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l’Union européenne rappelle à l’ordre Malte

l'Union européenne rappelle à l'ordre Malte



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L’Union européenne a convoqué Malte, jeudi, devant la justice pour que l’archipel méditerranéen mette fin à son système controversé de « passeports dorés » octroyés à de riches investisseurs non-européens pour obtenir des facilités. Décryptage d’une tendance mondiale en plein essor.

« Les valeurs de l’UE ne sont pas à vendre », a tempêté le commissaire européen à la Justice, Didier Reynders, dans un tweet sans équivoque publié le 29 septembre. « En offrant la citoyenneté en échange de paiements ou d’investissements prédéterminés, sans qu’il n’existe de lien réel avec l’État membre concerné, Malte enfreint le droit européen », a vertement tancé le responsable européen à l’encontre du généreux système maltais.


Pour s’attirer de grosses fortunes sur son territoire, l’archipel méditerranéen offre en effet un permis de résidence, voire la citoyenneté maltaise – donc européenne – en échange d’investissements sans avoir à vivre dans le pays. Des largesses qui vont à l’encontre du droit européen, selon Bruxelles, qui compte bien y mettre fin. Le 29 septembre, la Commission européenne a poursuivi Malte devant la plus haute juridiction de l’Union européenne.

>> À lire : L’île de Malte, plus petit État membre de l’UE mais pas le moins influent

La Valette vs Bruxelles

En octobre 2020, l’Europe avait déjà ouvert une procédure d’infraction contre La Valette pour qu’elle mette un terme à ces pratiques controversées, soupçonnées de favoriser la corruption et le blanchiment d’argent. La pratique soulève également des questions « éthiques, juridiques et économiques », selon Bruxelles, qui n’exclut pas à terme « des risques graves pour la sécurité », si le programme se poursuit.

Malgré les avertissements répétés de l’UE, Malte a poursuivi les délivrances de passeports dorés, levant ainsi, depuis 2013, 1,1 milliard d’euros d’investissements provenant principalement des pays du Golfe, d’Asie et de Russie. Sous la pression de l’UE, d’autres pays comme Chypre et la Bulgarie ont pourtant cessé cette pratique lucrative. Malte n’a fait qu’une seule concession : suspendre le programme pour les citoyens russes et biélorusses engagés dans la guerre en Ukraine.

Pour sa défense, le gouvernement maltais soutient que son système « ne contrevient pas » aux traités européens, et assure que sa politique en matière de citoyenneté relève de sa compétence nationale. Bien que Malte soit désormais le seul pays de l’UE à autoriser cette pratique, de nombreux autres pays dans le monde succombent à cette manne financière facile. « La crise financière mondiale a obligé les gouvernements à trouver des moyens d’attirer des investissements étrangers dans leurs économies. Les passeports dorés représentent un moyen relativement simple de les attirer », explique Lior Erez, enseignant en sciences politiques à l’Université d’Oxford, au Royaume-Uni. « Surtout si cela n’implique aucune migration réelle. »

Des passeports dorés pour mieux voyager

Il est difficile d’estimer le nombre d’individus dans le monde qui achètent une citoyenneté, les données sont souvent fusionnées avec ceux qui investissent pour migrer. On estime tout de même que cela se chiffre en dizaine de milliers par an. « La proportion de personnes qui le font reste très marginale », confirme Ayse Guveli, professeur de sociologie à l’Université d’Essex, au Royaume-Uni, car les sommes à débourser sont colossales.

Pour 5 % d’entre eux, il s’agit de personnalité qui font l’objet d’enquête pénale ou qui occupent des responsabilités étatiques. Ils représentent un risque préoccupant pour la sécurité, car une fois la citoyenneté accordée, il est difficile de la retirer. Si les tribunaux européens parviennent à mettre fin au système des passeports dorés maltais, il est malgré tout peu probable que les ressortissants étrangers fortunés soient déchus de leur nationalité.

Pour les 95 % restants, les motivations qui les poussent à acquérir un passeport sont « assez banales », assure le Dr Kristin Surak, professeure associée de sociologie politique à la London School of Economics, au Royaume-Uni. « La première raison est le voyage. » Un riche homme d’affaires – souvent originaire de pays du Sud –  pourra probablement plus facilement assister à des réunions dans le monde entier s’il voyage avec un passeport européen plus largement accepté.

