Sur ces bureaux administratifs, reposent des tas de piles de dossiers. A l’intérieur de ces documents, s’entassent des années de souffrance, des décennies de mépris et d’innombrables vies qui, pour la France, ont à peine compté. Ces destins brisés sont ceux des harkis, ces combattants engagés dans l’armée française, délaissés avec leurs familles par l’Etat au lendemain de la fin de la guerre d’Algérie (1954-1962), et qui ont été, si longuement, enfermés de manière indigne dans des camps, des prisons ou des hameaux de forestage à leur arrivée dans l’Hexagone. Depuis fin mars, 21 273 harkis – ou leurs familles – ont déposé un dossier d’indemnisation, qui sera étudié par le département reconnaissance et réparation de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG), un service décentralisé à Caen (Calvados).
En effet, depuis six mois, les supplétifs et leurs descendants peuvent prétendre à une réparation – dans un cadre très restreint – qui a été souhaitée par Emmanuel Macron. Il y a un an, le 20 septembre 2021, à l’Elysée, le président de la République leur a demandé pardon après avoir reconnu « un abandon de la République française » et a alors promis une loi de reconnaissance et de réparation, qui a été promulguée en début d’année, le 23 février.
Toutefois, pour bien des harkis, ce texte législatif les a révoltés car ils estiment que celui-ci n’est pas à la hauteur des souffrances et autres préjudices subis. Alors même que cette loi reconnaît « les conditions indignes de l’accueil » réservé aux 90 000 harkis et à leurs familles qui ont fui l’Algérie, la réparation concerne, en réalité, quelque 50 000 personnes, celles qui sont passées par quatre-vingt-neuf structures identifiées de 1962 à 1975.
« Une reconnaissance, une preuve d’amour »
Le montant de la réparation est, lui aussi, jugé infamant : 2 000 euros pour trois mois vécus dans un camp, 3 000 pour une année, puis 1 000 euros pour chaque année supplémentaire. La somme totale n’excédera pas 16 000 euros ; ce chiffre est fondé sur la jurisprudence Tamazount du Conseil d’Etat (3 octobre 2018), qui a condamné l’Etat à verser 15 000 euros à un fils de harki au titre des « préjudices matériels et moraux subis ».
Cette délicate question de l’indemnisation a du mal à passer. Nombre de harkis – et leurs enfants – ont fait savoir que c’était « peu cher payé pour avoir vécu l’horreur », dénonçant « un mépris colonial », regrettant que le gouvernement n’ait pas cherché à évaluer les préjudices subis, s’offusquant, enfin, que tous les supplétifs ne soient pas concernés par la réparation.
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