C’est l’histoire d’une équipe de hockey qui ne devait pas naître, dans un circuit rebelle qui suscitait bien plus de railleries qu’il n’inspirait le respect. Envers et contre tous, les Nordiques de Québec amorçaient à l’automne 1972 ce qui allait devenir une rocambolesque épopée de 23 ans. Retour sur les premiers balbutiements du Fleurdelisé à l’époque folle de l’Association mondiale de hockey, il y a 50 ans.
• À lire aussi: Maurice Richard derrière le banc des Nordiques: de «Rocket» à étoile filante
• À lire aussi: Les Nordiques, il y a 50 ans: le premier grand pilier
Bien avant que les Nordiques sautent sur la glace, il aura fallu de longs mois de tractations en coulisses pour que l’équipe voie le jour, en dépit de l’incrédulité ambiante à Québec et à travers le petit monde du hockey.
Quand les Californiens Gary Davidson et Dennis Murphy ont fondé l’Association mondiale de hockey (AMH) un an plus tôt, bien peu d’observateurs donnaient la moindre chance au circuit maudit de naître, encore moins d’ébranler le monstre sacré de la LNH.
À Québec, deux journalistes rivaux se sont tendu la main pour faire avancer le dossier. Claude Bédard, nommé trois ans plus tôt directeur des sports au Journal de Québec, ainsi que le regretté Claude Larochelle, qui occupait les mêmes fonctions au Soleil, ont fait ensemble le débroussaillage, en catimini. Les deux confrères ont écrit de nombreux articles sur l’avènement possible du hockey professionnel à Québec, allant même à la rencontre des pères de l’AMH, en Californie.
Davidson, qui vendait sa salade, voyait Québec comme un bon marché de hockey.
« On lui a dit qu’il serait possible de trouver des investisseurs à Québec. En revenant à la maison, les médias disaient que ça ne mènerait à rien, qu’il fallait oublier le projet. Je me rappelle de m’être fait invectiver en pleine rue », raconte, cinq décennies plus tard, Claude Bédard.
« C’était la cabale des gens de radio contre les deux fantaisistes des journaux. Nous étions des idiots, tout simplement ! Sauf que j’ai toujours préféré être un idiot qui fonce, plutôt qu’un imbécile qui ne fait rien. Tout ça me stimulait énormément. »
Le groupe des six
À Québec, les Remparts fonctionnaient à merveille et une éventuelle franchise professionnelle n’enchantait pas tout le monde. Six actionnaires des Remparts avaient néanmoins choisi de vendre leurs parts, dans le but d’investir dans l’aventure d’une équipe de l’AMH.
Formé de Marius Fortier, John Dacres, Léo-Paul Beausoleil, Marcel Bédard, Jean-Claude Mathieu et Jean-Marc Bruneau, le groupe des six achetait finalement de Davidson lui-même la concession flottante de San Francisco le 11 février 1972, pour la somme de 215 000 $. Les Nordiques étaient nés, contre toute attente.
Le pas le plus important dans l’histoire de la franchise venait d’être franchi.
« Il y avait probablement une chance sur un million que ça marche et le pire, c’est que ça a marché. Jamais Québec n’aurait accédé un jour à la LNH sans le passage dans l’AMH », insiste Claude Bédard.
De la résistance
Non seulement il aura fallu renverser le vent négatif qui soufflait en ville, mais il fallait aussi lutter contre les poids lourds de la LNH.
Bien avant que les Nordiques émettent leur premier souffle, le directeur général du Canadien, Sam Pollock, avait même rencontré les deux journalistes entêtés pour les implorer de cesser leur campagne.
« Québec a toujours été une bonne ville de hockey, mais il fallait s’attaquer à la vache sacrée de la LNH. En 1972, on voulait juste implanter une équipe de hockey majeur à Québec, mais on craignait que la toute-puissance du Canadien auprès de la Ligue nationale finirait peut-être par anéantir le projet.
« Il n’y a pas une équipe dans l’AMH qui a été confrontée à un géant comme le Canadien, qui aura tout fait pour faire mourir les Nordiques avant même qu’ils sortent de terre », martèle M. Bédard.
Les premiers pas
L’AMH a été lancée dans un tourbillon de déménagements et de franchises mort-nées. Dans un climat aux allures folkloriques, la grande aventure s’amorçait, pour le meilleur et pour le pire.
Les Nordiques ont fièrement œuvré au sein du circuit maudit jusqu’à la fusion avec la LNH, en 1979, avec les moyens du bord.
« On faisait rouler toute une équipe à trois ou quatre employés », se souvient Michèle Lapointe, qui a œuvré au département des relations publiques des Nordiques jusqu’en 1984.
« On a tellement eu de fun, mais des horaires de fous ! Des fois, on se disait que c’était du gros n’importe quoi. Si ce n’était pas de l’esprit de famille qui nous tenait, on aurait pété au frette tout de suite. Personne dans la place ne travaillait pour un salaire. On était là pour la cause des Nordiques », poursuit la dame qui a ensuite été embauchée par le Canadien, jusqu’en 2003.
