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Manquements préoccupants: des médecins dangereux pour leurs patients

Manquements préoccupants: des médecins dangereux pour leurs patients


Prescriptions de puissants médicaments sans suivi, mauvais diagnostics, non-dépistage d’un cancer: des dizaines de problèmes préoccupants sont soulevés chaque année par des inspecteurs qui scrutent la pratique des médecins du Québec. 

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Dans plusieurs cas, les manquements ont mis des patients à risque, indiquent les rapports des inspections professionnelles du Collège des médecins du Québec (CMQ) de 2021, obtenus par Le Journal par la Loi d’accès à l’information (voir plus bas). 

Par exemple, un médecin a utilisé un produit non reconnu par Santé Canada, des gens déprimés n’ont pas été évalués pour leur risque suicidaire, et des patients qui avaient des maladies chroniques n’ont pas reçu le suivi nécessaire. 

Beaucoup de lacunes dans l’utilisation des antibiotiques et l’évaluation des problèmes gériatriques ont aussi été soulevées. 

Patients à risque 

Comme le prévoit la loi pour tous les Ordres professionnels du Québec, le CMQ doit procéder à des inspections chaque année (hôpitaux, questionnaires de contrôle, visites individuelles). 

«On est fermement convaincus qu’il n’y a aucun médecin au Québec qui se lève le matin en disant: “Je vais aller nuire à mes patients”», souligne le Dr Anas Nseir, directeur de l’inspection professionnelle au CMQ. 

«On veut protéger absolument le patient, mais donner la chance au médecin de s’améliorer», dit-il. 

  • Écoutez l’entrevue avec Jean-François Leroux à l’émission de Philippe-Vincent Foisy diffusée chaque jour en direct 7 h 45 h via QUB radio:

Pour être plus efficace, la direction des inspections utilise une technique de ciblage statistique qui sélectionne les médecins les plus à risque, sur les 22 566 médecins dans la province. Ainsi, environ 200 professionnels sont inspectés chaque année.

«Au lieu d’aller à la pêche dans l’océan, où on risque de trouver peu de médecins qui ont besoin de notre aide […] et peut-être laisser des médecins dangereux pratiquer, on préfère développer des programmes, les valider avec des statisticiens, et aller voir ces médecins-là qui sont plus à risque, souligne le Dr Nseir. Et je suis fier de dire qu’on a un très bon taux de succès.» 

Par exemple, les médecins de plus de 70 ans ont neuf fois plus de risque d’avoir des lacunes dans leur pratique, selon les analyses du CMQ. Les autres professionnels les plus visés sont ceux qui ont été référés par le syndic de l’Ordre, et ceux qui ont fait l’objet d’un signalement. 

Abus de la télémédecine

Fait à noter, des médecins abusent de la télémédecine depuis la pandémie (parfois plus de 80 % des consultations). 

«On en voit encore, déplore le Dr Nseir. Aujourd’hui, il n’y a plus de restrictions sanitaires sévères. Il n’y a pas de raison pour qu’un médecin ne voie pas ses patients.»

Règle générale, les médecins inspectés sont prévenus, ont rempli un questionnaire de 40 pages, et savent pourquoi ils sont rencontrés. Ils peuvent donc se préparer. Or, des visites surprises sont aussi possibles. 

«Mais, ce sont des cas particuliers où l’on pense qu’il y a une dangerosité quasi immédiate pour le patient», note le Dr Nseir.   

Une inspection intimidante et stressante 

Bien que les médecins soient stressés et parfois même réfractaires quand ils subissent une visite d’inspection, l’exercice est réalisé dans une optique pédagogique, assure le Collège des médecins du Québec.

«C’est quelque chose de très intimidant pour les médecins, ce n’est pas une balade dans le parc quand tu reçois une lettre du Collège», avoue le Dr Sylvain Dion, vice-président de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ).

Approche pédagogique

«On ne peut pas dire que c’est le fun pour un professionnel d’être inspecté, que ce soit un médecin, un avocat ou un comptable, concède le Dr Anas Nseir, directeur des inspections professionnelles au Collège des Médecins du Québec (CMQ). Profondément, les gens n’aiment pas ça.»

Dans le contexte, le Collège dit avoir une approche constructive, dans le but d’aider le professionnel à s’améliorer lorsque nécessaire.

«Dès le départ, on leur explique qu’on vient regarder avec eux comme un pair», assure-t-il.

D’ailleurs, la FMOQ dit avoir noté un changement de ton bénéfique dans les inspections depuis quatre ans, qui est désormais beaucoup moins « traumatisant ».

«Il y a quelques années, c’était très inquisitoire. On a demandé un processus plus humain face à ces médecins. Il y a eu un coup de barre. Les visites sont plus constructives», apprécie le Dr Dion.

Présentement, le quart des médecins du Québec ont plus de 60 ans. Ainsi, le ciblage des médecins âgés pour les inspections doit être réalisé avec diligence, croit la FMOQ.

«Fragile équilibre »

«Ça peut être un fragile équilibre quand on met beaucoup de pression sur les médecins. […] Des fois, ça pouvait en inciter certains à se retirer.»

Par ailleurs, ce dernier assure que la FMOQ est d’accord avec l’idée de l’inspection professionnelle.

«C’est une profession où il est important de donner des services de qualité et sécuritaires», dit Dr Dion.

