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En Somalie, la « guerre totale » contre les Chabab

En Somalie, la « guerre totale » contre les Chabab


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Un défilé militaire à Mogadiscio, le 12 avril 2022.

Pour la première fois en sept ans, le village a changé de mains. Masjid Ali Gadud, localité située à 120 kilomètres au nord-est de Mogadiscio, n’est plus sous le joug des Chabab. Ce groupe terroriste affilié à Al-Qaida en avait fait une position forte, mais le 30 octobre, l’armée somalienne, appuyée par des milices locales et soutenue par des frappes de drones, l’a délogé de la bourgade.

La bataille aurait fait plus d’une centaine de morts chez les Chabab, rapportent les médias d’Etat, qui font circuler des photos de corps sans vie. Elle témoigne surtout de la montée en puissance de la campagne anti-Chabab menée par le gouvernement de Mogadiscio et ses alliés. En trois mois, cette coalition, qui associe l’armée somalienne, des troupes d’élite entraînées par la Turquie, 22 000 soldats de la Mission de transition de l’Union africaine en Somalie (Atmis), ainsi que de nombreuses milices citoyennes et paysannes, le tout appuyé par des drones turcs Bayraktar et d’autres de l’armée américaine, a repris près d’une quarantaine de localités semblables à Masjid Ali Gadud.

Mardi 14 novembre, Washington a annoncé augmenter jusqu’à 10 millions de dollars la récompense permettant d’identifier trois chefs islamistes radicaux Chabab, a annoncé lundi l’ambassade américaine au Kenya. « Le programme de récompenses pour la justice du département d’Etat des Etats-Unis (…) augmente ses offres de récompenses, jusqu’à 10 millions de dollars chacune, pour des informations permettant d’identifier ou de localiser les principaux dirigeants chabab Ahmed Diriye, Mahad Karate et Jehad Mostafa », signale un communiqué de la chancellerie, précisant que cette récompense s’applique également à toute information « perturbant les mécanismes financiers des Chabab ».

Multiplication des attaques djihadistes

Les attaques djihadistes se sont en effet multipliées ces dernières semaines : contre l’administration régionale à Beledweyne (Centre) le 4 octobre, contre un hôtel de la ville portuaire de Kismayo le 23, ou encore une base militaire à Mogadiscio le 5 novembre. « Nos messageries WhatsApp sont remplies d’avertissements et d’informations suggérant des attaques à venir, visant surtout des membres du gouvernement », informe un diplomate occidental basé dans la capitale somalienne.

« Ces attentats ont plusieurs buts : créer des divisions au sein de la population, intimider le gouvernement, montrer que le groupe n’est pas mort, tout cela étant aussi motivé par un sentiment de vengeance », informe Hassan Khannenje, directeur du Horn International Institute for Strategic Studies, faisant notamment référence à l’élimination d’Abdullahi Yare, l’un des principaux commandants chabab, dans une frappe de drone américaine, le 3 octobre.

Sur le papier, la force de frappe alignée par Mogadiscio s’avère néanmoins largement supérieure à la dizaine de milliers de combattants que comptent les Chabab. Mais ces derniers se montrent bien décidés à riposter, comme en témoigne le double attentat de Mogadiscio, le 29 octobre, qui a fait plus de 100 morts et 300 blessés.

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La force de frappe de Mogadiscio est largement supérieure à la dizaine de milliers de combattants que comptent les Chabab

Le 20 août, le groupe armé avait déjà frappé un grand coup en menant une attaque sanglante contre un hôtel de Mogadiscio, faisant 21 morts et 117 blessés. « Je vous invite à vous préparer à une guerre totale contre ces gens sans pitié qui sont hostiles à notre paix », décrétait alors le président somalien Hassan Cheikh Mohamoud, visiblement marqué. Ce dernier, revenu au pouvoir en mai (après un premier mandat entre 2012 et 2017), avait fait de la guerre contre les islamistes sa principale promesse de campagne électorale.

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Depuis, sa contre-offensive a pris forme. Les combattants islamistes sont constamment harcelés et chassés de certains de leurs fiefs dans les zones rurales du Centre et du Sud, qu’ils contrôlent depuis la création du mouvement, en 2006.

