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L’irrésistible ascension de CMA CGM dans le transport et la logistique

L’irrésistible ascension de CMA CGM dans le transport et la logistique



Chez les Saadé, on cultive la retenue et la discrétion. Il n’y aura donc ni flonflons ni champagne à gogo pour fêter la plus grosse acquisition de l’histoire de CMA CGM, si elle se finalise d’ici à la fin de l’année. La période d’examen des comptes s’achève, et l’armateur doit déposer une offre d’achat engageante autour du 8 mai. Mais la famille franco-libanaise, propriétaire du troisième armateur mondial de porte-conteneurs, ne serait pas peu fière de voir tomber Bolloré Transport & Logistics dans son escarcelle, avec ses implantations dans une bonne centaine de pays et un chiffre d’affaires de 7,1 milliards d’euros. Le PDG du géant marseillais, Rodolphe Saadé, doit pour cela signer un chèque d’environ 5 milliards.

Ce sera la dernière opération en date pour une multinationale qui les enchaîne depuis 2020, l’année de son retour à meilleure fortune, après une décennie difficile. Et même à la fortune tout court : CMA CGM a engrangé 44,6 milliards de dollars (40 milliards d’euros) de profits au cours des trois derniers exercices (2020-2022), grâce à la flambée des taux de fret durant les deux années où le prix spot pour l’acheminement d’une « boîte » de la Chine vers l’Europe a pu être multiplié par dix pour atteindre 15 000 dollars. Dans l’histoire du capitalisme hexagonal, aucune entreprise ne s’est développée aussi vite.

Cette manne financière aurait fait rêver Jacques Saadé, patriarche fondateur mort en 2018, qui avait écrit la première partie de l’histoire de CMA CGM. Fuyant le Liban en guerre avec femme et enfants, il avait créé, à Marseille, en 1978, la Compagnie maritime d’affrètement (CMA), qui n’exploitait, au début, qu’un navire entre la cité phocéenne et Beyrouth.

Dix ans plus tôt, aux États-Unis, il avait pris conscience de l’intérêt du conteneur, utilisé pour ravitailler l’armée américaine au Vietnam. Avant d’autres, il voit la Chine s’éveiller et ouvre un premier bureau à Shanghaï dès 1992. Il reprend à l’Etat la Compagnie générale maritime (CGM) en 1996 pour une misère (20 millions de francs), avec l’appui discret du président de la République Jacques Chirac, puis rachète l’armateur Delmas à Vincent Bolloré (déjà), en 2006, en échange d’un accord de longue durée dans la manutention des ports africains laissée à l’entrepreneur breton.

Il augmente sa flotte jusqu’à accumuler une dette qui le pousse au bord du naufrage, en 2009, quand le trafic maritime s’effondre à la suite de la crise financière. Le père n’a pas toujours eu les moyens d’ambitions parfois démesurées. L’héritier en dispose, et il a les coudées franches. L’entreprise, qui n’est pas cotée en Bourse, n’a que trois actionnaires : la famille Saadé (73 %), le conglomérat turc Yildirim Holding (24 %) et la banque publique Bpifrance (3 %), trace de son sauvetage par l’Etat durant les sombres années 2009-2012.

Malgré ou peut-être grâce à la crise sanitaire qui a chamboulé le commerce mondial, CMA CGM a su tirer son épingle du jeu en se recentrant sur la logistique, avec l’acquisition de la plateforme suisse de fret aérien Ceva et le développement de l’activité ferroviaire par le biais de la filiale Containerships. Elle s’est aussi lancée dans l’hydrogène via sa coentreprise HysetCo avec les groupes français Engie et Total, qui va opérer une flotte de 20 camions de transport routier sur la ligne reliant l’usine de Michelin à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme) au port fluvial de Lyon (Rhône).

Avec le rachat de Bolloré Transport & Logistics, qui ajouterait 31 navires à la flotte de CMA CGM, cette dernière conforterait sa position de numéro un en Afrique et en Méditerranée, et les deux partenaires pourraient ainsi réaliser des économies d’échelle dans un marché soumis à la concurrence acharnée de l’armateur danois Maersk et de l’allemand Hapag-Lloyd. Mais il faudra convaincre les autorités de la concurrence, qui ne manqueront pas de se pencher sur cette opération qui pourrait porter atteinte à la libre concurrence.

En attendant, les hommes de CMA CGM poursuivent leur mission, comme l’explique le directeur général délégué, Nicolas Sartini : « Notre objectif n’est pas de devenir le numéro un mondial ou d’avoir toujours plus de navires, martèle-t-il. On veut être les leaders sur des lignes précises, comme le continent africain. On est des artisans ». Des artisans qui n’hésitent pas à tailler les plus grosses acquisitions pour renforcer leur leadership.

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