La «fillette de Granby» avait exprimé son désespoir et même tenu des propos suicidaires à une intervenante de la DPJ, un an avant sa mort à la suite des multiples sévices qu’elle subissait.
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«Ça va pas. J’ai mal à mon cœur. Il y a juste toi qui peux m’aider. Tout le monde sont tannés de moi. Je serais mieux de pu être là, que je disparaisse […], je veux partir loin.»
Voici les propos qu’aurait tenus la fillette, alors qu’elle n’était âgée que de 6 ans, à une intervenante.
Ils sont rapportés dans la poursuite de 3,7M$ déposée lundi matin au palais de justice de Granby par la mère et les grands-parents de la fillette décédée en 2019.
La poursuite déposée par Me Valérie Assouline, que notre Bureau d’enquête a pu consulter, vise la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ), quatre de ses employés ainsi que le Centre de services scolaire du Val-des-Cerfs.
Dans la requête de 60 pages, des situations accablantes sont alléguées sur la condition de la fillette, qui était alors sous la garde de son père et de la conjointe de celui-ci: elle dormait par terre; elle perdait du poids à vue d’œil; elle se cachait dans les salles de bains de l’école pour fouiller dans les poubelles dans l’espoir de trouver de la nourriture, car elle passait parfois deux jours sans manger.
La fillette, dont l’identité est protégée par la loi, aurait même imploré l’école de ne pas la renvoyer à la maison.
Son frère, de trois ans son cadet, vivait lui aussi de la violence, est-il allégué.
CAPTURE D’ÉCRAN / TVA NOUVELLES / AGENCE QMI
Enfermée dans la cave
La grand-mère paternelle aurait pourtant lancé de nombreux signaux d’alerte indiquant que la fillette et son frère étaient en danger, mais en vain.
On apprend également dans la poursuite qu’en septembre 2017, la conjointe du père est arrêtée par la police pour abus physiques sur les deux enfants.
La requête déposée par Me Assouline cite le rapport d’enquête de la police:
«[La conjointe] prend la fillette par le fond de culotte et par le gilet au niveau de la nuque et lance la petite vers la porte d’entrée sur une distance de 1 m. […] La conjointe l’enfermait dans la cave le jour ou dans la chambre.»
Le rapport indique aussi que la porte de la chambre de la fillette se verrouillait de l’extérieur.
En tout, la police a dû intervenir à six occasions en trois ans à la résidence du couple, est-il décrit dans la poursuite.
Photo déposée au tribunal
Reproches à la DPJ
Aussi, sept signalements ont été faits en moins d’un an à la DPJ au cours de l’année 2017, mais plusieurs d’entre eux n’auraient pas été pris au sérieux.
Par exemple, en novembre 2018, la fillette aurait expliqué que la conjointe de son père l’avait frappée au visage et l’avait fait tomber au sol. Le personnel scolaire aurait aussi constaté la présence de sang sur le mouchoir de la fillette et une blessure au-dessus de l’œil.
Or, l’intervenant et le chef de service de la DPJ n’auraient alors prévu aucune mesure d’urgence. Ils se seraient contentés de demander au père de ne pas laisser la fillette seule avec sa conjointe.
Histoire d’abus sexuels
La grand-mère paternelle aurait aussi avisé la DPJ que la fillette affirmait que son père lui demandait d’adopter des comportements sexualisés lorsqu’elle était chez lui. Face au refus de l’intervenante d’en prendre connaissance, elle a alors porté plainte à la police de Granby.
Or, selon la poursuite, la DPJ savait que le père avait un historique d’abus sexuels familiaux auprès de sa fratrie, ce que l’intervenante a omis de dire lors d’un témoignage devant le tribunal.
Une autre intervenante aurait mis en doute les propos de la fillette auprès d’un intervenant à qui le dossier allait être transféré: «Elle attend d’être suivie en pédopsychiatrie […], la jeune a tendance à exagérer et à inventer.»
- Écoutez l’entrevue avec Martin Gignac, Chef du département de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’ Hôpital de Montréal pour enfants, CUSM et Professeur agrégé à l’Université McGill sur QUB radio :
École à domicile
Les poursuivants jettent aussi le blâme sur le Centre de services scolaire du Val-des-Cerfs. La gestion de la fillette étant difficile, le centre aurait fini par la renvoyer à la maison pour faire de l’école à domicile en présence de la conjointe du père.
Le personnel scolaire, qui a tout de même fait plusieurs signalements à la DPJ, ne pouvait donc plus exercer le dernier filet de sécurité pour la fillette, est-il décrit dans la poursuite.
L’enfant a finalement succombé le 30 avril 2019.
La conjointe du père a été reconnue coupable de meurtre non prémédité en décembre 2021. Elle porte présentement la cause en appel.
« Lors de cette audience, madame [Intervenante de la DPJ] décrit la conjointe du père comme étant une personne explosive “hyper positive, hyper posée, hyper à sa place, mais un moment donné, quand y’a de quoi qui marche pas, ça saute”. »
« En date du 8 février 2018, X [la fillette] mentionne en fin de journée à son enseignante qu’elle ne veut pas rentrer à la maison, car elle a peur de se faire chicaner encore en détaillant des exemples de punitions : “douches chaudes/froides, faire 100 squats, être enfermée dans sa chambre ou dehors, privée de nourriture, se faire mettre des couches”. »
« Le 18 janvier 2019, soit un peu plus de trois mois avant le décès, l’enfant mentionne en crise à la T.E.S. de l’école “qu’on se fout d’elle, qu’on ne veut pas l’aider.” »
« Les 21 et 23 mai 2018, une surveillante de l’établissement scolaire rapporte à la DPJ que sur l’heure du dîner, X [la fillette] s’est enfermée dans les toilettes pour fouiller dans les poubelles et manger de la nourriture jetée. »
