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Un nouveau mode de scrutin régissant l’élection des députés à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) a été instauré en Tunisie, jeudi 15 septembre, dans la droite ligne des initiatives du chef de l’Etat Kaïs Saïed visant à affaiblir l’influence des partis politiques. Le nouveau régime électoral – institué par un décret-loi présidentiel en l’absence du Parlement suspendu depuis juillet 2021 – substitue le scrutin majoritaire uninominal à deux tours au scrutin de liste (représentation proportionnelle) en vigueur sous le système à dominante parlementaire (2011-2021) démantelé par le chef de l’Etat durant l’année écoulée.
La plupart des partis politiques tunisiens – du Parti destourien libre d’Abir Moussi (anti-islamiste) au parti islamo-conservateur Ennahda de Rached Ghannouchi, en passant par Ettakatol (social-démocrate) et le Parti des travailleurs (extrême gauche) – ont d’ores et déjà annoncé leur décision de boycotter le prochain scrutin législatif prévu pour le 17 décembre. Ces partis avaient déjà boycotté le référendum du 25 juillet à l’issue duquel une nouvelle Constitution hyperprésidentialiste avait été adoptée à 94,6 % des suffrages. La participation avait toutefois été très faible : 30,5 %.
Dans la continuité de l’inspiration antiparlementaire du chef de l’Etat Kaïs Saïed, la nouvelle loi électorale aboutira à « la dilution du rôle des partis politiques », commente le politiste Hamadi Redissi, coauteur de l’ouvrage La Transition bloquée (éd. Diwen, 2022, Tunis). « Ces partis seront marginalisés de façon indirecte et insidieuse », précise-t-il. De fait, l’investiture des candidats par des partis sera remplacée par un mécanisme de « parrainage » accordé par un collectif de 400 électeurs, composé de femmes à hauteur de 50 % et de jeunes âgés de moins de 35 ans à hauteur de 25 %.
« Parlement croupion »
L’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD) a dénoncé ce nouveau mode de scrutin qui, s’il prévoit l’égalité pour les parrainages, ne le retient pas pour les candidats eux-mêmes. L’imposition d’une parité stricte dans les listes de candidats avait été l’un des acquis du mode de scrutin antérieur. Une autre disposition controversée est l’exclusion de tout candidat binational. « Une mesure discriminatoire », déplore M. Redissi.
La nouvelle loi durcit en outre les peines en cas de fraude et de financements étrangers. Elle prévoit enfin une procédure de retrait de confiance au détriment de tout député auquel ses électeurs pourraient reprocher le non-respect de ses engagements. Cette idée d’une « révocabilité » des mandats électifs est un concept fétiche chez Kaïs Saïed, adepte d’une « démocratie par la base » tenue pour un remède au dévoiement du suffrage universel par des élus qu’il juge irresponsables.
Toutefois, la négation du rôle des partis politiques, auxquels M. Saïed n’a jamais caché son hostilité, aboutira à l’élection d’un « Parlement croupion face à un chef de l’Etat qui conservera l’essentiel de l’initiative », s’inquiète M. Rédissi.
Elu en octobre 2019 à la présidence de la République à la faveur d’un vote antisystème, M. Saïed s’est arrogé les pleins pouvoirs en juillet 2021 en invoquant un « péril imminent » pesant sur la nation. Depuis lors, il n’a cessé de détricoter les acquis de l’expérience parlementaire post-2011 pour lui substituer son modèle où la référence à « la démocratie par la base » cohabite avec une extrême personnalisation du pouvoir.