La Fédération des médecins spécialistes du Québec a refusé la demande d’entrevue du Journal.

Environ 200 médecins font l’objet d’une inspection individuelle chaque année par le Collège des médecins du Québec, pour assurer que leur prati-que respecte les règles de l’art. Or, toutes sortes de lacunes sont relevées dans des rapports d’inspection, obtenus par Le Journal. Pour des raisons de confidentialité, aucune information ne permet de révéler l’identité les médecins. Voici des extraits. 

LACUNES DANS LES SOINS 

  • Absence de recherche des grands syndromes gériatriques chez la population à risque
  • Absence d’examen gynécologique lorsqu’indiqué (torsion ovarienne, saignements)
  • L’examen de l’abdomen est souvent absent, même si le patient consulte pour une douleur abdominale
  • Examen incomplet en cas de masse mammaire
  • Examen physique rare
  • Suivi non systématisé des maladies chroniques (asthme, diabète de type 2, contrôle de la tension artérielle)
  • Des patients souffrant de complications de glaucome n’ont pas été adressés à des spécialistes
  • Problèmes de prévention
  • Le dépistage du cancer n’est pas effectué de façon rigoureuse
  • Une note mentionne qu’un enfant de 5 ans semble comprendre des mots. « À cet âge, cette incertitude aurait dû déclencher davantage d’évaluation ».
  • Évaluation et prise en charge incomplète du TDAH 

MÉDICAMENTS MAL CONSERVÉS  

  • Médicaments conservés dans un réfrigérateur de type bar sans contrôle de la température 
  • Médicaments et matériel médical retrouvés dans le bureau du médecin sont périmés : nitrate d’argent, bandelette d’analyse urinaire, etc. 

PROBLÈMES D’ORDONNANCES 

  • Utilisation de produits injectables non reconnus par Santé Canada, ou prohibés par l’Agence mondiale antidopage
  • Ordonnance de cannabis médical sans suivi
  • Renouvellement de médicaments pour 24 mois sans avoir évalué l’état du patient pour savoir si la médication est toujours requise
  • Utilisation du plasma riche en plaquettes pour des indications non reconnues comme la dysfonction érectile
  • Benzodiazépines : usage très fréquent, peu ou pas d’essais de sevrage et de cessation. Peu de révision de leur utilisation et de l’état clinique du patient.
  • Ordonnances de testostérone « hors normes » et pour des indications non reconnues comme la douleur
  • Usage de naloxone non indiquée en fin de vie
  • Dans les cas d’opioïdes à long terme, « manque d’évaluation des facteurs de risque d’avis, de surdose » 

SANTÉ MENTALE 

  • Absence de recherche de dangerosité en cas d’idéations paranoïdes, de verbalisation suicidaire ou d’idées noires
  • L’évaluation des problèmes de santé mentale comme les troubles anxieux est superficielle. Il n’y a généralement pas d’examen mental, à l’exception de l’idéation suicidaire
  • Malgré que le médecin relie généralement les maux des patients à des problèmes psychologiques, il n’y a généralement pas de collaboration avec un psychiatre ou un psychologue dans les dossiers 

TÉLÉMÉDECINE MAL UTILISÉE 

  • Diagnostic d’otite moyenne aiguë sans examen physique (consultation téléphonique)
  • Pas de consentement verbal ou écrit du patient à une téléconsultation
  • Plus de 80 % des interventions cliniques d’un médecin sont réalisées en télémédecine (maladies chroniques sans examen physique depuis parfois plus de 2 ans, patients âgés, problèmes aigus nécessitant examen physique) 

BRIS DE CONFIDENTIALITÉ  

  • Le médecin dit obtenir des informations sur une patiente en voyant son amie qui est aussi sa patiente. Il inscrit le résultat du test de l’amie d’une patiente dans le dossier de celle-ci afin de les comparer 
  • La technologie utilisée par un médecin ne respecte pas les standards de confidentialité (utilisation du courriel personnel, photos de patients dans l’ordinateur personnel)
  • Des photos de patients mineurs nus ou identifiables sont envoyées sans consentement éclairé des parents 
  • Envoi de courriel au mauvais destinataire  

AUTRES 

  • Utilisation fréquente de la consultation médicale comme occasion d’offrir un service esthétique non couvert par le système public
  • Croyance erronée du médecin en lien avec la nutrition : afin de justifier le non-recours aux nutritionnistes, le médecin parle d’une vieille étude qui aurait démontré que l’ajout de fibre dans le pain n’était autre que l’ajout de sciure de bois
  • Beaucoup de médecins avaient une écriture difficile à décoder, voire indéchiffrable

QUI FAIT LES INSPECTIONS ? 

  • Neuf médecins inspecteurs à temps plein
  •  Ils doivent avoir au moins 10 ans de pratique (souvent plus de 15 ans)
  • Ils proviennent de différentes spécialités médicales
  • Chaque inspection dure 1 à 2 jours 

CIBLAGE DES MÉDECINS INSPECTÉS 

  • Référés par le syndic 41 %
  • Médecins de plus de 70 ans 24 %
  • Signalements 21 %
  •  Médecins de plus de 60 ans 5 %
  • Autres 9 % 

Conclusion des inspections 

  • Pratique adéquate 53 %
  • Stage ou tutorat imposé 29 %
  • Pratique limitée ou retraite volontaire 12 %
  • Contestation 6 % 

Source : CMQ

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