Succès modestes
Les Nordiques ont bouclé cette saison inaugurale avec une fiche de 33 victoires, 40 revers et cinq verdicts nuls, ce qui leur a valu le cinquième et avant-dernier rang de la division Est.
Compétitifs malgré le manque de préparation, ils ont flirté avec les séries pour être finalement éliminés de la course le 31 mars. Ils ont terminé au deuxième rang de l’AMH au chapitre des assistances avec une moyenne légèrement inférieure à 7000, qui allait augmenter au cours des saisons suivantes.
Une révolution dans le monde du hockey
Même si au fil des ans, l’AMH est devenue une ligue oubliée que plusieurs regardent encore de haut, elle a bousculé les conventions de l’époque en transformant le visage du hockey professionnel.
Sept courtes saisons, ce fut la durée de vie de l’Association mondiale. Pendant cette période, toutefois, la LNH a vu plusieurs joueurs vedettes traverser la clôture et n’a eu d’autre choix éventuellement que de mettre fin aux contrats exclusifs qui liaient pratiquement les joueurs à leur équipe pour la vie.
Malheureusement, personne du fameux groupe des six propriétaires des Nordiques n’est encore en vie pour témoigner du choc qu’a généré l’AMH il y a 50 ans. L’homme à la tête des Whalers de la Nouvelle-Angleterre, Howard Baldwin, a encore bien à l’esprit la rivalité de l’époque.
« Personne ne pensait qu’on pouvait y arriver. La LNH et ses supporteurs étaient outrés juste à l’idée que quelqu’un les mette au défi.
« J’étais jeune à l’époque [30 ans] et je n’avais aucune crainte. Nous étions convaincus de pouvoir faire ce que l’ABA avait fait dans le monde du basketball et ce que l’AFL avait fait dans le monde du football. Il fallait créer une nouvelle avenue pour le hockey professionnel, une ligue rebelle pour s’attaquer à l’establishment », raconte l’entrepreneur et producteur cinématographique à succès, en entretien avec Le Journal.
Québec dans le noyau dur
En 1972, la LNH regroupait 16 équipes. Les propriétaires rivaux dans l’AMH étaient convaincus qu’il y avait toute la place pour percer dans de nouveaux marchés.
Plusieurs expériences se sont révélées de cuisants échecs. Dès la première année d’existence, quatre franchises ont déménagé. Pendant les sept années d’existence du circuit, il y a eu 26 mouvements de la sorte.
Toutefois, une poignée de clubs comme les Nordiques ont amené de la crédibilité à travers la gestion parfois carnavalesque du circuit.
« C’était la roulette russe parce que chaque année, il était difficile de savoir qui serait vraiment là ou pas », rigole aujourd’hui Howard Baldwin.
« Il y avait un bon groupe de dirigeants à l’AMH. Winnipeg, Edmonton, Québec et nous formions le noyau. Nous avions une bonne relation basée sur le respect mutuel. Marius Fortier à Québec était un homme fabuleux. Bien des gens à Québec ont été instrumentaux dans la construction de cette ligue.
« Les gens disent que Québec est un petit marché, mais Hartford aussi en était un. Il n’y a rien de mal à évoluer dans un petit marché, du moment où les amateurs se présentent aux matchs. Il faut des endroits où le hockey est le seul gros show en ville. C’est bon pour une ligue », plaide-t-il.
Une bonne organisation
Descripteur des matchs des Nordiques à la télévision lors des quatre premières saisons, Jacques Moreau a aussi rapidement constaté que l’AMH était agressive dans son désir de s’implanter et que Québec serait un marché sérieux.
« L’AMH a ébranlé les colonnes du temple, surtout avec une équipe comme les Nordiques, qui attirait beaucoup.
« La LNH faisait des pieds et des mains pour empêcher certains joueurs de joindre le circuit. Ça mettait de la pression sur la Ligue nationale quant aux salaires à la hausse. Il y avait des points d’interrogation évidents puisque certaines concessions ont existé sur papier seulement. Puisque j’étais basé à Montréal, bien sûr que je recevais mon lot de critiques négatives. J’en ai fait fi parce que j’aimais ce circuit et l’aventure », se souvient-il.
En 1974, deux ans après le lancement de l’AMH, le hockey professionnel regroupait soudainement 32 équipes, un bond prodigieux.
« L’avènement de l’AMH a amené de nouveaux emplois, de nouveaux marchés et de nouvelles idées. C’est clair que ce qu’on a fait n’a pas toujours fonctionné, mais ça a stimulé la croissance. Le changement n’est pas toujours mauvais», conclut Howard Baldwin.