Déplacer la guerre sur le terrain religieux

L’efficacité de l’opération a surpris les observateurs de la poudrière somalienne. « L’élan est nettement du côté gouvernemental », analyse Omar Mahmood, expert auprès de l’International Crisis Group (ICG). « C’est de loin la campagne militaire la plus accomplie dans l’histoire récente », renchérit Hassan Khannenje. « On assiste à un moment d’euphorie d’un point de vue militaire », juge même Roland Marchal, chercheur au CNRS.

Pour gagner du terrain, l’offensive anti-Chabab développe plusieurs axes nouveaux. Le gouvernement a ainsi réussi à convaincre des milices locales de se joindre au combat contre les insurgés. Ceux qu’on appelle les « Ma’awisley » (littéralement, les porteurs de « ma’awis », le sarong dont se drapent les fermiers somaliens) utilisent des tactiques contre-insurrectionnelles efficaces contre les terroristes. « Ce sont des locaux qui bénéficient de leur réseau et ont la compréhension des communautés rurales. Ils connaissent le terrain, les positions des Chabab, les champs de mines, etc. », affirme Roland Marchal, qui estime que leur participation pourrait constituer un « tournant ».

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La mobilisation des chefs locaux, représentants des nombreux clans sur lesquels repose le système politique en Somalie, contribue aussi à assécher financièrement les Chabab. Les autorités fédérales poussent les habitants à ne plus payer la « zakat », l’impôt récolté de force par les islamistes et qui leur permet de mener leur campagne militaire.

L’autre nouveauté proposée par Hassan Cheikh Mohamoud consiste à déplacer la guerre sur le terrain religieux. Il est parvenu à réunir derrière lui une multitude de leaders salafistes, soufis et proches des Frères musulmans, pourtant traditionnellement concurrents. En août, il a nommé l’ancien porte-parole des Chabab, Mukhtar Robow, à la tête du ministère des affaires religieuses. L’ancien numéro deux du groupe djihadiste, formé en Afghanistan, était en résidence surveillée depuis son arrestation en 2018. Les Etats-Unis avaient précédemment mis sa tête à prix pour 5 millions de dollars.

En août, le président a nommé l’ancien porte-parole des Chabab, Mukhtar Robow, à la tête du ministère des affaires religieuses

Mukhtar Robow doit permettre à Mogadiscio de reprendre la main sur un narratif religieux jusqu’ici dominé par les insurgés. « Nous ne pouvons pas décrire comme un vrai musulman une personne tuant un autre musulman au milieu du culte et des prières à l’intérieur d’une mosquée, et c’est ce que font les Chabab », déclarait-il en octobre lors d’un discours prononcé à la suite de la prière du vendredi. Signe des temps, son ministère a pris une directive obligeant les médias à dépeindre les Chabab comme des « khawarij », terme qui signifie « renégats » en somali.

« Dépassés, mais pas écrasés »

Les djihadistes maintiennent malgré tout leur emprise sur les campagnes arides du Centre et du Sud, notamment la province du Jubaland. Leurs ressources financières, leur capacité à se fondre dans la population et leurs recrutements forcés concourent à leur résilience. « Ils semblent dépassés par les événements, mais pas écrasés », précise un diplomate occidental.

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La bataille s’annonce longue, sur fond de guerre de mouvement et d’implantation du groupe armé au sein de la société somalienne. « Nous avons vu pendant une décennie que les frappes de drones et les opérations spéciales américaines n’ont rien changé, car c’est sur le terrain social qu’il faut investir si le gouvernement veut l’emporter contre les Chabab », assure Omar Mahmood. Selon le chercheur de l’ICG, la victoire dépendra de la capacité du gouvernement à rétablir son autorité et les services publics sur les territoires reconquis.

Une autre interrogation tient au rôle joué par les « Ma’awisley », comme par les autres milices. Le responsable d’une organisation humanitaire, qui requiert l’anonymat, craint que ces combattants posent à l’avenir un nouveau défi. Le gouvernement se devra de les rétribuer pour leur participation dans la campagne anti-Chabab, au risque qu’ils échappent à leur tour à l’autorité du pouvoir central.

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