La guerre en Ukraine a ravivé le débat sur la neutralité helvétique. A l’instar des autres pays occidentaux, la Suisse a pris des sanctions économiques contre la Russie. L’ancien conseiller fédéral Christoph Blocher souhaite lancer une initiative pour défendre une neutralité selon lui mise à mal. Un autre texte sur la souveraineté est aussi sur le point d’être lancé par un mouvement anti-Covid alémanique.
Presque tous les partis en conviennent, la neutralité est l’un des fondements de l’identité de la Suisse. Tous, pourtant, n’ont pas la même définition du concept. Auparavant éloignée des préoccupations principales, cette question a pris une ampleur sans précédent à la suite du bouleversement géopolitique provoqué par l’invasion russe de l’Ukraine à la fin février.
Face à ce qu’il considère comme une violation du droit international par Moscou, le Conseil fédéral a très rapidement décidé de reprendre intégralement les sanctions européennes contre la Russie. Ce mercredi, il a encore prononcé de nouvelles mesures, interdisant l’achat, l’importation et le transport de l’or et des produits en or en provenance de Russie.
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Pour une neutralité « durable, armée et intégrale »
La stratégie suivie par le gouvernement est défendue par une large partie de la classe politique. Seule l’UDC s’est montrée véritablement critique. Aujourd’hui, c’est son leader historique, le tribun zurichois Christoph Blocher, qui prend la tête du combat. Pour lui, en sanctionnant la Russie, la Suisse a brisé le principe de neutralité et mis en danger le pays.
« La neutralité a protégé la Suisse pendant 200 ans. Grâce à elle, notre pays a été épargné par les guerres. Il n’est pas possible que le Conseil fédéral et quelques politiciens à Berne cassent un principe qui a eu tant de succès », affirme l’ancien conseiller fédéral. Il veut donc lancer une initiative populaire pour défendre une « neutralité durable, armée et intégrale ».
Le projet de texte de l’initiative, actuellement examiné la Chancellerie fédérale, veut interdire à la Suisse de prendre des sanctions contre des Etats en guerre, en dehors de celles décidées par les Nations unies. La Confédération ne serait pas non plus autorisée à rejoindre une alliance militaire ou défensive comme l’OTAN, sauf en cas d’attaque contre la Suisse.
Un texte qui affaiblirait la Suisse, selon Laurent Wehrli
Pour le PLR vaudois Laurent Wehrli, les critiques de Christoph Blocher sont infondées. Les sanctions contre la Russie sont conformes à la neutralité telle que définie par le droit international. La neutralité suisse a donc toujours été préservée, argumente le conseiller national, membre de la Commission de politique extérieure de la Chambre du peuple.
C’est plutôt l’initiative qui, selon lui, mettrait en péril la neutralité suisse. « Ce qui est proposé va beaucoup plus loin et pourrait poser un véritable problème. A force de ne plus pouvoir prendre position, ce serait comme donner notre aval à celui qui a envahi un autre pays et violé le droit international », avance Laurent Wehrli. « Cela affaiblirait clairement la position politique et diplomatique de la Suisse », poursuit-il.
Mass-Voll contre l’OMS
Alors que Christoph Blocher veut rigidifier la neutralité, une autre initiative – cette fois-ci pour renforcer la « souveraineté » de la Suisse – est en préparation. Elle émane du mouvement alémanique Mass-Voll, qui s’est fait connaître durant la pandémie de Covid en raison de son opposition farouche aux mesures sanitaires. Pour Nicolas Rimoldi, le président de Mass-Voll, il s’agit de défendre la démocratie, qui s’est « érodée de manière massive ces dernières années ».
Dans son viseur, on trouve surtout l’Organisation mondiale de la santé (OMS), où se négocie actuellement un nouvel accord pour la gestion des futures pandémies. « La coopération internationale est importante et juste pour la Suisse. Mais si cette coopération va si loin qu’elle blesse nos droits fondamentaux et nos droits constitutionnels, nous devons dire stop », tempête le jeune Lucernois, qui n’hésite pas à qualifier l’OMS de « danger pour notre santé ».
Une initiative dangereuse pour Céline Vara
« Cette initiative m’effraie quelque peu », réagit la conseillère aux Etats Céline Vara, pour qui « on a vu durant le Covid l’importance de l’OMS ». « En situation de crise, le repli n’est jamais une solution », ajoute l’écologiste neuchâteloise. « Si cette initiative venait à être acceptée, cela mettrait sérieusement en danger la Suisse, notamment dans son approvisionnement en médicaments, en soins, en informations et en prévention. »
Le texte proposé par Christoph Blocher et celui de Mass-Voll sont des initiatives populistes, juge encore Céline Vara. C’est une manière pour l’UDC et pour le mouvement anti-Covid d’occuper le terrain et de faire parler d’eux, un peu plus d’un an avant les élections fédérales, ajoute la sénatrice. « Nous ne devons pas nous faire avoir par cette stratégie et nous concentrer sur les vrais défis qui nous attendent. »
Pour les deux initiatives, la récolte des signatures devrait commencer cet automne.
Julien Guillaume, Miroslav Mares et Didier Kottelat