Photo courtoisie, KEDL
Première rangée (de gauche à droite) : Richard Brodeur, Michel Harvey, Maurice Filion, Renald Leclerc, Marius Fortier, Jean-Claude Tremblay, Charles Marquis, Jean-Guy Gendron, Roland Dubeau et Serge Aubry. Deuxième rangée : René Lacasse, Arthur Bureau, François Lacombe, Alain Caron, Ken Desjardine, Frank Golembrosky, Jean Payette, Pierre Guité, Jacques Blain, Pierre Roy, Michel Rouleau, Jacques Lemelin et Brian Turpin. Troisième rangée : Robert Guindon, Yves Bergeron, Réjean Giroux, Michel Parizeau, Paul Larose, André Gaudette et Michel Archambault.
10 juin 1971
Fondation de l’AMH par Gary Davidson et Dennis Murphy.
11 février 1972
Achat de la concession par le groupe des six (Marius Fortier, John Dacres, Léo-Paul Beausoleil, Marcel Bédard, Jean-Marc Bruneau et Jean-Claude Mathieu).
12 et 13 février 1972
Repêchage inaugural de l’AMH à Anaheim.
29 mars 1972
Dévoilement du nom de l’équipe : les Nordiques.
20 juillet 1972
Les Nordiques font signer un contrat de 10 ans au défenseur étoile du Canadien Jean-Claude Tremblay.
27 juillet 1972
Maurice Richard est nommé entraîneur-chef des Nordiques.
21 septembre 1972
Début du camp d’entraînement.
11 octobre 1972
Premier match dans l’histoire des Nordiques, défaite de 2 à 0 à Cleveland.
13 octobre 1972
Première partie des Nordiques au Colisée de Québec, victoire de 6 à 0 face aux Oilers de l’Alberta.
14 octobre 1972
Démission de Maurice Richard après deux matchs. Maurice Filion prend le relais.
6 janvier 1973
Match des étoiles de l’AMH à Québec.
31 mars 1973
Les Nordiques sont éliminés de la course aux séries.
Relationniste ou… concierge ?
« Dans une petite organisation comme les Nordiques en 1972, il n’y avait pas de personnel et il fallait être prêt à tout faire. Quand Jean-Claude Tremblay est arrivé dans les bureaux pour la première fois, j’étais en train de passer la balayeuse. Il m’a demandé si j’étais la femme de ménage. Je n’étais pas de bonne humeur après lui ! Le soir, au restaurant, on s’était croisés et il s’était excusé. On est vite devenus de bons amis. »
– Michèle Lapointe, relationniste
Un aréna sans vestiaire
« Certaines équipes n’avaient aucun sens, ce n’était vraiment pas solide, mais des investisseurs s’essayaient. Au New Jersey, il fallait s’habiller à l’hôtel parce qu’il n’y avait pas d’installations pour les visiteurs. En revenant, j’enlevais juste mes jambières et mes patins et je rentrais dans l’autobus tout trempe dans mon équipement de gardien. Une fois, j’ai oublié ma clé de chambre et j’ai dû redescendre au lobby de l’hôtel en gardien. Il y avait un gros party de noces et tout le monde me regardait. Le commis au comptoir m’a demandé si j’avais une carte d’identité. Je n’avais rien sur moi. Je me suis tourné et j’ai pointé mon nom derrière mon chandail. »
– Richard Brodeur, gardien
Pas de chambre d’hôtel pour la finale
« Le plus difficile, ç’a été en 1975, quand on s’est rendus en finale de la Coupe Avco. On devait aller jouer à Houston. Le vendredi, on était au Minnesota, avec nos vêtements d’hiver. On devait commencer la finale le mardi, mais dans la nuit, on a appris que la série allait commencer… le soir même. Il n’était pas question de retourner à Québec, il fallait s’en aller directement à Houston. Ça nous a joué un tour, on pensait avoir deux ou trois jours de repos. Mais en plus, quand on est arrivés à Houston, il n’y avait plus de chambres d’hôtel. Ils nous avaient plutôt trouvé un appartement, dans lequel ils avaient installé des matelas au sol… »
– Michel Parizeau, attaquant
En défense parce qu’il était gros et grand
« À ma première année, j’ai eu vraiment de la misère. Je me rappelle encore du premier match à Cleveland. Un moment donné, je suis passé devant Maurice Richard, qui dirigeait son premier match. Il m’a dit de m’en aller à la défense. Je lui ai dit que je n’avais jamais joué là de ma vie. Il m’a répondu : “C’est pas grave, t’es gros et t’es grand !” »
– Pierre Guité, attaquant
Cinq joueurs de la formation inaugurale des Nordiques dans l’AMH nous ont malheureusement quittés.
Alain Caron
le 18 décembre 1986
Jean-Claude Tremblay
le 7 décembre 1994
Serge Aubry
le 30 octobre 2011
Michel Archambault
le 23 mai 2018
Jean-Guy Gendron
le 30 juin 2022