
Et soudain, ce 16 juillet 2021, devant les trois magistrats instructeurs de la Cour de justice de la République (CJR) qui s’apprêtent à le mettre en examen pour « prises illégales d’intérêts », voici Eric Dupond-Moretti, garde des sceaux depuis tout juste un an, qui s’empourpre et vocifère contre le très respecté François Molins, procureur général près la Cour de cassation. Un haut magistrat qui, jure-t-il, « voulait être garde des sceaux et n’a jamais accepté [sa] nomination ». Peu importe que M. Molins – accusé ce jour-là par M. Dupond-Moretti de « choisir ses conflits d’intérêts » puisqu’il « met en branle l’action publique contre [lui] » – n’ait jamais guigné le poste de ministre, le garde des sceaux tente de détourner le tir pour s’en prendre, encore et toujours, à cette magistrature qu’il honnit…
Plus de quatorze mois se sont écoulés depuis cet accrochage, et ce même Eric Dupond-Moretti est convoqué, lundi 3 octobre, à Paris, devant la commission d’instruction de la CJR, composée d’un trio de magistrats expérimentés et indépendants. Il devrait s’entendre signifier son renvoi devant la formation de jugement de cette juridiction, seule habilitée à juger les ministres poursuivis pour des crimes ou des délits commis dans l’exercice de leurs fonctions. L’étape suivante serait alors un procès inédit, concernant le garde des sceaux en personne. Il n’est pas certain que le talent oratoire de l’ancien avocat et son don pour porter le bruit et la fureur dans les prétoires suffiront pour le tirer d’affaire(s). Cette fois, il n’y aura pas de jurés citoyens à intimider ou à séduire, comme dans ces cours d’assises qu’il a si longtemps fréquentées. Simplement trois magistrats professionnels et douze parlementaires, réunis dans une juridiction d’exception qu’il est justement chargé, en tant que ministre, de… faire disparaître. Un conflit d’intérêts de plus ?
La lecture du réquisitoire définitif – cinquante-six pages rédigées par le ministère public, datées du 9 mai, énumérant les charges relevées à son encontre –, auquel Le Monde a eu accès, laisse, en effet, peu de place au doute : pour son auteur, l’avocat général Philippe Lagauche, les éléments caractérisant les « prises illégales d’intérêts » – la traduction pénale du conflit d’intérêts – semblent bien établis.
Le ministre est mis en cause pour avoir ordonné, à l’automne 2020, deux enquêtes administratives à l’encontre de plusieurs magistrats : d’une part le juge d’instruction Edouard Levrault, d’autre part les procureurs du Parquet national financier (PNF) Eliane Houlette, Ulrika Delaunay-Weiss et Patrice Amar. « Dans les deux cas, écrit l’avocat général, M. Dupond-Moretti a pris un intérêt consistant à engager un processus disciplinaire contre des magistrats avec lesquels il avait eu un conflit en tant qu’avocat (…) Avocat pénaliste reconnu, M. Dupond-Moretti ne pouvait ignorer l’existence d’un conflit d’intérêts. »
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