L’entraîneuse Josée Picard, dont les pratiques d’enseignement problématiques sont dénoncées dans le livre publié récemment Une médaille à tout prix, a démissionné de sa fonction de représentante provinciale des entraîneurs chez Patinage Québec.
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«Mme Picard a remis sa démission du conseil d’administration de Patinage Québec pour des raisons personnelles», a confirmé dans un courriel Any-Claude Dion, directrice générale de l’organisation. Cette dernière n’a pas voulu commenter davantage le départ de Mme Picard, survenu le 25 octobre dernier, soit une semaine après la sortie du livre de notre Bureau d’enquête, Une médaille à tout prix.
Malgré sa démission, Mme Picard est toujours autorisée à être entraîneuse au Canada, a confirmé de son côté la Fédération canadienne de patinage artistique.
La directrice générale de Patinage Québec n’a pas voulu dire si l’entraîneuse avait démissionné en raison de révélations contenues dans l’ouvrage, qui dépeint le climat malsain qui régnait alors que Mme Picard entraînait les champions de patinage artistique Julianne Séguin et Charlie Bilodeau, à Chambly, jusqu’à la fin de leur partenariat en 2018.
Julianne Séguin raconte dans ce livre que son entraîneuse était obsédée par son poids et sa silhouette. Elle recevait des commentaires désobligeants sur certaines parties de son corps, qui n’étaient jamais assez affinées ou découpées pour sa coach.
Même après d’importantes blessures ou des commotions cérébrales, la patineuse devait être de retour à l’entraînement le plus rapidement possible. Elle affirme tout de même avoir accepté d’y retourner.
Aujourd’hui âgée de 25 ans, Julianne Séguin ressent encore les symptômes des commotions, dont l’incapacité de regarder un écran, et souffre de crises d’anxiété et de sévères migraines.
Silence
«Respectueusement, au nom de Patinage Québec, nous ne commenterons pas la possibilité qu’un livre en particulier, un article, ou une vidéo aient pu influencer directement ou indirectement une action spécifique de la part de l’organisation», a spécifié Mme Dion.
Du côté de Patinage Canada, on a préféré ne pas commenter la démission de Mme Picard. «C’est une question qui ne concerne que madame Picard et Patinage Québec», a expliqué Emma Bowie, directrice, Communications et initiatives stratégiques de Patinage Canada.
Questionnée sur les informations rapportées dans le livre, elle a ajouté que «Julianne Séguin a été un membre apprécié de notre programme de l’équipe nationale et de la communauté du patinage […] L’engagement de Patinage Canada, à l’égard du sport sécuritaire, consiste à intégrer la sécurité et le bien-être de toute personne dans la culture du patinage».
Patinage Canada a comme mission d’encadrer les athlètes et les entraîneurs au pays. La fédération est la seule à être désignée par l’International Skating Union (ISU) comme organisme officiel d’accréditation du patinage artistique au Canada et elle supervise les règlements et les normes du sport sur le plan du développement national et international de la compétition au Canada. Quant à Patinage Québec, l’organisation est affiliée à Patinage Canada afin de respecter les normes. Ils reçoivent ensemble des millions de dollars d’argent public.
Intronisée en 2017 au Temple de la renommée du patinage artistique canadien, Josée Picard faisait partie du conseil d’administration depuis quelques années et représentait les entraîneurs dans la province. Elle s’est fait connaître pour avoir entraîné des étoiles du patinage, dont Isabelle Brasseur et Lloyd Eisler ainsi que Julianne Séguin et Charlie Bilodeau. Ils se sont tous rendus aux Jeux olympiques aux côtés de Mme Picard. Elle s’est aussi rendue à l’importante compétition Skate America afin d’accompagner un couple de patineurs du Canada, à la mi-octobre.
Josée Picard n’a pas donné suite à notre demande d’entrevue.
Opacité
Le directeur général de Sport’Aide n’est pas surpris que la fédération de patinage artistique ne veuille pas donner de détails sur la démission de l’une de ses membres ni commenter directement ce qui ressort du livre de notre Bureau d’enquête.
«C’est souvent la loi de l’omerta [dans le sport] parce que l’on connaît un tel ou une telle. Tout le monde se connaît. Donc, malheureusement, c’est un réflexe de vouloir se protéger, de protéger des gens ou des décisions prises dans le passé difficilement justifiables dans le temps. Malheureusement, c’est commun de se heurter à de l’opacité [des fédérations]», explique Sylvain Croteau, qui dit avoir lu le livre Une médaille à tout prix. C’est pourquoi on a mis des services en place, comme l’Officier des plaintes indépendantes, pour aider les victimes à parler.»
«Ce qui est triste, c’est qu’il y a d’autres athlètes, d’autres Julianne, quelque part, poursuit-il, en faisant référence à différents scandales, notamment chez Hockey Canada ou Water Polo Canada. Maintenant, comment peuvent-ils faire confiance à leur club ou leur fédération et au processus lorsqu’on a l’impression que tout nous est caché? Dans un tel contexte, il est normal qu’un athlète doute de pouvoir demander de l’aide en toute quiétude. Bref, on a tout un travail à faire.»
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