Même chose pour les ressortissants étrangers dont le pays d’origine constitue un frein pour obtenir des hypothèques ou ouvrir des comptes bancaires, explique Kristin Surak. « Ce sont le plus souvent des médecins ou des professionnels, donc ils ont l’argent pour trouver une solution de contournement au système. »

Le facteur Covid-19

Il y a encore le cas des super-riches qui veulent s’assurer que les voyages d’urgence sont possibles. « C’est notamment le cas des grandes fortunes à Hong Kong inquiètes à l’idée d’être bloquées par la répression gouvernementale », poursuit l’enseignante. « Ou des très riches américains qui avaient jusque-là l’habitude de faire ce qu’ils voulaient dans le monde, et qui ont soudainement été rattrapés par la crise du Covid-19, contraints de se soumettre aux restrictions en vigueur dans leur pays. »

De manière générale, la pandémie a entraîné une augmentation de la demande mondiale. On estime que 110 000 personnes fortunées ont acheté le droit de vivre à l’étranger en 2019, demande de migration et simple passeport confondus. En 2023, ce chiffre devrait atteindre 125 000 et pourrait encore augmenter. La Chine, deuxième pays qui compte le plus grand nombre de milliardaires au monde, pourrait avoir de nombreux demandeurs dans ses rangs en raison des restrictions et des quarantaines qu’elle impose à ses habitants. « Quand les restrictions contre le Covid-19 seront levées, on s’attend à ce que la demande provenant de la Chine explose, résume Kristin Surak. Les Chinois ne veulent plus être enfermés. »

La forte demande russe

Mais à ce jour, – guerre en Ukraine oblige – , c’est la Russie qui concentre le plus grand nombre de demandes de citoyenneté étrangère et/ou de résidence. Quelque 15 000 Russes devraient acheter le droit de vivre à l’étranger en 2022.

Si l’Europe n’autorise pas l’octroi de passeports aux ressortissants Russes en raison des sanctions qu’elle impose à Moscou, de nombreux pays n’y voient pas à redire. C’est notamment le cas de la Turquie qui s’avère très prisée, « des Russes, des riches ukrainiens et de très nombreuses personnes originaires des pays arabes et du Moyen-Orient comme l’Arabie saoudite, le Bahreïn, l’Égypte, la Syrie et l’Iran », explique Ayse Guveli. Ce choix s’explique en partie par la situation géographique de la Turquie.  » Il y a un mélange de modes de vie occidental, oriental, islamique, et du beau temps, précise le professeur britannique de sociologie. Le pays est en outre relativement démocratique. Il est plutôt facile d’y vivre, par rapport à ses voisins.  » Et les critères d’obtention d’un passeport turc sont également peu exigeants : moyennant une contribution minimale de 400 000 dollars (soit l’équivalent d’un peu plus de 408 000 euros), un demandeur peut obtenir la nationalité turque pour lui et sa famille 120 jours plus tard.

La combine profite également aux dirigeants du pays. En échange de l’octroi de l’accès à un petit nombre de ressortissants étrangers, « cela donne au gouvernement de l’argent pour investir dans les infrastructures. Si Erdogan veut gagner les élections l’année prochaine et se maintenir au pouvoir, il a tout intérêt à accepter cette manne financière », assène Ayse Guveli. 

Des alternatives

Il existe pourtant des alternatives aux passeports dorés en Europe. Le Portugal et la Grèce proposent tous deux des permis de séjour très populaires, moyennant là aussi finances. Pour 200 000 euros, un non-Européen peut acheter le droit de vivre, de travailler et d’étudier au Portugal et de voyager sans visa dans l’espace Schengen jusqu’à cinq ans, à condition de passer cinq jours par an dans le pays. Après cinq ans, il a le droit de demander la citoyenneté portugaise. Avec près de 6,5 milliards d’euros investis au Portugal via les visas de résidence depuis 2012, un dispositif similaire pourrait intéresser Malte.

En attendant le jugement qui oppose Bruxelles à La Valette, les grandes fortunes trouveront facilement – avec ou sans Malte – , d’autres pays vers qui se tourner. Car les élites sont les bienvenues partout dans le monde. « Elles ont de l’argent et de l’éducation, conclut Ayse Guveli. Elles sont donc considérées comme un groupe autosuffisant qui apporte des compétences et une activité économique plutôt que des problèmes. »

 

Un article traduit de l’original par Aude Mazoué



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