 2017. Les Émirats arabes unis, tout comme le Qatar et Bahreïn notamment, ont rapidement réagi en adressant leurs félicitations au nouveau Premier ministre.
Au-delà du caractère politique et protocolaire de la mesure, difficile de ne pas remarquer que le décret de nomination intervient alors que l’administration américaine doit se prononcer sur l’immunité du prince héritier dans le cadre des actions judiciaires toujours en cours quatre ans après la mort de Jamal Khashoggi. En particulier la plainte déposée en 2020 par Hatice Cengiz, militante turque et fiancée du journaliste saoudien assassiné.
Le décret royal est paru moins d’une semaine avant la date théorique de la décision des États-Unis, qui a finalement été repoussée au 17 novembre. Dès le 3 octobre, les avocats de MBS ont fait valoir que sa nouvelle fonction « ne laisse aucun doute sur le fait que le prince héritier a droit à l’immunité fondée sur le statut » de chef de gouvernement. À leurs yeux, il est maintenant légitime de demander à la justice américaine de classer l’affaire.
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Depuis son entrée dans l’exécutif saoudien en 2009, le petit-fils d’Ibn Saoud a gravi tous les échelons et glané peu à peu les prérogatives du roi Salman, dont il était initialement le conseiller spécial à la gouvernance de Riyad. En 2011, il suit son père à la Défense, avant de diriger le cabinet princier lorsque celui-ci est nommé successeur à la couronne. Lorsque Salman devient roi, MBS s’empare de la Défense et lance presque immédiatement des opérations militaires au Yémen. Nommé prince hériter en 2017, il démontre son emprise avec la purge d’octobre, emprisonnant plus de 200 princes, politiciens et hommes d’affaires dans le cadre d’une opération « anti-corruption ». Chargée de recherches au CNRS à l’IRISSO et spécialiste en sociologie politique du Golfe, Claire Beaugrand analyse les enjeux de cette nomination.
Jeune Afrique : Le poste de Premier ministre est traditionnellement réservé au roi. La nomination de MBS est-elle le signe d’un réel changement dans la vie politique saoudienne, ou est-ce une simple officialisation de son leadership ?
Claire Beaugrand : La nomination de MBS ne marque pas de réel changement : elle vient entériner, formellement, le pouvoir qu’il possède déjà. La situation n’a cependant pas de précédent, puisque le roi avait l’habitude de cumuler les deux statuts de chef d’État et de chef du gouvernement. Ce changement va à l’encontre de la Loi fondamentale [NDLR : adoptée en 1992, celle-ci précise que « le roi est le président du Conseil des ministres » (article 56)]. Il s’agit d’une innovation formelle, même si MBS est déjà en charge de de la plupart des dossiers. Il a ainsi le même périmètre décisionnel.
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Il va probablement continuer dans la lignée des mesures prises précédemment, sans véritable inflexion. MBS va poursuivre dans la voie de la diversification économique, dans le but de redonner à l’Arabie saoudite le poids économique et géopolitique qui sied à son importance démographique et à la taille de son marché – par rapport au Qatar ou aux Émirats Arabes Unis notamment. Il est très attaché au projet Neom de ville futuriste avec The Line (la cité linéaire écologique), et, récemment, l’annonce de la construction d’Oxagon, une future île artificielle sur la mer Rouge, qui sera un hub logistique au carrefour des continents.
Le seul changement possible noté par les observateurs serait un rapprochement avec Israël dans le sillage des Accords d’Abraham. L’ancienne génération, celle du roi Salmane, est réputée plutôt hostile à ce rapprochement. Et en tant que Premier Ministre, MBS pourrait donc faire bouger les lignes dans ce sens. Mais il me semble qu’il avait suffisamment de latitude pour le faire auparavant et que son nouveau titre ne devrait pas l’autoriser à aller soudainement à l’encontre des orientations voulues par son père.
En quoi cette nomination assure-t-elle à MBS une meilleure protection lors de ses déplacements à l’étranger, notamment aux États-Unis ?
La question de l’immunité à l’étranger, c’est ce qui fait couler le plus d’encre dans cette nomination. MBS est poursuivi par la justice américaine depuis 2020, dans une procédure contentieuse engagée par la fiancée du journaliste saoudien Jamal Khashoggi. Le juge en charge de l’affaire a demandé à l’administration de Joe Biden de statuer sur une éventuelle immunité de MBS, et la décision devait être rendue le 3 octobre. D’après les commentateurs, ce changement de fonction officielle de MBS arrive à point nommé , c’est-à-dire juste avant l’avis qui devait être émis par l’administration américaine. Mise dans l’embarras par ce nouvel élément au dossier, cette dernière a demandé à la cour un nouveau délai pour se prononcer.
Cette immunité – si elle était confirmée, car le Prince héritier saoudien fait face à des charges extrêmement sérieuses – permettrait à ce dernier de voyager à l’étranger plus sereinement, puisqu’elle vaudrait aux États-Unis mais aussi pour d’autres juridictions, comme la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye.
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On retrouve dans le cabinet ministériel un proche du prince héritier, Badr Ben Abdallah Ben Mohammed Ben Farhan Al Saoud, qui gère la Culture depuis 2018. MBS compte-t-il d’autres alliés au sein du gouvernement ?
MBS ne compte que des alliés au sein de son gouvernement constitué de fidèles -comme dans tout régime autoritaire où le pouvoir est si centralisé. Depuis son arrivée dans les sphères du pouvoir en 2015, il s’est fait beaucoup d’ennemis -en particulier au sein de la famille royale dont il a évincé de nombreux membres, à commencer par l’ancien prince héritier Mohammed Ben Nayef. Il ne s’entoure ainsi que de gens auxquels il fait entièrement confiance et se méfie des autres princes.
Sa nouvelle fonction n’a pas provoqué de grand changement au sein du cabinet ministériel : Faisal bin Sarhan al Saoud est resté aux Affaires étrangères, et Abdelaziz bin Salman bin Abdelaziz, à l’Energie, deux portefeuilles particulièrement stratégiques.
C’est son frère, née de la même mère, Khalid bin Salman, qui lui a succédé à la tête du ministère de la Défense, marque de confiance évidente. Enfin il convient de noter que le poste de vice-Premier ministre, qu’il occupait depuis 2017 et qui a tendance à marquer l’ordre de succession, n’a pas encore été pourvu.