Le 24 septembre, alors qu’elle sortait du 10 Downing Street, un journaliste demandait à Liz Truss, silencieuse et vêtue de noir : « Les marchés ont-ils rejeté les “Trussonomics” ? »
Quatre semaines plus tard, la baisse de la note perspective du Royaume-Uni par les agences de notation Standard & Poor’s et Fitch, les rappels à l’ordre de la Banque d’Angleterre, des fonds de pension et du Fonds monétaire international (FMI) – qui a jugé la politique britannique « incroyablement incohérente » – semblent avoir contraint Liz Truss à démissionner. La finance a-t-elle eu raison de la première ministre britannique ?
Encore faudrait-il que « la finance » existe, ce qui n’est pas le cas. Depuis les années 1990, il n’existe pas une, mais deux finances au Royaume-Uni.
Pas d’accès direct à l’épargne
La première, la finance « mainstream », a émergé dans les années 1970. Elle a prospéré grâce à l’intégration européenne et au « big bang » financier de Margaret Thatcher, et a consisté à « financiariser » les grandes entreprises industrielles et le système de retraites. Elle regroupe les acteurs liés aux marchés boursiers et obligataires, notamment les banques, les compagnies d’assurances et les banques d’investissement.
Dominante au sein de la finance britannique jusqu’au milieu des années 2000, cette finance mainstream est depuis concurrencée par les acteurs d’un second mouvement de financiarisation.
Les acteurs de cette finance alternative accumulent du capital au sein de secteurs de la vie économique qui échappaient jusqu’ici à la financiarisation, par exemple les petites et moyennes entreprises, à travers le développement des fonds de capital-investissement, l’immobilier, via les fonds immobiliers, et plus récemment certaines activités sociales et environnementales, grâce au développement des fonds d’investissement à impact.
Contrairement à la première finance, les acteurs de cette seconde finance n’ont pas un accès direct à l’épargne : ils gèrent des actifs venus d’ailleurs, collectent des fonds auprès d’autres investisseurs professionnels, et se chargent de les investir.
Le déplafonnement des bonus des banquiers
Ces deux finances n’ont pas les mêmes intérêts politiques. Elles accumulent du capital différemment et soutiennent des projets politiques concurrents au sein du Parti conservateur britannique et plus largement en Europe.
Lors de l’ouverture de la succession de Boris Johnson en juillet, les acteurs de la finance mainstream ont globalement soutenu le programme néolibéral de Rishi Sunak contre Liz Truss. Alors que Liz Truss proposait le déplafonnement des bonus des banquiers, William Wright, le fondateur du think tank néolibéral New Financial, estimait que la proposition élaborée par Rishi Sunak lorsqu’il était ministre des finances de Boris Johson était suffisante, car « tout geste du Royaume-Uni pour supprimer le plafonnement des bonus se heurterait directement ou indirectement à une réponse de l’Union européenne ».
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