Une juge fédérale de Washington a bloqué l’acquisition de la maison d’édition Simon & Schuster par sa rivale Penguin Random House, accédant ainsi à la demande du gouvernement américain, qui y voyait un risque de distorsion de concurrence. Penguin Random House a immédiatement fait part de son intention d’interjeter appel et de demander une procédure d’urgence. L’opération, portant sur un montant de 2,18 milliards de dollars, avait été annoncée en novembre 2020 et aurait réuni deux des cinq plus importants éditeurs américains.
Succès pour Joe Biden
C’est un succès marquant pour le gouvernement du président américain Joe Biden, qui se montre beaucoup plus offensif que ses prédécesseurs pour contester fusions et acquisitions au nom du principe de concurrence. Le ministère américain de la Justice avait ainsi saisi la justice en novembre 2021, évoquant un risque de voir baisser le nombre de livres édités et le nouveau groupe diminuer les avances versées aux auteurs. Les deux maisons occupent respectivement la première et la quatrième place en parts de marché du « Big Five » de l’édition américaine, un groupe qui comprend également HarperCollins, Hachette Book Group USA et Macmillan Publishers.
Editeur de Barack Obama
Avec 10.000 salariés dans le monde et près de 15.000 livres publiés par an, Penguin Random House, filiale du groupe allemand Bertelsmann, domine l’industrie aux Etats-Unis. Le groupe a notamment publié le premier tome des mémoires de l’ancien président des Etats-Unis Barack Obama en 2020, intitulé « Une Terre Promise », et celui de sa femme, Michelle Obama, en 2018, qui s’est écoulé à des dizaines de millions d’exemplaires. Il s’apprête également à sortir les mémoires du prince Harry, début 2023.
Risque pour la concurrence
Le gouvernement américain a apporté la preuve que l’acquisition proposée « pourrait avoir pour effet d’affaiblir le jeu de la concurrence de manière significative » sur le marché des droits des livres à succès, a écrit la juge Florence Pan dans le jugement publié à la veille de la Toussaint. L’ensemble du raisonnement juridique qui a mené la magistrate à prendre cette décision a été placé sous scellés, parce qu’il contient des informations « confidentielles » ou « hautement confidentielles », a indiqué la juge Pan. Qualifiant la décision de « revers pour les lecteurs et les auteurs », Penguin Random House a dénoncé l’argumentation du gouvernement américain, qui se concentrait, selon le groupe, davantage sur les conséquences possibles pour les auteurs plus que pour les consommateurs. « C’est contraire à sa mission de protection de la juste concurrence », a fait valoir l’éditeur.
Simon & Schuster, filiale du groupe Paramount Global qui publie environ 2.000 livres par an, compte à son catalogue des auteurs de best-sellers internationaux comme le romancier Stephen King, ou le journaliste Bob Woodward. « La décision rendue aujourd’hui protège la concurrence dans l’édition et est une victoire pour les auteurs, les lecteurs et le libre-échange des idées », a commenté Jonathan Kanter, du ministère de la Justice, cité dans un communiqué. Avant la procédure du gouvernement américain, l’autorité britannique de la concurrence s’était également intéressée de près au rachat, les deux groupes ayant des divisions au Royaume-Uni. Elle avait rendu un avis favorable en mai 2021.
Hachette sur les rangs
Une décision américaine qui pourrait faire les affaires du frenchy Hachette Livre. Le groupe français Lagardère, propriétaire d’Hachette Livre, s’est en effet déclaré candidat à l’acquisition de l’éditeur américain Simon & Schuster si la vente de ce dernier au géant allemand Bertelsmann venait à échouer. Si la cession était annulée et « si Simon & Schuster était remis en vente par Paramount, nous serions bien sûr intéressés », a déclaré Arnaud Lagardère, PDG du groupe qui porte son nom, lors d’une conférence téléphonique le 27 octobre dernier, en marge de la présentation des résultats trimestriels. Lagardère, propriétaire du sixième éditeur mondial Hachette Livre, est détenu majoritairement par Vivendi depuis une OPA survenue cette année, mais le rapprochement entre les deux groupes reste encore suspendu à l’approbation des autorités européennes de la concurrence. C’est pourquoi le groupe Bolloré s’est dit prêt à renoncer entièrement à sa filiale Editis, numéro deux de l’édition en France. S’il pouvait candidater au rachat de Simon & Schuster en faisant « équipe » avec Vivendi, Lagardère bénéficierait d’un « petit plus », a dit Arnaud Lagardère. Mais, dans le cas où l’occasion se présenterait avant la décision de Bruxelles, le groupe serait tout de même capable de se porter candidat seul, a affirmé le dirigeant.
Kretinsky candidat au rachat d’Editis
Daniel Kretinsky, le milliardaire tchèque, est donné comme candidat au rachat d’Editis. L’information n’a pas été confirmée par les parties concernées mais elle n’a pas été démentie. La proximité entre l’information relative à au rachat d’Editis par Daniel Kretinsky et l’ouverture de l’enquête par la Commission européenne n’est peut-être pas fortuite. La fuite pourrait hâter la décision de la Commission. Dès lors, Vincent Bolloré aurait les mains libres pour racheter Simon & Schuster même s’il ne sera probablement pas le seul candidat.