Il faut se concentrer pour compter le nombre de tours et de tonneaux de la Mégane coupé vert et jaune numéro 177 d’Anne-Kelly Guinet parmi le cheptel de vieilles guimbardes qui tournent, se poussent et se tamponnent sur la piste ovale, soulevant des nuages de terre. Pare-chocs contre pare-chocs, portière contre portière, en voilà déjà des retournées sur le flanc ou le toit. Bienvenue chez les mordus de stock-cars. Vrombissements ininterrompus qui couvrent les bruits de tôles froissées, coups de sifflet des commissaires de course, sono qui crache, drapeaux qui ondulent, fumet de saucisses grillées depuis la buvette. Autour de la piste, le cortège de spectateurs, venus en nombre, retient son souffle.
Pas besoin des décors californiens et des Nissan Skyline GT-R de Fast and Furious pour s’en prendre plein la rétine, les tympans et les narines. La scène se déroule à la lisière des champs et des pavillons, aux Abrets-en-Dauphiné, dans la campagne iséroise. Les stars sont des voitures de série bonnes à sacrifier, non conformes au code de la route, qui s’offrent un dernier tour de piste. On retrouve là d’antiques françaises, des Peugeot, des Renault, des Citroën, les bagnoles de M. et Mme Tout-le-Monde, qui racontent des vies, des joies, des crédits. Les pilotes vous diront qu’ils leur offrent « une dernière vie, une belle mort ».
A chaque course, le même « grand frisson » parcourt Anne-Kelly Guinet, 33 ans, à chaque course, des allures de Michel Vaillant au féminin dans sa combinaison, visage maculé de poussière, mèches blondes échappées du casque. Dans le civil, elle est factrice, des conditions de travail de plus en plus difficiles, et mère de deux filles, qu’elle élève seule. Mais ce soir, comme une centaine d’autres pilotes, elle est là pour « le défouloir » : vingt-cinq manches de carambolages et de tête-à-queue et du « bangers » à la nuit tombée (croisement en huit en passant au milieu). Tous les coups sont permis – ou presque –, pourvu que les attaques ne soient portées que sur l’arrière. « C’est impressionnant, mais ce n’est pas trop dangereux », rassure Alain Polaud, de la Croix-Rouge, alors que les voitures s’entrechoquent. « De la petite traumato », abonde le docteur Philippe Gonod, qui n’a jamais eu à évacuer de pilote en une douzaine de courses. Le mot d’ordre est simple : le spectacle. Sous le podium, les « pointeurs » notent le nombre de tours (catégorie vitesse), de tonneaux, subis ou provoqués (catégorie spectacle), et de points de chaque coureur. Les manches durent de trois à quatre minutes. Vitesse maximale autorisée : 50 kilomètres-heure. Pas d’argent en jeu : les quinze premiers au classement recevront médailles, lots de charcuterie, bons d’achat et de restaurant, entrées pour le parc d’attractions Walibi…
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